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Notes de lecture

Dans le même numéro

Camus, des pays de liberté de Vincent Duclert

juil./août 2020

Albert Camus (1913-1960) a uni l’extrême beauté de l’écriture à l’immense fermeté de la pensée. Le lire ou le relire, c’est apprendre à écrire, trouver le mot juste. Mais sa mort si brutale n’est pas seulement la mort d’un écrivain de génie. Elle est aussi celle du possible qu’il a représenté, comme le souligne Vincent Duclert dans une biographie intellectuelle et politique dont le sous-titre «  Des pays de liberté  » dit l’originalité. Duclert ne cherche pas simplement à raconter la vie de Camus, même s’il le fait fort bien dans le premier chapitre, où il décrit son héritage après sa mort, lorsque ses écrits manifestent sa présence dans l’absence. Un renversement s’opère alors. Critiqué, rejeté, stigmatisé de son vivant et même après sa mort (par Sartre, Simone de Beauvoir et, en 1976 encore, par Bourdieu), Camus est maintenant abondamment cité. Beaucoup de lycéens liront au moins l’une de ses œuvres (et récemment on a rappelé que La Peste était le roman le plus lu dans le monde). Les professeurs de lettres et de philosophie aiment l’enseigner. Mais dès lors, ne risque-t-on pas de faire de l’écrivain-philosophe une icône, une idole, voire une statue ? Duclert rétablit les choses. D’une plume enlevée, il reprend les articles journalistiques, les pièces de théâtre, les romans, les essais philosophiques. Il n’oublie pas le prix Nobel de littérature (1957). Cette distinction donna lieu à la si belle lettre à M. Germain, son instituteur aimé et admiré. L’historien a même trouvé un texte inédit : la «  Note d’un intellectuel résistant  ». Elle figure en annexe. Magnifiquement éditées en quatre volumes dans la Bibliothèque de la Pléiade, chez Gallimard, les Œuvres complètes forment un ensemble de 6 122 pages. Si le lecteur se sent parfois débordé, Duclert l’aide à trouver l’unité d’une œuvre à la fois sensible, charnelle et idéelle. Notons que la première phrase de Camus, des pays de liberté est consacrée à Catherine Sintès-Camus, la mère d’Albert, qui murmura : «  C’est trop jeune  », quand ses deux petites-filles vinrent lui annoncer que son fils n’était plus. Remarquons encore que Camus ne se donne pas volontiers le titre de philosophe, qu’il est pourtant, ô combien. Dans ses Carnets, il écrit en 1936 : «  On ne pense que par image. Si tu veux être philosophe, écris des romans.  » Ce sera en Algérie, surtout à Alger mais à Oran aussi, en Espagne, en Grèce – une patrie intellectuelle –, enfin à Lourmarin dans le Vaucluse, où son œuvre a trouvé une nouvelle inspiration. Camus a pu y contempler de belles images de paysages, de plages, de mers, de villes et de campagnes, toujours habitées par la flamme de femmes et d’hommes qui savaient ce que combattre veut dire dans «  des pays de liberté  ».

Stock, 2020
380 p. 22 €

Jean-Marie Glé

Jésuite et théologien, il contribue à la revue Esprit depuis 2000.

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Ce dossier coordonné par Jean Godefroy Bidima et Antoine Garapon fait entendre les voix multiples de l’Afrique. Depuis leur perspective propre, ces voix africaines débordent la question postcoloniale et invitent au dialogue ; elles participent à la construction d'une commune humanité autour d’un projet de respect de la vie. À lire aussi dans ce numéro double : la participation dans le travail social, les analogies historiques de la pandémie, les gestes barrières face aux catastrophes écologiques, l’antiracisme aux États-Unis et l’esprit européen de Stefan Zweig.