Le nouvel extrémisme de droite de Theodor W. Adorno et Les prophètes du mensonge. de Norbert Guterman et Leo Löwenthal
Le Nouvel Extrémisme de droite est le texte d’une conférence d’Adorno à Vienne en 1967, dans le contexte du retour de l’extrême droite en Allemagne sous la figure du NPD (Nationaldemokratische Partei Deutschlands). Le style, rugueux, heurté, sans concession, d’Adorno lui confère une force particulière, et son titre convient encore parfaitement à la situation politique qui se profile aujourd’hui dans toute l’Europe et même au-delà. Comme il concerne cependant l’Allemagne, on n’est pas étonné de retrouver, dans l’analyse de l’extrême droite alors en train de renaître dans ce pays, des homologies avec « la vie posthume du national-socialisme en démocratie ». Comme le souligne l’excellente postface, on y reconnaît nombre d’échos des travaux de l’École de Francfort durant les années 1930, en particulier sur la structure de la personnalité autoritaire, le rôle du ressentiment, les liens de la crise économique et de l’angoisse du déclin avec la structure du sujet fascisant, la montée des sentiments de colère et de haine, « la propagande comme technique de psychologie de masse ». Plus généralement, Adorno s’intéresse aux « conséquences sociales de la technologie moderne », y compris pour la mobilisation et le discours de l’extrémisme de droite dont il débusque les « ficelles » (l’une des principales consistant à se présenter comme parangon de la « vraie » démocratie, voire de la démocratie de toutes les vertus, donc comme victime de la « fausse » démocratie). Cité par Adorno, le livre paru en 1950 de Leo Löwenthal et Norbert Guterman, Les Prophètes du mensonge, s’inscrivait dans une série de recherches de l’École de Francfort sur les « préjugés raciaux et religieux ». Conformément à l’idée d’une critique sociale qui n’élude pas le consentement des individus, il étudie plus spécifiquement les ressorts psychologiques de l’agitation fasciste dans les années 1930 et 1940, à un moment où l’expression de l’antisémitisme n’est pas encore légalement interdite. Les auteurs procèdent, dirions-nous, à une « analyse du discours » (textes de propagande, discours publics, écrits militants…) d’agitateurs démagogues, antisémites haineux, au repérage et au démontage de leurs procédés rhétoriques ou de leurs modes d’argumentation pour stimuler l’adhésion ou le consentement subjectifs à l’autoritarisme et au fascisme. Il faut bien le reconnaître : dans un contexte politique et religieux changé par la mondialisation économique et financière, nombre de thèmes de ces deux livres n’ont pas perdu grand-chose de leur actualité. Ils permettent « de poser un diagnostic sur la menace latente qui pèse sur la démocratie » (Max Horkheimer).