
Les Élus et les damnés de Jean Frémon
Dans son livre, Jean Frémon montre combien il existe un désir lancinant d’écriture en peinture. La réciproque est tout aussi vraie. Tel un cantonnier de l’art, entre récit, poésie et essai, l’auteur fait sourdre du signifiant dans et hors de l’image de Louis Soutter, trop vite relégué dans l’art brut afin de s’en débarrasser car ses images dérangeaient – et dérangent encore par leur figuration violente qui ramène à l’être dans sa nudité métaphysique. Jean Frémon devient l’oscillant qui ne cesse de rebattre les cartes de Soutter, dont les images tressautent et les mots dansent. Il fait parler les masques sans masquer la parole. Ce que l’image montre ou figure, le texte le démontre, le défigure, afin de plonger dans la nuit de l’être où Soutter n’a cessé de croupir, enfermé en lui-même et dans son asile suisse. Le livre de Frémon, comme l’œuvre de Soutter, n’exhibe de l’homme que sa perte. Les dessins du Suisse ne sont les reliquaires de rien qui se cacherait derrière. L’artiste suggère sa descente aux enfers, mais reste apte à rendre les êtres absents, terrassés par leurs angoisses. Il continua à dessiner et à peindre de manière compulsive jusqu’à sa fin, pour évoquer la disparition, rivé à l’image d’une mère qui ne cessa de le hanter.