
Prendre. Naissance d’une pratique sociale élémentaire de Wilfried Lignier
Comment l’appropriation des choses devient-elle socialement possible ? Telle est la question à laquelle tente de répondre cet ouvrage, fondé sur l’observation ethnographique d’une crèche parisienne. Contre la tendance des psychologues et des économistes à naturaliser la pulsion de préhension et les préférences pour les choses, Wilfried Lignier propose d’étudier les pratiques de prise dans leur contexte social, c’est-à-dire « avec une distribution singulière des choses appropriables, des représentations légitimes des bonnes et mauvaises manières de prendre (médiatisées par les professionnelles de la petite enfance), et des dispositions inégales des enfants à l’égard de ces régularités et de ces règles sociales ». Il remarque que l’idéologie de la petite enfance est marquée par un principe de « dénégation de la violence », qui s’accompagne dans les faits de pratiques quotidiennes de pacification. Il souligne la relation inverse entre force physique et force symbolique et souligne que les auxiliaires limitent nettement plus la première que la seconde, ce qui conduit à « un dédoublement de la violence sociale », fixant les garçons et les enfants des classes populaires du côté de « l’engagement du corps » et les filles et les enfants des classes supérieures du côté de « l’autorité des symboles ». Inspirée par la sociologie de Pierre Bourdieu, dans l’étude des préférences pour les choses comme des « dispositions précoces », l’enquête de Wilfried Lignier souligne plus fondamentalement les logiques d’augmentation de puissance, d’inspiration spinoziste, dans les pratiques sociales des jeunes enfants.