Le président est-il devenu fou ? Le diplomate, le psychanalyste et le chef de l’État de Patrick Weil

L’échec du traité de Versailles marque un tournant majeur du xx^e siècle : en 1920, le retrait des États-Unis de la Société des Nations conduit, comme on le craint, à la Seconde Guerre mondiale. À l’origine de cet échec, il faut compter le revirement du président Thomas Woodrow Wilson, pourtant fervent défenseur d’un traité de Versailles garant de la paix européenne. Après avoir parcouru les États-Unis jusqu’à l’épuisement pour convaincre de la nécessité impérative d’un traité solide donnant un rôle fondateur et protecteur à la désormais première démocratie du monde, Wilson encourage pourtant certains de ses partisans à ne pas le ratifier. Ce revirement subit, aux conséquences fatales, son ancien bras droit William C. Bullitt et Sigmund Freud vont tenter, à leur manière, d’en sonder le mystère. Cela aboutira à une étonnante biographie psychologique, qui ne sera partiellement publiée qu’en 1966. Patrick Weil en a retrouvé le manuscrit original. L’historien retrace avec précision la genèse de cette initiative audacieuse, traversant le siècle et ses tourments, à hauteur d’hommes et dans les coulisses de l’histoire. Au travers de la figure quasi romanesque de William Bullitt et du récit des événements contemporains, il offre un nouveau regard sur le traité de Versailles et une réflexion forte sur la psychologie de ses acteurs.

Dans une alternance éclairante entre le récit des événements du traité de Versailles jusqu’à la guerre froide et celui de la trajectoire de Bullitt, l’ouvrage développe une intrigue. Bullitt, bras droit et conseiller de Wilson, a coécrit la biographie de Wilson avec Freud, fournissant le matériau sur lequel l’analyse se fonde. L’homme n’aura eu de cesse d’être aux premières loges de l’histoire : premier ambassadeur des États-Unis en URSS, il cerna avec clairvoyance la nature totalitaire du régime. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, devant les atermoiements de Roosevelt, il s’engage dans la France libre, notamment aux côtés de De Lattre. Se refusant à l’attentisme, Bullitt permet à Patrick Weil de plonger dans le tumulte du siècle. À travers l’odyssée du manuscrit, le lecteur rencontre la contingence des événements et la manière dont les récits s’élaborent. Initiatives, hésitations ou même inconséquences constituent le tissu des événements et font l’objet d’interprétations elles-mêmes divergentes au gré des nécessités, souvent politiques, du moment.

Le livre s’achève sur une interrogation salutaire : « Comment empêcher une personnalité instable d’accéder et de demeurer au pouvoir, de mener un pays et parfois le monde à la catastrophe ? » La question est d’actualité… L’écueil de la réduction du politique à la psyché individuelle est écarté (Freud lui-même était prudent) : il s’agit de mettre en place des contre-pouvoirs, des « garde-fous » institutionnels, permettant de limiter le pouvoir d’individus bien souvent trop humains. Récit historique, l’ouvrage nous intime de nous prémunir contre la tentation de remettre dans les mains d’un individu le destin de nos sociétés. La question de l’organisation collective du pouvoir décisionnel, assignant les dirigeants à la responsabilité, apparaît alors cruciale : tel est l’unique moyen de ne pas subir les conséquences d’hybris individuels.