
Le débat permanent de Paul Valadier
Refuser aux idées adverses le droit à l’expression, fermer leur gueule aux opposants, « dégager » ceux avec qui on n’est pas d’accord, les écraser sous la violence verbale, leur crier sa haine : c’est devenu une facette de nos mœurs publiques, et plus encore à l’abri des réseaux dits sociaux. Il y en a une autre, plus invisible et pourtant tout aussi réelle : le débat permanent à propos de tout, répercuté dans les médias et disséminé dans toutes sortes d’instances, conseils, comités, commissions, états généraux – le président de la République se réservant à lui-même le « grand débat » national… Paul Valadier décrit avec pertinence les causes et les limites de cette omniprésence du débat, réclamé à cor et à cri quand il n’existe pas et, en général, décevant et suivi de maigres résultats. Pour une raison essentielle selon Paul Valadier : c’est qu’il manque de références, de fins et de valeurs fondamentales, et d’abord de consensus sur la vérité. Le « multi » et le « pluri » règnent en maîtres, tandis qu’à l’âge de la « post-vérité », la « vérité » semble devenue un canular, assumé désormais sans scrupules par les maîtres du monde – et finalement aussi bien au-delà d’eux, puisqu’ils sont réélus quand il y a (encore) des élections. Dans ces conditions, la critique de l’indétermination démocratique selon Claude Lefort est justifiée, mais le plaidoyer – pertinent – pour la « ressource de sens » qu’est la religion a-t-il quelque chance d’être entendu ? L’auteur veut y croire, il argumente avec rigueur, mais il multiplie lui-même les observations qui en marquent les limites et le côté « inaudible » – du fait notamment de l’attitude peu crédible des institutions religieuses, Églises et autres.