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Une manifestation à Brisbane (Australie) en réponse à l’ingérence des incendies. 10 janvier 2020, | Via Wikimédia
Une manifestation à Brisbane (Australie) en réponse à l'ingérence des incendies. 10 janvier 2020, | Via Wikimédia
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L’Australie contre le changement climatique

En Australie, la posture climato-sceptique du gouvernement cache une importante mobilisation des États fédérés et des citoyens en faveur de l’écologie.

L’Australie est souvent vue comme une mauvaise élève de la lutte contre le changement climatique. Avec un sous-sol riche en charbon et en gaz, elle est en 2019 le troisième exportateur mondial de combustible fossile. Son engagement dans le cadre de l’accord de Paris, plutôt modeste puisqu’il prévoit réduire de 26 à 28 % les émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport au niveau de 2005, n’est pas sûr d’être atteint : après une période de baisse annuelle des émissions entre 2005 et 2013, celles-ci sont reparties à la hausse depuis 2015 et continuent d’augmenter d’une année sur l’autre. À la fin de l’année dernière, alors même que le pays était en proie à des incendies dévastateurs sur près de 19 millions d’hectares, le gouvernement affichait clairement son climato-scepticisme. Le Premier ministre a récemment annoncé que le gouvernement fédéral interviendrait pour financer une nouvelle centrale à gaz, si le secteur privé ne le faisait pas, dans le cadre de la relance post-Covid. Devant un tel tableau, l’Australie ne semble pas près de reverdir son blason. Pourtant, la réalité pourrait bien être tout autre.

En premier lieu, l’Australie est un pays fédéral et une grande part du pouvoir est en réalité dans les mains des États. De fait, la compétence écologique n’est pas clairement attribuée. Certains États ont mis en place des programmes de réduction d’émissions de gaz à effet de serre avant que le gouvernement fédéral n’introduise en 2012 un prix du carbone, fixé au départ à 23 dollars australiens la tonne. Ce marché carbone était ensuite censé connaître un prix flottant et rejoindre le marché de l’Union européenne. Il a néanmoins été démantelé lors de ­l’alternance libérale en 2014 et n’a jamais été réalisé. Les États se trouvent donc aujourd’hui dans un contexte d’incertitude fédérale qui leur laisse à nouveau la voie libre pour agir.

Et ils le font. L’État de Nouvelle-Galles du Sud, le plus peuplé du pays, s’est fixé l’objectif de neutralité carbone en 2050 et a publié en juin dernier le premier volet de sa stratégie décennale pour y parvenir. Quant à l’Australie méridionale, elle est pionnière en termes de transition énergétique : 40 % de son électricité est générée par des énergies renouvelables (vent et photovoltaïque) avec capacités de stockage, ce qui la place en bonne position pour atteindre son objectif de 75 % de génération électrique renouvelable d’ici 2025. Le Victoria a, quant à lui, décidé de s’affranchir des règles fédérales du marché électrique en mars dernier. Les États sont donc les acteurs politiques qu’il faut garder à l’œil pour avoir une image réelle de la transition écologique en Australie.

En deuxième lieu, les données économiques changent à grande vitesse. Les énergies renouvelables ont vu leur coût diminuer drastiquement ces dernières années. Selon l’Agence internationale des énergies renouvelables, elles s’imposent désormais dans plusieurs endroits du monde comme une solution moins coûteuse que l’énergie fossile pour produire de l’électricité. C’est notamment le cas en Australie en 2019 : les énergies renouvelables que sont l’éolien et le photovoltaïque coûtent en 2019 moins cher que de construire de nouvelles centrales à charbon ou à gaz (en incluant le coût du back-up nécessaire pour assurer une offre d’électricité continue pour ces énergies intermittentes)1. La chute de ces coûts provient, d’une part, de la baisse des taux d’intérêt, qui permet un investissement moins coûteux dans les projets éoliens et solaires, et, d’autre part, de la baisse du prix des équipements eux-mêmes grâce au progrès technologique.

