
Mystery Sonatas / for Rosa, l'alliance de la danse et de la musique selon Anne Teresa De Keersmaeker
Anne Teresa De Keersmaeker présente actuellement en France son nouveau spectacle, Mystery Sonatas / for Rosa. À cette occasion, la chorégraphe et danseuse flamande, qui élabore depuis le début des années 1980 une manière unique d’allier danse et musique, répète et décline la rose comme motif central et évocation de la splendeur et de la fraîcheur, mais aussi de la résistance et de l’obstacle.
Anne Teresa De Keersmaeker présente actuellement en France un spectacle à couper le souffle. Mystery Sonatas / for Rosa était à l’Opéra de Lille du 15 au 17 mars, et sera ces prochains jours au Théâtre du Chatelet à Paris, puis à l’Arsenal de Metz. La brillante chorégraphe et danseuse flamande a élaboré depuis le début des années 1980 une manière unique d’allier danse et musique. Rosas danst Rosas, l’immense spectacle bâti en 1983, lui a ouvert toutes les plus grandes salles du monde et permis de fonder sa propre compagnie, Rosas. La version filmée par Thierry de Mey en 1996, Rosas dans Rosas, est célébrée comme un sommet du cinéma de danse. La mise en scène magnifiait les saccades, les répétitions, les figures géométriques qui habitent ses chorégraphies. Ce style singulier attire des danseurs du monde entier vers son école de Bruxelles, les P.A.R.T.S (Performing Arts Research and Training Studios), créés en 1995. La danseuse a toujours expliqué que son inspiration lui venait autant de la nature que des lignes géométriques de la ville. « Écologie et esthétique sont des termes presque synonymes pour moi : la recherche du beau s’accompagne toujours d’une curiosité pour l’ordre naturel » confiait-elle en 2018, au Monde, lors de l’hommage que lui avait rendu le Festival d’Automne.
Sa dernière création, Mystery Sonatas / For Rosa, associe la violoniste et directrice musicale Amandine Beyer à six danseurs qui répondent sur scène au violon, à la viole de gambe, au théorbe et à l’archiluth et au clavecin. La chorégraphie accompagne et incarne les Sonates du Mystère de Heinrich Ignaz Franz von Biber - également connues sous le nom de Sonates du Rosaire - composées en 1676. Ce chef d’œuvre sur l’art du violon, triomphe de la musique baroque, retrace les quinze mystères sacrés de la vie de Marie et Jésus en cinq mouvements. Épousant la forme de cet exercice de dévotion traditionnellement composé de trois chapelets, les sonates de Biber sont divisées en trois cycles : cinq sonates joyeuses, cinq douloureuses et cinq glorieuses. La chorégraphie fait vibrer ces émotions en déclinant les figures géométriques qui habitent l’œuvre de Anne Teresa De Keersmaeker et les formes caractéristiques de la suite de danses : spirales et arabesques, accompagnant gigue, allemande ou courante. Et, comme souvent chez la chorégraphe belge, elles s’organisent autour d’un motif central, répété et décliné, celui de la rose qui évoque la splendeur, la fraîcheur, mais aussi la résistance et l’obstacle (les épines). En hommage à des résistantes plus ou moins célèbres : Rosa Bonheur (la peintre), Rosa Luxemburg (la révolutionnaire), Rosa Parks (l’activiste afro-caméricain), Rosa Vergaelen (la professeure de latin), ainsi que Rosa Reichel, jeune militante pour le climat, décédée pendant les inondations de 2021 en Belgique.
Les corps répondent aux instruments : des mouvements tout en bras font écho aux archets, quand les sauts et les bondissements répondent aux notes de piano. Les instruments sont partie prenante de la chorégraphie. Postés en avant-scène, les musiciens deviennent danseurs. Amandine Bayer « fait danser la musique » pour reprendre l’expression de Anne Teresa De Keersmaeker. Et la réussite du spectacle doit beaucoup à son extraordinaire performance au violon. Elle nous invite à danser, comme « une violoniste sur une place de marché » dit la chorégraphe. Son allant et son énergie suscitent un engagement de tout son corps et appellent les réponses des danseurs. Sa gestuelle riche et expressive semble relancer leurs mouvements, faire danser leur marche en cercles, faire se rencontrer leurs trajectoires. Leurs courses et mouvements, parfois indépendants et parfois accordés à ceux des autres, se jouent des lumières qui tombent du ciel sur la scène obscure. Ce jeu de lumières exprime avec force la spiritualité des sonates et porte la grâce toute humble et vulnérable des danseurs. Leurs élans de croyance et de spiritualité évoquent la magnifique nuit chorégraphique de Clément Cogitore pour l’opéra-ballet de Rameau, composé un demi siècle plus tard, en 1735, dans sa mise en scène de Les Indes Galantes, en 2019 à l'Opéra Bastille, et celle de son récent et passionnant film Goutte d’or. Ces percées de lumière dans l’obscurité découpent les espaces, et opèrent cette confrontation entre l’avant et l’arrière scène qui travaille à la rencontre presque mystique des corps des danseurs et de la musique, des musiciens et des instruments. Le résultat est une splendeur ; un sommet de musique et de danse. Un spectacle à ne pas manquer ; qu’on peine à imaginer dans sa version lyonnaise, à la Maison de la Danse, de novembre 2022, où les danseurs étaient accompagnés d’une bande son enregistrée, privés de la présence d'Amandine Beyer et de celle de ses musiciens.
Dates à venir
Du 23 au 25 mars 2023 au Théâtre du Châtelet, à Paris et le 31 mars 2023 à l'Arsenal, à Metz.