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Jacinda Ardern, le 26 octobre 2017 (Photo du gouvernement général de Nouvelle-Zélande)
Jacinda Ardern, le 26 octobre 2017 (Photo du gouvernement général de Nouvelle-Zélande)
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Jacinda Ardern, Premier ministre à toute épreuve

Comment expliquer le succès de Jacinda Ardern, triomphalement réélue Premier ministre de Nouvelle-Zélande ?

Le 17 octobre 2020, Jacinda Ardern a été réélue Premier ministre de Nouvelle-Zélande avec une victoire écrasante. La majorité absolue que détient le Parti travailliste au Parlement est une première depuis l’introduction en 1996 du mode de scrutin mixte, mêlant représentation proportionnelle et majoritaire. Seules des coalitions permettaient jusqu’à présent de former des gouvernements ; pour son premier mandat, Ardern s’était associée aux Verts et au parti populiste New Zealand First. Comment expliquer, dans une année 2020 qui semble mettre à mal les responsables politiques de par le monde, cette réélection magistrale ?

Un premier mandat contrasté

La popularité d’Ardern n’est pas nouvelle : en 2017, on parle de “Jacindamania” pour celle qui devient, sept semaines seulement avant l’élection, la plus jeune cheffe du Labour. Le parti, dont la popularité ne cessait de décroître, voit aussitôt les dons affluer – et Jacinda Ardern devient peu après la plus jeune Premier ministre du pays. Bien qu’ayant fait l’ensemble de sa carrière en politique, elle incarne un renouvellement bienvenu de la classe dirigeante néo-zélandaise, dans un style accessible et proche de la population.

Cependant, cette première expérience du pouvoir est loin d’être un long fleuve tranquille. En février 2020, les sondages la montrent en danger pour l’élection d’octobre. En cause, des promesses de campagne non tenues, comme le programme Kiwibuild qui prévoyait la construction de cent mille logements sociaux supplémentaires en dix ans. Un an après cette déclaration, plus d’une centaine seulement sont construits et la politique est officiellement abandonnée en septembre 2019. Les inégalités de revenus et la pauvreté infantile sont aussi des fléaux que le premier gouvernement Ardern n’a pas réussi à éradiquer.

En réalité, Ardern doit sa réélection à son excellente gestion de la pandémie de coronavirus. Celle-ci succède à deux autres crises majeures que sont les attentats de Christchurch, ayant fait cinquante et un morts en mars 2019, et l’éruption du volcan de White Island, en décembre de la même année. Trois ans de mandat, trois crises majeures qui auraient pu faire vaciller Jacinda Ardern. En vérité, ce n’est pas en dépit de ces crises mais grâce à elles que Jacinda s’est fait réélire, avec une gestion de crise à toute épreuve.

La gestion de crise, spécialité d’Ardern

La méthode de Jacinda Ardern pour répondre aux crises est en premier lieu de réagir vite et fermement. La Nouvelle-Zélande ferme ses frontières et instaure un confinement de quatre semaines dès mars 2020. À quelques mois d’une échéance électorale, et alors que la Premier ministre est décriée dans les sondages, une telle décision n’est pas sans enjeu. Lors des attentats de Christchurch, moins d’un mois après les faits, le Parlement adoptait à la quasi-unanimité une loi bannissant les armes semi-automatiques.

En deuxième lieu, Ardern prépare le moyen terme, même lors de la crise. Ses décisions sont rapides mais non précipitées. La Nouvelle-Zélande s’est illustrée en présentant avant même le confinement une stratégie comprenant quatre seuils d’alerte selon l’évolution de l’épidémie, avec des mesures sanitaires correspondantes. Quant à l’éruption du volcan de White Island, elle a donné lieu à un débat autour des risques de l’industrie touristique néo-zélandaise (glaciers, volcans, etc.) et d’une régulation souhaitable. Cependant, Jacinda Ardern a annoncé suspendre son jugement sur ces questions jusqu’à la fin de l’enquête, toujours en cours. La réaction rapide n’empêche pas de prendre le temps de la réflexion lorsque le contexte l’exige.

