
Ressources du christianisme de François Jullien
Peu de livres, finalement, sont vraiment inattendus. Celui-ci, de François Jullien, bien connu (admiré et contesté d’ailleurs) pour ses travaux sur l’écart entre culture chinoise et culture occidentale (marquée par la Grèce), l’est éminemment. En France, les relectures précises d’un évangile, fondées sur leur écriture d’origine en langue grecque, par un intellectuel savant ne courent pas les librairies. Le mot « ressources » dans le titre est essentiel : il ne s’agit pas d’une quête des racines chrétiennes (de l’Europe), mais d’un travail sur la langue et d’un commentaire patient et argumenté du sens d’un texte célèbre – l’évangile selon Jean –, dont il parvient à tirer encore des significations étonnantes, qui surprennent ceux qui « ont la foi » et pensaient bien connaître le quatrième évangile. On retrouve toute une palette de thématiques théologiques et éthiques chrétiennes, mais approfondies dans d’autres directions. Levinas et Ricœur, mais surtout Michel Henry, ne sont jamais loin. La dette – et la discussion – avec ce dernier est explicite dans la reprise du thème de la « vie », avec la capitale distinction johannique entre psuchê (la vie biologique avec toutes ses manifestations) et zôè (la vie qu’on a en soi, en « surabondance », comme dit Jean, et qui ne meurt pas), que les traductions reçues ne traduisent pas, justement. Jullien ne veut pas faire une philosophie chrétienne, ni antichrétienne d’ailleurs : il s’en tient opiniâtrement aux « ressources », et il faut reconnaître qu’il impressionne.