
Idées reçues sur l’Allemagne de Claire Demesmay
Les démocraties sont toujours difficiles à décrypter. L’Allemagne l’est d’autant plus que ce pays paraît proche et que les Français pensent le connaître, alors que sa connaissance en est souvent superficielle. Le pari de Claire Demesmay dans cette collection intitulée « Idées reçues sur » est de livrer au lecteur français une analyse claire et concise des principales caractéristiques de l’Allemagne contemporaine. Loin de se limiter à la politique et à l’économie, l’ouvrage aborde des sujets moins connus comme le rapport des Allemands à la musique ou encore à la culture protestante.
Le connaisseur de l’Allemagne contemporaine trouvera dans ce livre des explications bien formulées sur une réalité qu’il connaîtra déjà. Le non-initié y puisera davantage de choses inédites. On retrouve, dans la tradition des Joseph Rovan et Alfred Grosser, un souci de démystifier l’Allemagne en rompant avec les clichés. Il est vrai que certains ont la vie dure en France, le plus cru mais aussi le plus stupide dans le genre ayant certainement été le livre de Jean-Luc Mélenchon, Le Hareng de Bismark, paru en 2015.
L’ouvrage se divise en quatre sections : l’imaginaire politique, la diversité culturelle, les repères économiques et sociaux et l’Allemagne hors les murs (c’est-à-dire l’Allemagne et l’international). Tentons quelques coups de sonde dans chacune des sections. Claire Demesmay rappelle ainsi l’héritage du nazisme, ce passé qui ne passe pas dans la mémoire allemande. Elle montre qu’une culture de la responsabilité a fait suite à celle de la culpabilité, insistant sur le fait que le travail de mémoire n’a pas du tout été le même en Rda qu’en République fédérale à partir de 1968 à l’initiative d’une jeunesse revendicatrice qui voulait comprendre pourquoi les parents avaient fait cela. À l’échelle du monde, la résilience allemande reste remarquable, bien qu’elle soit remise en cause par quelques groupes radicaux mais aussi, dit l’auteur, par un nouvel antisémitisme musulman sur fond d’instrumentalisation du conflit israélo-palestinien. Ce serait une nouvelle crainte de la communauté juive d’Allemagne, qui a retrouvé de la vigueur après la fin de la guerre froide avec l’arrivée des juifs de Russie.
Alors que la France s’interroge sans cesse sur son modèle économique en regardant l’Allemagne avec envie, Claire Demesmay rappelle que les lois de réforme du marché du travail, introduites en 2003, ont contribué à réduire le chômage mais aussi à accroître considérablement la précarité des travailleurs pauvres. L’Allemagne compte en 2018 davantage de travailleurs pauvres que la France, sans que cela aboutisse à des mobilisations sociales fortes. La montée récente de l’extrême droite ne s’expliquerait pas tant en Allemagne par la situation socio-économique que par la peur identitaire des étrangers. Pour autant, il ne faut pas idéaliser la bonne santé de l’économie allemande, en rappelant que la culture politique conduit les Allemands à tolérer beaucoup plus de sacrifices sociaux que les Français. Si les Allemands sont généralement connus pour leur conscience écologique, avec leur décision de renoncer totalement à l’énergie nucléaire en 2022, Claire Demesmay rappelle que la sortie du charbon est un élément beaucoup plus compliqué de la transition énergétique. Si le parti des Verts appelle régulièrement à la sortie du charbon, il se trouve un peu isolé dans sa démarche. En matière européenne, Claire Demesmay valide l’explication répandue selon laquelle la crise de la zone euro de 2008 a fait émerger une hégémonie de l’Allemagne en raison du poids de son économie, sans que cette hégémonie soit toutefois le résultat d’une stratégie politique explicite. C’est plutôt la capacité allemande à imposer son modèle économique (celui de l’orthodoxie budgétaire et de la faible inflation) comme le bon qui en fait un acteur hégémonique. L’auteur aurait pu tirer davantage de conséquences de ce phénomène sur le fonctionnement de l’Europe, notamment la naissance d’un clivage Nord/Sud construit autour de la question des transferts budgétaires. Claire Demesmay rappelle à juste titre que l’Allemagne a une politique d’aide au développement active dans le monde et qu’elle ne néglige pas l’Afrique autant qu’on le pense en France. Au final, le livre de Claire Demesmay permet de se faire une idée claire de l’Allemagne contemporaine en peu de pages. Tous les sujets ne sont pas nécessairement traités ; il aurait été intéressant par exemple d’en savoir davantage sur le rapport des Allemands à l’éducation et au savoir.