Dans ce nouveau contexte, il est économiquement rationnel pour ­l’Australie d’atténuer dès maintenant le changement climatique en limitant ses émissions de gaz à effet de serre. L’argument qu’il est moins coûteux de le faire plus tard, car la croissance économique allant, l’effort d’atténuation coûtera relativement moins cher à des générations futures plus riches ne tient plus avec la baisse des taux d’intérêt. Surtout, l’Australie a économiquement intérêt à délaisser les industries du passé pour devenir leader dans celles du futur, à savoir l’éolien et le solaire, grâce à son immense désert et au stockage par batterie ou hydraulique. Ces atouts en font également, selon l’Agence internationale de l’énergie, un champion potentiel de la production d’hydrogène, lequel permettra de favoriser une industrie, des transports et des bâtiments moins émetteurs de gaz à effet de serre. Le gouvernement fédéral a d’ailleurs publié en novembre 2019 sa stratégie hydrogène. La nouvelle donne éco­nomique fait de l’Australie le prochain champion des énergies vertes en lieu et place des énergies fossiles.

La population australienne est aussi directement concernée par les effets du changement climatique. Elle subit en effet des épisodes météorologiques extrêmes plus intenses et plus fréquents, conformément aux prédictions des rapports du Groupe intergouvernemental d’experts pour le climat. Les sécheresses sont plus longues et plus fréquentes, faisant des restrictions d’usage de l’eau une habitude dans les grandes villes ; les feux de brousse sont plus étendus et durent plus longtemps : ceux de 2019-2020 ont commencé bien en avance par rapport à la saison habituelle ; les inondations, comme à l’été austral 2019, sont d’autant plus brusques et plus violentes. Ces épisodes sonnent comme un signal d’alarme auprès de nombreux citoyens australiens.

De fait, les récents sondages montrent que la majorité de la population (60 %) soutient davantage d’actions en faveur du changement climatique. En parallèle, la mobilisation ­s’organise depuis quelques années avec les marches pour le climat organisées le vendredi (Fridays for future), qui sont parmi les plus suivies sur la planète et rassemblent quelques centaines de milliers de personnes. Les mouvements contestataires ont aussi trouvé un terreau en Australie, avec notamment la campagne Stop Adani visant à empêcher une nouvelle mine de charbon dans le Queensland. L’action ne passe pas seulement par l’engagement politique : les Australiens agissent aussi pragmatiquement en installant des panneaux solaires sur leur toit, ce qui réduit leur facture et protège l’environnement. Fin 2018, plus de 20 % des habitations disposaient de panneaux solaires et la tendance est toujours à la hausse. La population australienne est donc un acteur essentiel, informé et concerné, de cette transition énergétique.

L’Australie a toutes les cartes en main pour devenir un modèle de la décarbonisation.

Loin de l’image traditionnelle d’un pays en retard sur la question climatique, l’Australie a au contraire toutes les cartes en main pour devenir un modèle de la décarbonisation : une population informée et sensible à ce sujet, une fenêtre économique qui s’ouvre et des États qui en font un objectif politique assumé. Le tableau n’est bien sûr pas tout vert : la production d’électricité n’est qu’un chantier parmi tous ceux (industrie, transports, bâtiments) dont dépend une véritable transition écologique, les ventes de grosses voitures continuent d’augmenter et les changements décrits ne remettent pas encore en cause le mode de vie du pays tout entier. Néanmoins, les opportunités sont là et l’Australie pourrait bien devenir, dans les prochaines années, un modèle en matière de lutte contre le changement climatique.

  • 1.Voir Ross Garnaut, Superpower: Australia’s Low-Carbon Opportunity, Carlton, Black Inc., 2019.

Diane Delaurens

Diane Delaurens est haut fonctionnaire, diplomée de Sciences Po et l'ENA, et titulaire d'une licence de philosophie. Elle s'intéresse notamment aux rapports entre philosophie et politiques publiques.

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