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Photo : Library of Congress via Unsplash
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Quelles sanctions pour Donald Trump ?

Le travail de la Commission d’enquête sur le 6 janvier 2022 a été lourdement entravé par l’environnement politico-médiatique qui règne aux États-Unis. L’influence des médias d’extrême droite et la large majorité dont jouit Donald Trump au Sénat comme à la Chambre semblent le mettre à l’abri des poursuites. Une telle impunité risque pourtant de fragiliser encore davantage les institutions américaines.

Donald Trump a tant violé la loi et la Constitution, durant son mandat et après sa défaite en novembre 2020, que ce ne sont pas les motifs d’enquête ou d’inculpation éventuelle par le ministère de la Justice qui manquent. Les auditions de la commission du 6 janvier, retransmises en vidéo, ont d’ailleurs attiré plusieurs millions de spectateurs. Mais si l’on compare la situation à celle de Nixon au moment du Watergate, l’environnement politico-juridique a été modifié en profondeur par deux facteurs qui pèsent tant sur les travaux de cette commission que sur la probabilité de suites judiciaires. L’émergence d’une chambre d’écho médiatique de droite (Fox News, One America ou News Max) d’abord, qui a convaincu plus de 50 % des Républicains que Trump a remporté l’élection de 2020. L’attitude du leadership républicain au Sénat et à la Chambre ensuite, toujours soumis à l’ancien président et refusant de dénoncer ses mensonges. Alors qu’au Sénat, en 1974, plusieurs Républicains s’apprêtaient à voter la destitution de Richard Nixon, la quasi-totalité des élus républicains ont jugé récemment qu’il n’y avait rien de répréhensible dans l’attitude de Trump, ni durant la première procédure (qui portait sur les pressions exercées sur le président ukrainien) ; ni durant la seconde, intentée pour incitation à l’insurrection (seuls sept sénateurs républicains sur cinquante ont alors voté la destitution). Et alors que les chefs de file républicains, Mitch McConnell et Lindsey Graham, avaient d’abord condamné l’attaque, le premier affirmant que Donald Trump était « moralement et juridiquement responsable de l’insurrection », tous n’ont finalement pas voté la destitution. Depuis, ils cherchent à réécrire l’histoire.

Qui est responsable ?

Ce qui pose la question de l’impunité. Si l’on ne demande aucun compte à Trump, à ses avocats (Rudy Giuliani, Christina Bobb, John Eastman) ou à ses proches (Steve Bannon, Jeffrey Clark ou Mark Meadows), ni aux nombreux élus impliqués au niveau national et local dans la remise en cause des résultats électoraux, et que ceux-ci n’ont pas à supporter les conséquences de leurs actes, il y aura de nouvelles tentatives qui peut-être réussiront, en 2024 ou plus tard. D’où l’importance de rechercher leur responsabilité à la fois par la voie politique (le rapport de la commission d’enquête est attendu à l’automne) et par la voie judiciaire. La voie judiciaire est essentielle pour éviter ce qui s’est produit avec Richard Nixon : ce dernier avait démissionné, mais été gracié ensuite par Gerald Ford. Des réformes ont certes été adoptées pour éviter de nouvelles violations des lois électorales et de la Constitution1, mais il est resté l’impunité.

Il est loin d’être évident que Donald Trump, ses proches ou des élus républicains au Congrès seront jamais poursuivis.

Les travaux de la commission spéciale sur le 6 janvier visent à établir que l’assaut sur le Capitole est le point culminant d’une campagne en plusieurs volets visant à maintenir Donald Trump au pouvoir malgré sa défaite et incluant des pressions exercées sur le ministère de la Justice, le vice-président, les élus et fonctionnaires des États afin qu’ils modifient les résultats électoraux, le tout accompagné d’une campagne orchestrée sur Twitter pour coordonner l’attaque du 6 janvier avec les groupes extrémistes de droite. Car il ne suffit pas de protéger physiquement l’enceinte du Capitole ni de poursuivre et de sanctionner les quelque 2 000 personnes qui l’ont pris d’assaut2. Il est essentiel de poursuivre aussi les vrais responsables, ceux qui ont colporté le mensonge de l’élection volée, ceux qui ont envoyé des listes de faux grands électeurs et ceux qui ont commencé à organiser le rassemblement du 6 janvier immédiatement après l’élection perdue. La commission et sa vice-présidente républicaine en particulier, Liz Cheney, envoient des messages forts au ministre de la Justice, Merrick Garland, pour l’inciter à poursuivre les manquements identifiés par la commission. Mais il est loin d’être évident que Donald Trump, ses proches ou des élus républicains au Congrès seront jamais poursuivis3. Pour que la mise en cause puisse déboucher sur une condamnation, le procureur doit apporter la preuve de l’intention « au-delà du doute raisonnable », une charge de la preuve difficile à atteindre. C’est donc une question d’opportunité politique : faut-il risquer des violences de la part des partisans de Trump, convaincus que leur héros a été privé d’une légitime victoire et qu’il est « victime de l’acharnement des extrémistes de gauche » ? Faut-il polariser un peu plus l’opinion sans faire changer d’avis un seul de ces partisans et saper ainsi le travail de réhabilitation effectué par Merrick Garland pour restaurer l’image d’un ministère de la Justice indépendant et de poursuites qui ne sont pas soumises aux pressions du président en titre ? Faut-il risquer une quasi-guerre civile ?

