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Notes de lecture

Dans le même numéro

Abrupte fable de Christian Dotremont

novembre 2022

Le surréalisme parisien, sous la mainmise de Breton, s’est perdu dans des contradictions esthétiques et morales, et s’est sclérosé dans une doxa de l’écriture automatique : « Allons-nous, comme certains nous le proposent, renoncer à toute action délibérée, à tout exercice d’une douteuse volonté, pour demeurer immobiles, penchés sur nous-mêmes comme sur un immense gouffre d’ombre, à guetter l’éclosion des miracles, l’ascension des merveilles1 ? » Pour le surréalisme belge, l’action poétique qui permet de plonger dans les gouffres de l’être doit porter sur le langage de façon lucide et dynamique. Et si l’écriture n’est produite que « par une cure d’idiotie » (Valère Novarina), cela doit devenir un exercice patient et délibéré. L’entreprise menée à bien par Christian Dotremont est emblématique de cette pratique. Elle manifeste un effort aussi savant que pulsionnel, « un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens » pour inventer une forme originale : le logogramme. Dans sa dynamique incessante, le logogramme peint-écrit les mots comme ils bougent. Il représente un mouvement et exprime de la pensée de façon physique. Ainsi, l’écriture « a son mot à dire ». Le geste graphique met en évidence autant le corps de l’écriture que celui du poète. La pensée y apparaît en continuité avec le corps. Le poète belge – un peu comme Artaud, avec d’autres moyens – contribue à dépasser l’opposition statique entre pensée et écriture. Dans Abrupte fable, Dotremont fait preuve d’une infinie clarté. Il trace quelques lignes zigzagantes qui relient la forêt de Cobra aux paysages de Laponie, où il traque la progression de quelques racines en vue de conquérir la préhistoire de l’écriture. L’auteur cherche simplement (ce qui n’est jamais facile) une lisibilité plastique.

  • 1. Paul Nougé, « Conférence de Charleroi » [1929], dans Histoire de ne pas rire [1956], Lausanne, L’Âge d’homme, 1980, p. 207.
L’Atelier contemporain, 2022
256 p. 20 €

Jean-Paul Gavard-Perret

Docteur en littérature,  poète, critique littéraire et critique d'art contemporain, il enseigne la communication à l’université de Savoie à Chambéry. Il est membre du Centre de Recherche Imaginaire et Création.

Dans le même numéro

Chine : la crispation totalitaire

Le xxe Congrès du PCC,  qui s'est tenu en octobre 2022, a confirmé le caractère totalitaire de la Chine de Xi Jinping. Donnant à voir le pouvoir sans partage de son dictateur, l’omniprésence et l'omnipotence d'un parti désormais unifié et la persistance de ses ambitions globales, il marque l’entrée dans une période d'hubris et de crispation où les ressorts de l'adaptation du régime, jusque-là garants de sa pérennité, sont remis en cause. On observe un décalage croissant entre l’ambition de toute-puissance, les concepts-clés du régime et le pays réel, en proie au ralentissement économique. Le dossier de novembre, coordonné par la politologue Chloé Froissart, pointe ces contradictions : en apparence, le Parti n’a jamais été aussi puissant et sûr de lui-même, mais en coulisse, il se trouve menacé d’atrophie par le manque de remontée de l’information, la demande de loyauté inconditionnelle des cadres, et par l’obsession de Xi d’éradiquer plutôt que de fédérer les différents courants en son sein. Des failles qui risquent de le rendre d'autant plus belliqueux à l'égard de Taiwan. À lire aussi dans ce numéro : Le droit comme œuvre d’art ; Iran : Femme, vie, liberté ; Entre naissance et mort, la vie en passage ; En traduisant Biagio Marin ; et Esprit au Portugal.