
Abrupte fable de Christian Dotremont
Le surréalisme parisien, sous la mainmise de Breton, s’est perdu dans des contradictions esthétiques et morales, et s’est sclérosé dans une doxa de l’écriture automatique : « Allons-nous, comme certains nous le proposent, renoncer à toute action délibérée, à tout exercice d’une douteuse volonté, pour demeurer immobiles, penchés sur nous-mêmes comme sur un immense gouffre d’ombre, à guetter l’éclosion des miracles, l’ascension des merveilles1 ? » Pour le surréalisme belge, l’action poétique qui permet de plonger dans les gouffres de l’être doit porter sur le langage de façon lucide et dynamique. Et si l’écriture n’est produite que « par une cure d’idiotie » (Valère Novarina), cela doit devenir un exercice patient et délibéré. L’entreprise menée à bien par Christian Dotremont est emblématique de cette pratique. Elle manifeste un effort aussi savant que pulsionnel, « un long, immense et raisonné dérèglement de tous les sens » pour inventer une forme originale : le logogramme. Dans sa dynamique incessante, le logogramme peint-écrit les mots comme ils bougent. Il représente un mouvement et exprime de la pensée de façon physique. Ainsi, l’écriture « a son mot à dire ». Le geste graphique met en évidence autant le corps de l’écriture que celui du poète. La pensée y apparaît en continuité avec le corps. Le poète belge – un peu comme Artaud, avec d’autres moyens – contribue à dépasser l’opposition statique entre pensée et écriture. Dans Abrupte fable, Dotremont fait preuve d’une infinie clarté. Il trace quelques lignes zigzagantes qui relient la forêt de Cobra aux paysages de Laponie, où il traque la progression de quelques racines en vue de conquérir la préhistoire de l’écriture. L’auteur cherche simplement (ce qui n’est jamais facile) une lisibilité plastique.
- 1. Paul Nougé, « Conférence de Charleroi » [1929], dans Histoire de ne pas rire [1956], Lausanne, L’Âge d’homme, 1980, p. 207.