
Ève au fuseau
Dans le second tome de sa Généalogie de la morale économique, Sylvain Piron déconstruit les présupposés sur lesquels s’est construite la pensée économique depuis le Moyen-Âge, au premier rang desquels les concepts de travail et de valeur. Il produit ainsi une critique très riche de l’économie contemporaine, qui ne perd jamais de vue la crise écologique.
L’idée que la crise écologique est (ou devrait être) une crise de la pensée économique n’a désormais plus grand-chose d’original. Quelles lumières nouvelles peut donc apporter l’étude du Moyen Âge à cet égard ? Sur le plan de l’histoire des idées, Généalogie de la morale économique de Sylvain Piron, d’une érudition impressionnante, apporte certes plusieurs éclairages majeurs. Mais l’histoire qui est faite ici se veut aussi un véritable appel à « l’insurrection spirituelle » : la généalogie des concepts économiques est en effet indissociable, selon l’auteur, d’une trajectoire générale qui ne relève pas seulement des transformations de l’équipement intellectuel, mais de celles de la spiritualité elle-même.
Considérée de ce point de vue, l’économie n’est pas un corpus scientifique visant à décrire les rapports marchands ou productifs, mais la dernière forme d’un mouvement pluriséculaire que le premier tome, paru en 2018, appelait – en évoquant la polysémie du terme que révèle l’anglais busy – L’Occupation du monde. Ainsi, l’hypothèse majeure de ces deux ouvrages est que la critique des postulats de l’économie politique ne doit pas se tenir sur le terrain économique, mais sur celui de la spiritualité qui l’a engendrée. Nous vivons, affirme Sylvain Piron, « dans les ruines du christianisme », religion qui, selon la fameuse thèse de Marcel Gauchet ici invoquée, aurait permis la « sortie de la religion ». L’histoire des