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Rites d’amour et de mort (Yukio Mishima, 1966)
Rites d'amour et de mort (Yukio Mishima, 1966)
Flux d'actualités

Mishima, cinquante ans après

Le suicide de l’écrivain japonais peut être considéré comme l’unification de l’action et de l’art.

Lorsqu’il s’est suicidé par seppuku à l’âge de quarante-cinq le 25 novembre 1970, Yukio Mishima a été reconnu dans son pays et à l’étranger comme le plus grand écrivain japonais de l’après-guerre. Son suicide, mis en scène de façon dramatique, a été précédé par un discours dans lequel il s’adressait aux soldats japonais au quartier général de l’armée à Tokyo.

Écrivain talentueux, mari, père, homosexuel, acteur de cinéma, chef d’une armée privée et candidat pour le prix Nobel de littérature, Mishima reste dans la mémoire de l’humanité comme un personnage largement incompris. Contrairement à de nombreux écrivains et poètes qui se sont suicidés sans écrire sur ce sujet, Mishima a commencé à méditer sur le rituel japonais du suicide dès les années 1950.

On peut clairement retracer la présence de la mort à côté de celle de la beauté dans de nombreux écrits de Mishima. Le culte du corps masculin, glorifié et renforcé par l’épée de samouraï, est devenu un symbole dominant de l’art de Mishima. Mishima a posé dans le rôle de saint Sébastien, le martyr chrétien dont le corps a été transpercé par des flèches, et a joué le rôle d’un officier de l’armée qui a commis le seppuku, dans un film intitulé Rites d’amour et de mort (Yukio Mishima, 1965). Le film était fondé sur une nouvelle du même titre écrite par Mishima en 1960, décrivant les dernières heures du lieutenant Shinji Takeyama et de sa jeune épouse Reiko.

Ainsi, pour Mishima, le suicide était à la fois une action esthétique et héroïque. Il considérait la vraie beauté comme une expression érotique et sensuelle de la mort. En s’identifiant à ses héros tragiques, Mishima, par ses paroles et ses actes, a transformé le suicide des samouraïs en une noble action. Cependant, il a abordé l’acte de suicide comme le geste final d’une souffrance partagée dans une fraternité de guerriers, où l’individu se sacrifie pour le bien de la communauté.

La création par Mishima du Tatenokai ou Société du Bouclier en 1966, dans le but de défendre l’empereur du Japon contre les attaques de la gauche, était plutôt la quête romantique d’une mort exemplaire qu’une aventure politique et militaire. La collaboration de Mishima avec le Tatenokai jusqu’aux derniers moments de sa vie était pour lui un moyen d’aller au-delà de l’acte d’écrire et de s’engager dans l’action. Mishima avait en effet besoin d’actions extrêmes et violentes afin de faire face à la mort. Mishima avait planifié son suicide depuis des années. C’est pourquoi il avait entraîné son corps par des exercices physiques intensifs, notamment dans le cadre de l’entraînement de la Force d’autodéfense. La conscience aiguë de son corps lui permettait de trouver un équilibre harmonieux entre la puissance de la créativité et la force physique. Pour ses admirateurs, son suicide peut être considéré comme l’aboutissement de son projet de vie, dans l’unification de l’action et de l’art.

D’un homme de lettres, Mishima est devenu un homme d’épée, brouillant la ligne entre l’écrivain et le samouraï. Ainsi, pour lui, la synthèse entre la philosophie japonaise du Bushido (la voie du guerrier) et l’idéalisation grecque de la beauté physique n’était possible que dans l’art héroïque de la mort. Sa quête de pureté ne pouvait être glorifiée qu’à travers l’acte de seppuku. En accord avec sa vision esthétique de la réalité, il a préféré la mort dramatique et héroïque d’un corps beau et puissant à la mort lente d’un corps vieillissant et malade.

Avec une précision esthétique magistrale et délibérée, Mishima a choisi de remettre son dernier manuscrit à son éditeur une heure avant sa mort. Dans sa lettre de suicide, Mishima écrit : « La vie humaine est limitée, mais je veux vivre éternellement. » Mishima voulait vivre et mourir à la fois comme un homme d’idées et un homme d’action. C’est pourquoi, pour lui, la mort était étroitement liée à un sens éthique du devoir et des valeurs : il s’agissait de savoir quand et comment renoncer à la vie, et de saisir ce moment.

Ramin Jahanbegloo

Directeur du Centre Mahatma Gandhi pour la Paix à l'O.P. Jindal Global University (Inde), il est notamment l’auteur de The Gandhian Moment (Harvard University Press, 2013).