L’intégrité du processus électoral

Pour les auteurs d’une tribune dans le Washington Post, la réponse est claire. Ils recommandent au ministre de la Justice de procéder à des inculpations sur la base des violations les plus sérieuses, la conspiration séditieuse (18 U.S. Code 2384) et l’insurrection (18 U.S. Code 2383), plutôt que de s’intéresser au non-respect des dispositions concernant la préservation des archives présidentielles4 ou même la subornation de témoins. Car si le pays ne peut faire en sorte que les responsables soient redevables de leurs crimes les plus graves, « il ne faut pas s’attendre à ce que la démocratie représentative survive5 ». D’autant que le contexte est favorable aux atteintes au droit de vote. Depuis que la Cour suprême a donné son feu vert (dans l’arrêt Shelby v. Holder en 2013), les élus républicains dans la trentaine d’États fédérés qu’ils contrôlent ont adopté une panoplie de mesures qui permettent non seulement d’entraver le vote mais aussi de modifier les résultats de l’élection, en conférant la décision finale de proclamation des résultats, non plus à des fonctionnaires indépendants, mais à la législature de l’État – dont les membres sont à ce jour inféodés à Trump.

La démocratie a été sauvée de justesse en 2020 grâce au courage de quelques responsables électoraux, souvent républicains, qui ont refusé de céder aux pressions de Trump et de ses proches, dont Brad Raffensperger, sommé de « trouver 11 780 voix » en Géorgie afin de faire basculer les résultats6, ainsi que Mike Pence7. À défaut de voter une loi visant à protéger le droit de vote ou rétablir les dispositions anti-discrimination du Voting Rights Act de 1965, jugées inconstitutionnelles par la Cour suprême dans Shelby, ce qui est impossible en raison du blocage des Républicains au Sénat, il existe au Congrès un soutien bipartisan pour amender la loi Electoral Count Act, qui régit la proclamation des résultats de l’élection présidentielle, de façon à exiger des seuils plus élevés pour pouvoir contester les résultats et préciser que le rôle du ou de la vice-président(e) est purement cérémoniel et qu’il ne lui appartient pas de changer les résultats. Une proposition est en cours d’examen, mais le temps presse avant la fin de la session législative. Car l’issue des élections de mi-mandat est loin d’être certaine. Pourtant, si finalement et après le retournement des pronostics de perte de majorité depuis quelques semaines, les Démocrates parviennent à conserver la majorité à la Chambre et renforcent leur marge de manœuvre au Sénat, le Congrès pourra peut-être adopter les lois devenues indispensables pour protéger le suffrage universel, les droits et libertés et plus globalement les institutions démocratiques.

  • 1. Le financement des élections a été réformé, et le Ethics in Government Act a créé des procureurs indépendants pour éviter les risques de limogeage, le « massacre du samedi soir ».
  • 2. À l’été, 855 personnes avaient été mises en cause, dont 325 ont plaidé coupable. D’autres ont plaidé non coupable, été jugées et condamnées à de lourdes peines de prison, ainsi 55 mois pour un membre du groupe des Oath Keepers et dix ans pour un ancien policier de New York.
  • 3. Plusieurs sections du Code des États-Unis prévoient des peines d’amende et de prison pour divers types d’obstruction. Les proches et les élus qui ont prononcé des discours enflammés le 6 janvier au matin pourraient sans doute être poursuivis sur ces fondements, ainsi que les 14 élus ou fonctionnaires impliqués dans l’envoi de listes de faux grands électeurs.
  • 4. Ceci pourrait changer s’il est avéré que la sécurité nationale a été mise en danger et qu’il y a eu violation de la loi sur l’espionnage.
  • 5. Claire O. Finkelstein et Richard W. Painter, “If Trump is charged, it should be for the worst of his crimes”, The Washington Post, 12 août 2022.
  • 6. Ces élus locaux, cibles de la vindicte de Trump, ont perdu les primaires et été remplacés par des loyalistes qui n’auront aucun scrupule à « trouver » des voix. Certains, lassés des menaces de mort permanentes, ont préféré quitter la politique.
  • 7. Il revient au vice-président de certifier le compte des grands électeurs, et Mike Pence a refusé de modifier ce dernier comme Trump le lui demandait.

Anne Deysine

Anne Deysine, juriste et américaniste, est Professeur des universités. Ses deux derniers ouvrages sont La Cour suprême des États-Unis, droit, politique et démocratie, Dalloz, 2015 et Les États-Unis et la démocratie, L'Harmattan, 2019.

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