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Benjamin Netanyahu et le président américain Donald Trump lors de leur rencontre à l’hôtel King David à Jérusalem. Lundi 22 mai 2017 - Photo par Haim Zach / GPO via Flickr (CC BY-NC 2.0)
Benjamin Netanyahu et le président américain Donald Trump lors de leur rencontre à l'hôtel King David à Jérusalem. Lundi 22 mai 2017 - Photo par Haim Zach / GPO via Flickr (CC BY-NC 2.0)
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L’héritage de Donald Trump au Moyen-Orient

Cherchant à rendre sa politique au Moyen-Orient aussi irréversible que possible, Donald Trump continue de donner des gages à la droite israélienne, au risque de créer des situations illégales et à terme intenables, qui éloignent encore la perspective de voir se créer un État palestinien souverain. 

Largement battu à la présidentielle du 3 novembre 2020 par Joe Biden, Donald Trump continue, un mois après le scrutin, de nier sa défaite. Estimant que les élections ont été truquées dans de nombreux États, il récuse en bloc les résultats et prétend être le vainqueur. Et lorsqu’on lui demande s’il va quand même partir de la Maison Blanche, il répond par l’affirmative… « si Joe Biden est en mesure de prouver que les 80 millions de suffrages qu’il a obtenus sont bien légaux ».

Déni de réalité

On aurait sans doute tort de réduire l’interprétation de cette posture à une dimension psychologique du personnage. En fait, il sait très bien où il veut aller et ce qu’il veut obtenir, au-delà de l’impossible satisfaction de son ego démesuré. C’est en toute lucidité qu’il mesure les effets de sa dénégation. En délégitimant ainsi son successeur auprès d’une partie de l’électorat, il le déstabilise et renforce son positionnement auprès du noyau dur de ses électeurs et donc du parti républicain.

Jusqu’à un certain point, il en est de même vis-vis du Moyen-Orient où, dans le déni de la complexité des enjeux et du droit international, il a conduit une politique prenant l’exact contrepied de ce qu’avait fait ou tenté l’administration Obama sur le conflit israélo-palestinien et la relation avec l’Iran, tout en poursuivant à sa manière le mouvement général de retrait des troupes américaines de la région. Le tout avec une « méthode » erratique et désordonnée – concrétisée par des rafales de tweets – qui a souvent décontenancé ses alliés et même sa propre administration.

Sur Israël et la Palestine, Donald Trump a pris une série de décisions majeures allant toutes dans le sens d’un soutien inconditionnel à Israël et, plus précisément, à la droite et à l’extrême droite au pouvoir. Le 8 décembre 2017, Jérusalem est reconnue comme capitale d’Israël tandis que la nouvelle ambassade des États-Unis, transférée de Tel-Aviv à Jérusalem, est inaugurée le 14 mai 2018. En août de la même année, il décide une baisse drastique du financement de l’Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient, l’UNWRA, avec l’idée aberrante qu’il faut en finir avec cette agence pour qu’il n’y ait plus de réfugiés et donc plus de revendication du droit au retour par les Palestiniens ! En septembre 2018, le bureau de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Washington, ouvert en 1994, est fermé. Et en novembre 2019, le Secrétaire d’État Mike Pompéo déclare, en rupture complète avec la position des États-Unis depuis des décennies, que « l’établissement de colonies de civils israéliens en Cisjordanie nest pas en soi contraire au droit international ».