Enfin, Ardern explique clairement les décisions prises, et ce par des canaux multiples : elle utilise régulièrement des lives Facebook pour expliquer ses politiques et, dans le cas de la pandémie, le confinement et les seuils d’alerte. Une communication directe qui ne s’oppose pas aux médias traditionnels, pour lesquels Ardern réserve, chaque jour durant la crise du coronavirus, une conférence de presse avec un temps important dédié aux questions. Dans un contexte où de nombreux dirigeants font le choix de s’éloigner des médias, la cheffe de gouvernement saisit au contraire l’opportunité d’expliquer de rallier la population à ses décisions. Cette méthode a fait ses preuves et a contribué à sa réélection d’octobre dernier.

Le leadership néo-zélandais

La Premier ministre ne fait pas qu’expliquer les décisions : elle les justifie également en leur donnant du sens, à savoir qu’elles contribuent au bien commun. Pour le confinement, les mesures sanitaires restreignaient certes les libertés de chacun, mais elles étaient là pour protéger et prendre soin des uns et des autres. Quant à l’interdiction des armes semi-automatiques, c’était l’intérêt national que constitue la sécurité de tous. Cette justification permet d’en appeler à chacun pour respecter les règles, qu’il s’agisse des mesures sanitaires ou de l’obligation de porter des armes, désormais interdites, à la police. Dans les deux cas, le pari semble avoir été tenu.

Jacinda Ardern n’édicte pas seulement des règles pour les autres : les efforts qu’elle demande à ses concitoyens valent en premier lieu pour elle-même. En avril 2020, elle baisse son salaire et celui de ses ministres de 20 %, par solidarité avec les personnes touchées par la crise, mais aussi pour réduire les inégalités. Le récent débat électoral avec la cheffe de l’opposition Judith Collins a été l’occasion de prouver l’implication personnelle de Jacinda Ardern. Interrogée sur les raisons pour lesquelles elle ferait une bonne Premier ministre, Judith Collins mentionne sa longue expérience de juriste et de cheffe d’entreprise. Jacinda Ardern, au contraire, revient à ce qui fait le cœur de la mission d’un Premier Ministre : que ce n’est pas un droit mais un privilège. En d’autres termes, qu’elle est l’obligée des Néo-Zélandais, et qu’elle est là pour les servir.

Enfin, les crises sont l’occasion de démontrer le leadership de la Nouvelle-Zélande. Lorsqu’en novembre 2019 le Parlement vote la loi de réponse au changement climatique, visant la neutralité carbone en 2050, Jacinda Ardern explique que la Nouvelle-Zélande se place, une fois de plus – après avoir été le premier pays à donner le droit de vote aux femmes et avoir choisi d’être une zone dénucléarisée – du bon côté de l’Histoire. La cheffe d’État fait l’effort d’inscrire ses décisions dans le temps long. La tragédie des attentats de Christchurch a notamment été, pour Ardern, l’occasion de réaffirmer les valeurs de tolérance et d’unité nationale de la Nouvelle-Zélande, faisant ainsi d’un événement destructeur un symbole de la société néo-zélandaise.

Jacinda Ardern a été forgée par les multiples crises qui ont parsemé son mandat et qu’elle a gérées d’une main de maître. Elle a fait de ces moments difficiles, et dangereux pour un chef de gouvernement, l’occasion de démontrer son leadership, à la fois en Nouvelle-Zélande mais aussi dans le monde. Cependant, les difficultés économiques et sociales sont en train de s’aggraver avec la première récession que connaît le pays en dix ans, à la suite de la pandémie. Après s’être illustrée dans la gestion de crise, le plus dur reste à faire pour Ardern : convaincre la population sur le reste de ses politiques publiques.

Diane Delaurens

Diane Delaurens est haut fonctionnaire, diplomée de Sciences Po et l'ENA, et titulaire d'une licence de philosophie. Elle s'intéresse notamment aux rapports entre philosophie et politiques publiques.