
Ruines bien rangées d’Hélène Cixous
« Les Ruines » est un espace rasé, situé entre deux élégantes demeures dans le plus beau et le plus riche quartier d’Osnabrück (Basse-Saxe), en plein centre-ville. Le lieu est situé rue de la Vieille-Synagogue ou encore rue des Sorcières, celles qui passaient là avant d’être brûlées. « On passe devant sans les voir. » Y sont rangées des pierres de la synagogue détruite par le IIIe Reich. Ce fut l’endroit de persécution jadis des sorcières et plus près de nous des Juifs. Il devient pour Hélène Cixous – et ce, à l’ombre de sa famille allemande issue de cette ville – l’espace de ses revenants comme ceux de l’histoire. Et l’auteure corrige une mémoire de l’Occident médiéval et contemporain en un récit transhistorique, revenant à des ombres féminines des temps reculés que la cité extermina. Fondée en 783 par Charlemagne, Osnabrück est l’endroit où fut signé en 1648 le traité de Westphalie pour mettre fin à la guerre de Trente Ans, qui laissa des millions de fantômes. Non seulement au viiie siècle, mais – via des pogroms – au xxe siècle : « notre belle ville est nazie », écrit l’autrice, qui ajoute « en 1938, la cité a mis le feu à ses Juifs ». Néanmoins, elle a désormais transformé la haine et la peste brune en paix et en hospitalité « pour une petite éternité ». Mais que disent ces « Ruines » élégantes ? Hélène Cixous invente – par la dimension poétique de sa parole et contre la mort donnée – une chronique exhaustive d’une familière étrangeté. Derrière la glaciation du lieu en une certaine beauté touristique, l’auteure incarne le statut plus « primitif » d’une ville où se concentraient toutes les contradictions et toxicités du monde. C’est pourquoi les familiers de la créatrice deviennent des âmes à demi transparentes, des corps sensuels, toujours sur le point de disparaître. À travers eux, un tel récit rassemble qui nous sommes, entourés de notre solitude, de notre inquiétude, de notre présence comme de notre effacement.