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Notes de lecture

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Le pont de Bezons de Jean Rolin

novembre 2020

Jean Rolin nous offre […] le récit de ses promenades, sans promesse de rencontres extraordinaires ou d’aventures mémorables.

Il ne faut pas moins de trois visites à Villeneuve-Saint-Georges pour vérifier le décompte exact du nombre de salons de coiffure dans la rue de Paris. Il y en a bien onze, nous certifie Jean Rolin, avec un scrupule documentaire dépourvu d’enjeu. Quand on pousse la porte d’un de ces salons, on peut acheter, sous l’œil surpris du coiffeur, des revues d’inspiration kimbanguiste, de même qu’on découvre des magazines du PKK sur le comptoir du café Mekan à Corbeil. Mais l’écrivain-voyageur ne vise pas un ostentatoire exotisme-en-bas-de-la-rue. S’il mentionne ces ambiances congolaises ou kurdes découvertes par hasard, c’est tout simplement que ces rencontres ont eu lieu et notre promeneur se garde bien d’en tirer de hasardeuses généralisations. De même, s’il dort à l’hôtel à Corbeil ou à Bezons, dans l’attente du lever de soleil sur la Seine, c’est en se demandant si, visiteur de passage, il pourra quand même se prévaloir d’une certaine familiarité avec ces villes en y passant la nuit. Jean Rolin nous offre régulièrement le récit de ses promenades, sans promesse de rencontres extraordinaires ou d’aventures mémorables. S’il aime la haute mer et la navigation au long cours (L’Homme qui a vu l’ours, P.O.L, 2006), les territoires sous tension politique (territoires palestiniens occupés dans Chrétiens, P.O.L, 2003 ; le détroit qui sépare l’Iran de la péninsule arabique dans Ormuz, P.O.L, 2013), il sait aussi porter un œil neuf sur son espace proche. Il avait fait le tour des boulevards de ceinture il y a quelques années (La Clôture, P.O.L, 2002), il propose cette fois-ci une diagonale dans la région parisienne, en suivant la Seine de Melun à Mantes. Le voyage à pied provoque un double dépaysement. D’abord par le rythme, puisque la marche offre une expérience de l’espace très différente de celle que la plupart des Franciliens peuvent avoir en longeant la Seine par le train, le RER ou l’autoroute. La lenteur permet d’observer, loin des regards, sur les berges inaccessibles, parfois farouchement gardées par des pêcheurs mutiques, une faune et une flore familières, des cerisiers sauvages, des cygnes et des oiseaux que notre naturaliste amateur ne reconnaît pas toujours. Dépaysement par l’échelle ensuite, puisqu’il ne s’agit pas ici de décrire la Seine du géographe, qui structure le grand paysage de l’Île-de-France. Jean Rolin la connaît et l’observe à l’occasion du haut de la terrasse de Saint-Germain-en-Laye qui domine un large panorama. Quand il redescend au bord de l’eau, il la longe le long de ses rives, et ne cesse de buter sur des obstacles. Entre deux villes et deux promenades aménagées, la Seine reste peu facile d’accès. Le promeneur doit franchir des grillages, contourner des piliers d’autoroute, gravir des talus, des terrains vagues et de mornes friches industrielles. Dans ce cadre inhospitalier, le lecteur a la surprise de découvrir une maison familiale et un retour inattendu de mémoire, qui font de ce faux récit de voyage une sorte d’esquisse autobiographique. Tant il est vrai que, pour l’écrivain, la marche ne conduit jamais sur les chemins attendus.

P.O.L, 2020
240 p. 19 €

Marc-Olivier Padis

Directeur de la rédaction d'Esprit de 2013 à 2016, après avoir été successivement secrétaire de rédaction (1993-1999) puis rédacteur en chef de la revue (2000-2013). Ses études de Lettres l'ont rapidement conduit à s'intéresser au rapport des écrivains français au journalisme politique, en particulier pendant la Révolution française. La réflexion sur l'écriture et la prise de parole publique, sur…

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