
Les leçons des élections australiennes
Les élections australiennes de mai 2022 ont vu la campagne s’articuler bien davantage autour des personnalités des candidats que de leurs programmes. La défiance envers les partis traditionnels a engendré une diversification de l’offre politique et la montée en importance de la question climatique, délaissée par les candidats principaux au profit de la question économique.
Le 21 mai 2022, les Australiens se sont rendus aux urnes pour élire leurs représentants ainsi que la moitié de leurs sénateurs. Ce vote a décidé du parti majoritaire à la chambre basse et donc du nouveau Premier ministre, le travailliste Anthony Albanese, ainsi que de la moitié des sénateurs. On peut retenir trois leçons de ces élections.
Les candidats des deux principaux partis, libéral et travailliste, ont mené une campagne très personnelle, se présentant essentiellement comme l’alternative au pire que représentait l’adversaire. Dans ses annonces, le Labor n’a pas hésité à comparer l’élection à « un choix entre plus de Morrison ou un meilleur avenir » ; le Parti libéral n’était pas en reste avec de nombreuses attaques sur la « girouette » Albanese, soulignant son incapacité à tenir une ligne claire. Chacun a également mis en avant ses atouts personnels : une vie de famille bien rangée pour Scott Morrison, avec une femme et deux filles et allant à l’église toutes les semaines, et une ascension sociale remarquable pour Albanese, fils unique élevé par une mère handicapée dans des logements sociaux.
En Australie, à l’heure des réseaux sociaux, les campagnes semblent s’intéresser beaucoup plus aux défauts de l’adversaire qu’au programme que son parti se propose de mettre en œuvre. Or c’est exactement ce que les électeurs australiens ont sanctionné dans les urnes, demandant un changement politique majeur et faisant place à de nouveaux venus en politique : des candidats indépendants issus de la société civile.
L’autre enseignement de cette élection est en effet l’affaiblissement du bipartisme australien. L’un des marqueurs de la campagne australienne a été l’apparition de nombreuses candidatures indépendantes, qui ont menacé et pour certaines remporté certaines circonscriptions au détriment des partis traditionnels. Alors que le système de Westminster encourage la présence de deux partis principaux, l’offre politique australienne voit depuis quelques années le crossbench, composé de partis minoritaires et d’élus indépendants, gagner en importance et devenir un point de négociation essentiel pour le vote de certaines législations.
Cette élection manifeste donc un désir de renouvellement de l’offre politique australienne, ainsi qu’une certaine défiance envers les partis principaux. Les candidates indépendantes, car ce sont en majorité des femmes, ont en effet fait campagne sur l’instauration d’une commission anticorruption au niveau fédéral, ce qui était une promesse de l’ancien Premier ministre Scott Morrison, mais qui n’a pas vu le jour. La dernière législature a également connu plusieurs scandales d’attribution de fonds à des circonscriptions libérales. Ces candidatures issues de la société civile plaident pour un renouveau politique australien et s’engagent à proposer une alternative solide, notamment en matière de climat.
Les résultats de l’élection montrent que la question climatique a été essentielle dans le vote des Australiens.
Les résultats de l’élection montrent que la question climatique a été essentielle dans le vote des Australiens. Les Verts font en effet leur meilleur résultat depuis leur création, ayant remporté quatre sièges à la Chambre des représentants, et étant en lice pour avoir jusqu’à douze sénateurs, contre un représentant et neuf sénateurs lors de la dernière législature. Les candidats indépendants, qui ont axé leur campagne autour du changement climatique, sont aussi extrêmement bien représentés à la chambre basse avec dix indépendants élus contre six lors de la dernière législature. L’initiative « Climate 200 », lancée par Simon Holmes à Court, a offert aux candidats s’engageant pour le climat une aide matérielle pour leur campagne, participant ainsi à la victoire des « indépendants bleu sarcelle » (teal independents) qui ont fait tant parler d’eux.
Cette irruption du climat lors des résultats contraste avec son absence dans la campagne. Les deux partis principaux se sont en effet focalisés sur l’économie, en particulier le coût de la vie. Le contexte l’explique en partie : avec le retour d’une inflation à plus de 5 % et la remontée des taux d’intérêt, les questions économiques d’augmentation des salaires, de réductions d’impôt et d’accès à la propriété immobilière ont dominé la campagne. Cela résulte aussi des stratégies électorales des deux partis : le Parti libéral n’est traditionnellement pas sensible au climat ; du côté travailliste, le fait d’avoir perdu « l’élection imperdable » de 2019 a été attribué à un programme climatique trop ambitieux pour les électeurs, qui a été revu à la baisse cette fois-ci. Or, en 2022, les résultats montrent que ce sont les citoyens qui sont en avance sur les politiques.
L’élection de 2022 est le symptôme d’une vie politique australienne en pleine mutation : après neuf ans de gouvernement libéral, le Parti travailliste est à nouveau au pouvoir avec un gouvernement majoritaire à la chambre basse, mais qui devra probablement compter sur les Verts au Sénat pour faire passer ses législations. Sur le fond comme sur la forme, les considérations climatiques et anticorruption de nouveaux candidats souhaitant « changer le système » ont fait de l’ombre aux partis travailliste et libéral.