Enfin le 20 janvier 2020, Donald Trump dévoile son « plan de paix » en présence de son équipe, du Premier ministre israélien et de trois ambassadeurs arabes (des Émirats arabes unis, d’Oman et de Bahrein). Ce « deal du siècle » peut tenir en une formule simple : tout, tout de suite, pour Israël en échange de presque rien, plus tard peut-être, pour les Palestiniens. Israël peut annexer immédiatement toutes les colonies, la vallée du Jourdain et les eaux territoriales au large de Gaza avec leurs ressources en gaz, « en échange » de l’éventuelle création sous conditions, d’ici quatre ans, d’un État palestinien sans souveraineté ni continuité territoriale tandis que le statut des lieux saints musulmans à Jérusalem, qui consacrait le rôle de la Jordanie, serait supprimé…

Si Barack Obama n’était pas parvenu à relancer un véritable processus de paix, il a, par contre, réussi à trouver un compromis sur la question du nucléaire iranien avec la signature du JCPoA1 en juillet 2015. Cet accord qui mettait un terme à plus de dix ans de négociations et de tensions entre l’Iran et les 5+1 était fondé sur deux grands principes : les sanctions contre l’Iran seraient progressivement levées dès lors que Téhéran s’engageait, pour au moins dix ans, à limiter strictement son programme nucléaire placé sous l’étroit contrôle de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Alors que les rapports de celle-ci attestaient que l’Iran respectait ses engagements et que de nombreuses entreprises (notamment françaises, comme Total, Airbus, PSA, ou Renault) se préparaient à investir le marché iranien, Donald Trump a décidé en mai 2018 d’en retirer les États-Unis, d’alourdir les sanctions et de bloquer tous les efforts des autres signataires pour rester dans l’accord, notamment dans ses dimensions économiques et commerciales.

Effets pervers

Loin d’apporter le moindre espoir d’une relance d’un processus de paix, l’asymétrie du « deal du siècle » était tellement grossière qu’elle a même gêné certains des plus proches alliés d’Israël. Ces derniers ne voulaient pas de cette annexion annoncée, qui consisterait à transformer l’État hébreu en un système d’apartheid institutionnalisé, avec des populations palestiniennes aux statuts très différents selon le territoire sur lequel elles se trouvent : résidents à Jérusalem, sans aucun droit dans les parties annexées, citoyens de seconde zone en Israël. Par ailleurs, une annexion d’une partie la Cisjordanie aurait désintégré l’Autorité palestinienne, déjà bien affaiblie, puisqu’elle en aurait été réduite à gérer une impossible entité territoriale fragmentée, et disloquée. Ce qui reste d’Oslo aurait fini en cendres laissant partout un vide politique abyssal où toutes les formes de violence pouvaient s’engouffrer tant les frustrations et les humiliations seraient devenues insupportables. Une bonne partie de la jeunesse palestinienne, aujourd’hui démographiquement majoritaire, aurait sans doute définitivement abandonné le rêve d’un État palestinien indépendant auquel elle ne croit déjà plus guère. Un tel scénario n’était donc rien d’autre qu’une dangereuse régression pour tous y compris pour Israël.

À chacun son rêve, et celui de beaucoup d’Israéliens est celui d’un État juif et démocratique. Or avec ces annexions et le maintien des Palestiniens sans aucun droit – comme c’est déjà le cas avec l’occupation – Israël n’aurait plus rien d’une démocratie. Et si on accordait les droits civiques et politiques à ces populations annexées, se poserait alors la lancinante question démographique. Aujourd’hui dans les frontières de la Palestine mandataire, il y a, à peu près, parité : 7 millions de juifs et 7 millions de Palestiniens (2 millions de citoyens Israéliens et 5 millions entre Gaza, la Cisjordanie et Jérusalem-Est). Dès lors, si les territoires palestiniens passent sous la souveraineté israélienne, Israël ne serait plus un État juif.

Quant à la remise en cause du JCPoA, elle est d’autant plus préoccupante qu’elle pourrait déboucher à terme sur un affrontement armé interétatique de grande ampleur. En l’absence de règles issues d’un compromis accepté par toutes les parties, chacun reprend sa liberté d’action, à commencer par l’Iran qui s’est, pas à pas, éloigné de ses obligations notamment en relançant ses centrifugeuses pour produire à nouveau de l’uranium enrichi pour parvenir au seuil nucléaire (c’est-à-dire à la capacité de produire rapidement une arme nucléaire). Loin d’affaiblir le régime, l’aggravation des sanctions l’a plutôt renforcé autour d’un discours nationaliste durci par ses partisans les plus radicaux.

