
Gestion de l’eau : ce que l’Australie peut nous apprendre
L’expérience australienne montre que si des marchés de l’eau peuvent aider, ils doivent être bien conçus et régulés, et s’accompagner d’une réduction de la consommation humaine d’eau ainsi que d’un débat démocratique informé.
L’été 2022 aura marqué les esprits en France : feux de forêt, vagues de chaleur à répétition, sécheresse foudroyante. Le changement climatique est là et, avec lui, le besoin de repenser nos sociétés, en particulier sur la question de l’eau. Or la France peut regarder du côté du continent habité le plus aride du monde, l’Australie, pour lequel la question se pose depuis plus de vingt ans. Si le problème n’y est pas réglé, certaines leçons peuvent cependant être utiles à la France en matière de politiques publiques. En particulier, l’expérience australienne montre que si des marchés de l’eau peuvent aider, ils doivent être bien conçus et régulés, et s’accompagner d’une réduction de la consommation humaine d’eau ainsi que d’un débat démocratique informé.
Les marchés de l’eau
Les marchés de l’eau existent depuis les années 1980 en Australie pour partager l’eau du bassin Murray-Darling, sur lequel repose la vie de plus de deux millions de personnes, entre ses différents usages (irrigation, consommation urbaine, industrie). Ces marchés sont soutenus par les Verts, en ce qu’ils permettent d’apprécier la valeur de l’eau et de préserver cette dernière, en organisant une compétition pour son allocation plutôt qu’une consommation débridée.
Or l’expérience montre que ces marchés doivent être bien conçus et régulés. En 1990, les droits sur l’eau sont séparés des droits de propriété : on peut désormais acheter de l’eau sans en avoir l’usage réel. Cette séparation a mené à l’ouverture des marchés à des entreprises financières, intéressées non dans la ressource elle-même mais dans l’actif qu’elle représente pour des échanges, menant à des dérives en matière de spéculation et donc de prix. Dans son dernier rapport, la Commission pour la concurrence et les consommateurs australienne recommande de créer une autorité de régulation de ces marchés.
Les marchés de l’eau ont également transformé l’agriculture australienne. En encourageant les cultures avec le plus fort taux de retour sur l’eau, ils ont fait prospérer les cultures les plus profitables comme les fruits à coque (amandes, noix de macadamia) au détriment d’autres cultures tout aussi essentielles, comme le raisin ou les citrons, ou encore du bétail. Ils ont également incité, à travers le haut prix de l’eau, au regroupement des petites fermes en de grosses propriétés. La France pourrait prévenir ces externalités pour assurer une agriculture pérenne et limiter les participants des marchés aux usagers réels.
Réduire la consommation
Le changement climatique implique que l’eau va devenir une ressource de plus en plus rare. Les marchés de l’eau peuvent organiser cette rareté, à condition que la quantité d’eau qui est prélevée des bassins soit soutenable pour que ceux-ci se maintiennent. Or c’est exactement ce qui est été critiqué en Australie. Selon l’avocat Richard Beasley, la quantité d’eau prélevable n’a pas été fixée selon une approche scientifique, mais politique, privilégiant les intérêts économiques et sociaux et non ceux de l’environnement, amenant à une limite trop élevée perpétuant la surconsommation actuelle1.
Assurer que l’environnement ait accès à son allocation, même basse, est également une épineuse question. Le dernier rapport de la revue indépendante des flots environnementaux, datant de décembre 2021, conclut que ceux-ci ne peuvent être récupérés dans l’état actuel des choses. Un rapport indépendant d’un groupe de scientifiques inquiets établit que seulement 20 % en moyenne du débit prévu pour l’environnement est manquant.
Si le gouvernement fédéral australien rachetait de l’eau sur les marchés pour la rendre à l’environnement, il a mis un terme à cette politique en 2020 au profit de mesures d’efficience, comme l’irrigation au compte-gouttes. Or de telles mesures ont été décriées par la littérature scientifique en ce qu’elles sont près de trois fois plus chères pour le contribuable et aggravent la surconsommation en favorisant l’expansion des terres arables. Les mesures d’incitation font que l’agriculteur peut conserver 50 % de l’eau « économisée », qu’il peut ainsi utiliser pour irriguer plus de cultures. De fait, au-delà du marché et de la technologie, le préalable à toute gestion de l’eau est la réduction de notre consommation.
Un débat informé et démocratique
En Australie, l’usage de l’eau est un sujet vital qui touche chaque citoyen dans sa vie quotidienne, de l’Outback jusque dans les grandes métropoles, où les niveaux de restriction d’usage sont normaux. Par exemple, les habitants de Melbourne, qui gardent un souvenir vivace de la sécheresse millénaire des années 2000, doivent obligatoirement avoir un pistolet sur leur tuyau d’arrosage. Ceux de Sydney savent que les restrictions sont décidées en fonction du barrage de Warragamba, dont le niveau est indiqué dans le journal à la page météo.
Dans les médias, le plan de gestion du bassin Murray-Darling est très régulièrement discuté. Le constat de son échec, du moins partiel, est partagé, tandis que les mesures pour y remédier sont l’objet de débats récurrents entre les différents partis politiques. Quoi que l’Australie décide, la France devrait y prêter attention pour informer ses propres politiques. L’inventivité de l’Australie, poussée par la nécessité, fait, par exemple, qu’elle a adopté dans les années 1990 (avant de s’en défaire en raison de ses effets dégressifs pour les familles nombreuses) la tarification sociale de l’eau, toujours discutée en France.
La connaissance des citoyens de leur source d’eau et des règles y afférant est une condition essentielle à une bonne gestion de l’eau. Ce qui est un fait de longue date en Australie est un enjeu nouveau pour la France. A minima, les événements de ces dernières semaines devraient aider pour une prise de conscience généralisée et l’éducation de la population.
Les décennies d’avance de l’Australie recèlent de leçons pour la France afin que celle-ci ne commette pas les mêmes erreurs. L’éducation de la population pour un débat démocratique éclairé, une réduction nécessaire de la consommation d’eau pour préserver l’environnement, et des marchés régulés et limités aux usages réels de cette ressource pour organiser cette consommation : voici trois leçons pour se lancer.
- 1. Richard Beasley, Dead in the Water: A Very Angry Book About Our Greatest Environmental Catastrophe… The Death of the Murray-Darling Basin, Crows Nest, Allen & Unwin, 2021.