
Le corps aux fils de l’écriture. Nietzsche après Derrida de Nibras Chehayed
Le titre de ce livre pourrait laisser entendre la musique surannée des années 1960-1970, au temps des sciences humaines triomphantes et de la philosophie inspirée par elles, aussi dite « du soupçon ». Pour en comprendre l’actualité, il peut être utile de lire les pages liminaires, intitulées « Le seuil du bordel », et la conclusion, titrée « Le seuil de l’abîme ». Nibras Chehayed est en effet syrien (aujourd’hui réfugié au Liban), et ce livre est non seulement l’écho, mais l’expérience ressentie dans son propre corps devant l’horreur abyssale des corps mutilés et disloqués qu’il a vus, entendus, touchés dans son pays depuis le début de la révolution syrienne et sa répression, d’une cruauté inouïe, par Bachar el-Assad. Les rapports entre l’écriture et le corps, la « corporalisation » de l’écriture et la « textualisation » du corps, de l’« écriture » – la sienne, celle de Nietzsche et de Derrida, ce qu’ils disent et pensent dans leurs écrits (avec d’autres, comme Jean-Luc Nancy) des interactions entre le corps et l’écriture – font la trame de sa réflexion, exigeante et sans concession. L’histoire terrible, in fine, de cet enfant syrien qui a perdu ses deux mains et qui, alors qu’il est filmé, voudrait essuyer une larme « comme si ses mains mutilées existaient encore » semble la hanter en arrière-plan. Faut-il s’en étonner ? La « déconstruction », mot à la mode vidé de son sens à force d’usages rhétoriques, polémiques et s