
Théologie de l’écologie. Une Création à partager de François Euvé
On connaît la thèse qui court : à cause de son anthropocentrisme foncier, le christianisme porte une lourde responsabilité dans la destruction de l’environnement. François Euvé se garde bien d’écarter l’accusation d’un revers de main, et il ne s’en tient pas non plus à la posture défensive consistant à mettre en valeur les évolutions récentes (encyclique Laudato Si’, engagement écologique de militants et intellectuels, tournant cosmologique de la théologie) afin d’éviter les questions qui fâchent. Il va au fond des choses, en commençant par exposer de manière précise l’analyse bien connue de Lynn White, pour qui l’arrogance techniciste de l’Occident trouve son origine dans la conception chrétienne selon laquelle « l’homme partage la transcendance divine à l’égard de la nature ». Tout en montrant la complexité du sujet, au fil d’évolutions de la pensée chrétienne conduisant à des interprétations contrastées de l’injonction biblique de soumettre et dominer la nature, François Euvé reconnaît « qu’il serait faux de prétendre disjoindre toute relation entre le christianisme et l’élaboration au xviie siècle d’un nouveau rapport à la nature dans laquelle l’homme bénéficie d’une position de domination ». C’est à travers les développements successifs de la théologie de la Création qu’il dégage progressivement une tonalité proprement chrétienne de la pensée écologique. Tout d’abord, une certaine forme d’anthropocentrisme procède nécessairement du fait que, par l’Incarnation, « c’est dans une figure humaine que se manifeste “l’image” accomplie du créateur de toute chose ». La capacité humaine « à initier des processus nouveaux qui ne sont pas la simple répétition des schémas anciens » exprime au plus haut degré une créativité divine présente dans toute la nature. De là résulte l’exigence d’inscrire l’action humaine dans une finalité qui n’est pas le retour à un paradis perdu : « à l’idée de préservation s’ajoute celle d’accomplissement ». Mais cette centralité assumée de l’humain ne contredit pas l’idée d’une solidarité avec la nature : « Ce qui ressort de la lecture des textes bibliques est une vision essentiellement relationnelle. […] Aujourd’hui, nous prenons davantage conscience de la nécessité d’élargir cette relation aux entités non humaines. » En définitive, l’anthropocentrisme lui-même peut être dépassé au terme d’un cheminement conduisant à « abandonner toute idée de “centrisme”, que ce soit l’anthropocentrisme, le biocentrisme, le cosmocentrisme, et même un théocentrisme qui serait envisagé sous le mode d’une domination exclusive. Le christianisme est profondément un décentrement. Le geste créateur manifeste un décentrement radical, “un laisser place” à autrui ».