
La Commune au présent. Une correspondance par-delà le temps de Ludivine Bantigny et Les communards de Jean-Pierre Azéma et Michel Winock
Le récit historique peut se décliner de nombreuses manières. Pour raconter la Commune de Paris à l’occasion de son cent cinquantième anniversaire, Ludivine Bantigny a eu la bonne idée d’écrire aux acteurs de la Commune des lettres où elle rappelle le contexte de leur engagement dans la bataille, le rôle qu’ils ont joué, les paroles qu’ils ont dites, les dilemmes qu’ils ont affrontés, les souffrances qu’ils ont vécues et, pour un certain nombre, leur fin tragique. Elle le fait à partir de notre présent, de ce que les historiens savent de la Commune, et de ses interprétations et usages dans l’histoire française après 1871.
Ce n’est pas une galerie de portraits : l’historienne parvient à reconstituer le puzzle de l’histoire globale de la Commune à partir de celles et ceux dont le nom est attesté dans des documents d’archives ou autres, mais, bien entendu, c’est l’histoire vue d’un côté, celui des « communeux » (et non « communards », nom que leur ont donné leurs adversaires et qui s’est longtemps imposé), l’histoire d’une révolution « par le bas » qui coalise dans une partie de Paris un peuple divers d’hommes et de femmes : ouvriers, employés, artisans, instituteurs, écrivains et artistes. Leur engagement est relu par l’autrice avec une empathie quasiment sans réserve. On pouvait craindre l’hagiographie, et ça l’est en partie, mais c’est vivant et agréable à lire. De nombreuses photos d’époque pleine page, souvent pittoresques, illustrent le propos et restituent en images le cadre de la révolte.
La radicalité du combat de la Commune pour une « République sociale » est diversement rappelée, en particulier dans les formulations tranchantes – et pertinentes – d’Eugène Varlin. La forme du futur pouvoir d’État n’est cependant guère évoquée : ce n’est pas le souci de l’heure. La part des femmes est très importante, la haine contre les ennemis – la haine de l’Église et l’« adieu à Dieu » en particulier – n’est pas oubliée, mais elle répond à une violente haine adverse. Sur l’affaire des otages fusillés de la rue Haxo, qui a été si abondamment utilisée contre la Commune par ses adversaires, l’Église en particulier, Ludivine Bantigny décrit de manière convaincante la responsabilité écrasante de Thiers, qui avait intérêt à « se faire un martyr », fût-ce l’archevêque de Paris, Mgr Darboy. On a le droit d’être moins convaincu en revanche de l’inscription des Gilets jaunes dans la mémoire de la Commune : on est alors dans la mythologie mémorielle et émotionnelle de la gauche, qui resurgit lors de chaque mouvement social…
On peut lire parallèlement Les Communards, de Jean-Pierre Azéma et Michel Winock, récit plus classique mais bien enlevé de l’insurrection et de ses phases. C’est la reprise revue et actualisée (mais en gardant la teneur du texte originel) d’un livre paru en 1964. Il prend aussi le parti des « communeux » et d’une partie de leurs justes raisons, et ne ménage pas les versaillais en rappelant la répression folle et indistincte, commandée d’en haut, qu’ils pratiquèrent après la victoire contre les insurgés, mais ils évaluent aussi les limites de leur action et de leurs décisions (ou non-décisions), et le tableau des mémoires multiples – versaillaise, anarchiste, marxiste – qu’ils dressent est éclairant (à la fin, utiles chronologie et bibliographie, avec une carte de la « semaine sanglante » du 21 au 28 mai 1871).