Terre brûlée

Au moment où ces lignes sont écrites, Donald Trump, encore au pouvoir jusqu’au 20 janvier 2021, parait décidé à pousser aussi loin que possible la politique du fait accompli. Lors de sa visite en Israël le 19 novembre, Mike Pompéo s’est rendu dans une colonie en Cisjordanie occupée, puis sur le plateau du Golan unilatéralement annexé, ce qu’aucun responsable américain n’avait fait avant lui. À cette occasion, il a beaucoup parlé de l’Iran avec Benjamin Netanyahou et Yossi Cohen, le patron du Mossad qu’il a rencontré lorsqu’il était lui-même directeur de la CIA. Comme ils craignent que l’administration Biden renoue avec le JCPoA, nul doute qu’ils ont envisagé toutes les possibilités pour contrarier cette éventualité. Quelques jours auparavant, Donald Trump avait lui-même demandé à ses collaborateurs d’évaluer des scénarios de frappe aérienne contre les sites nucléaires iraniens. Si ces options ont été écartées, il en reste bien d’autres, et ce n’est sans doute pas un hasard du calendrier si l’une des figures majeures du programme nucléaire iranien, Moshen Fakhrizadeh, a été assassiné dans la banlieue de Téhéran le 27 novembre. Difficile de croire en effet que les Israéliens n’en aient pas parlé au chef de la diplomatie américaine. Or ce meurtre pourrait conduire l’Iran à mener des actions de représailles contre Israël, aussitôt accusée par le régime d’en être le commanditaire.

Sous réserve de l’état de la situation géopolitique que trouvera Joe Biden le 20 janvier, on peut s’attendre à une rupture assez nette sur ces deux questions majeures. Joe Biden ne reviendra ni sur la reconnaissance de Jérusalem comme capitale d’Israël ni sur le transfert de l’ambassade, pas plus qu’il ne remettra en cause la normalisation entre l’État hébreu et les Émirats arabes unis et Bahrein. Il écartera définitivement, en revanche, les autres dimensions du plan Trump. Et des contacts ont d’ores et déjà été pris avec l’Autorité palestinienne, évidemment prête à renouer le dialogue. La réouverture du consulat américain à Jérusalem-Est pourrait être un signe fort de cette nouvelle phase tout comme celle du bureau de l’OLP à Washington et la reprise du versement de la contribution à l’UNWRA. La nouvelle administration devrait aussi réaffirmer des positions conformes au droit international, au sujet de la colonisation et de la solution à deux États. Quant à savoir si Joe Biden tentera de relancer un processus de paix digne de ce nom, c’est une tout autre histoire.

Sur l’Iran, l’objectif du nouveau président est de revenir au JCPoA sinon tel qu’il était, au moins, dans ses fondamentaux quelque peu revisités.  Il peut compter sur les signataires européens très désireux de relancer l’accord qu’ils avaient essayé en vain de sauvegarder après le retrait américain. Quant à la position de l’Iran, elle dépendra de l’issue de l’âpre débat en cours entre réformistes et radicaux. En raison de la catastrophe économique qui frappe le pays, les réformistes au pouvoir avec le président Hassan Rohani apparaissent en grande difficulté, en particulier dans la perspective de l’élection présidentielle prévue en juin 2021. Et l’assassinat de Moshen Fakhrizadeh est venu encore compliquer la situation. Dans ces conditions, la voie est étroite et le temps compté pour revenir au JPCoA, d’autant que les Etats-Unis ont perdu toute crédibilité auprès des Iraniens pour avoir renié leur signature trois ans après l’avoir donnée.

                                               Paris, 2 décembre 2020

 

  • 1. Joint Comprehensive Plan of Action, signé par l’Iran, les cinq membres du Conseil de sécurité, l’Allemagne et l’Union européenne.