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La sénatrice américaine Kamala Harris parlant avec les participants de l’Iowa Democratic Wing Ding 2019 au Surf Ballroom à Clear Lake, Iowa. | Photo de Gage Skidmore via Flickr (CC BY-SA 2.0)
La sénatrice américaine Kamala Harris parlant avec les participants de l'Iowa Democratic Wing Ding 2019 au Surf Ballroom à Clear Lake, Iowa. | Photo de Gage Skidmore via Flickr (CC BY-SA 2.0)
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Quelle colistière pour Joe Biden ?

juillet 2020

Candidat démocrate à la présidentielle de novembre 2020 aux États-Unis, Joe Biden doit encore annoncer qui sera la vice-présidente sur son « ticket ». Car s'il s'est engagé à faire appel à une femme, il lui faut également soupeser d'autres considérations géographiques, politiques et symboliques.

Tous les quatre ans à pareille époque, les rédactions américaines bruissent avec une insistance croissante de rumeurs sur le choix du colistier du ou des candidats qui, aux termes des primaires, vont représenter leur parti à la présidentielle de novembre. Et cette année n’échappe pas à la règle, d’autant moins que le candidat Biden ne suscite pas un enthousiasme débordant, mais surtout parce qu’étant donné son âge – 77 ans – son colistier sera encore plus susceptible de n’être séparé de la présidence « que par un battement de cœur », selon la formule proverbiale ( « one heartbeat away  » ).

Depuis quelques semaines, les observateurs politiques spéculent donc sur le choix de la colistière de Joe Biden. Car cette année, post-#MeToo oblige, le colistier sera une colistière. Et même avant que l’affaire George Floyd ne vienne bousculer les consciences bien au-delà des États-Unis, les Démocrates semblaient s’accorder sur l’impérieuse nécessité d’une colistière noire. Ou à tout le moins « non blanche ».

L’équipe de Joe Biden est actuellement en train d’auditionner de manière approfondie une demi-douzaine de candidates pressenties – et d’enquêter pour écarter tout conflit d’intérêt ou déterrer toute incartade, même ancienne de plusieurs décennies, qui pourrait compromettre sa réputation auprès d’un électorat particulièrement intransigeant.

Un atout électoral 

Un colistier a deux fonctions, stratégique et exécutive, auxquelles s’ajouterait cette année une fonction thaumaturgique. Dans le calendrier électoral, la première fonction du colistier est stratégique : il est censé compenser les faiblesses du candidat et l’aider à emporter l’élection en mobilisant soit un électorat particulier, soit un État-clé, voire une région entière (le Midwest, la Rust Belt), davantage que le candidat n’aurait pu le faire seul.

Entre 2012 et 2016, la participation des Noirs, généralement haute, a connu un décrochage surprenant, notamment dans les États-clés de la Rust Belt (Wisconsin, Michigan, Pennsylvanie) et de la Sun Belt (Caroline du Nord, Floride). Choisir une colistière noire serait une façon de remobiliser cet électorat indispensable aux Démocrates. Le rôle symbolique que celle-ci pourrait jouer par la suite est moins évident à apprécier : on a vu que huit ans de présidence Obama n’ont pas fait des États-Unis une société post-raciale apaisée. Le choix d’une colistière noire ne produirait vraisemblablement pas la réconciliation raciale nationale que certains semblent espérer. En dehors de la bulle Twitter des journalistes et des militants les plus engagés, cette dimension thaumaturgique est donc à relativiser.

Parmi les candidates les plus couramment citées dans la presse figure Stacey Abrams, qui a échoué de peu à s’emparer du gouvernorat de Géorgie en 2018. Elle ne cache pas ses ambitions, mais ne semble pas avoir les faveurs de l’équipe Biden. Val Demmings, représentante de Floride et ancienne procureure d’Orlando offre un ancrage dans un État-clé par excellence, à quoi s’ajoute une caution policière, ce qui est à double tranchant : Trump n’aura pas le monopole de la « loi et l’ordre » mais l’électorat noir pourrait mal le prendre, ce qui reste à prouver. Plus handicapant, elle n’a jamais été élue au-delà de sa circonscription, ce qui lui confère une expérience réduite pour affronter le feu nourri d’une campagne présidentielle, surtout face à la machine Trump. On parle beaucoup de Keisha Lance Bottoms, la mairesse d’Atlanta, remarquée pour sa gestion de la COVID puis des émeutes. Elle est certes nettement plus jeune que Biden, mais son expérience, uniquement municipale, semble tout de même très légère. Susan Rice, ancienne conseillère la sécurité nationale d’Obama et ambassadrice à l’ONU, apporterait une expérience internationale inestimable – mais elle n’a jamais été élue.

En réalité, c’est Kamala Harris qui tient la corde. Elle est sénatrice de Californie, ce qui présente un double avantage : elle a déjà été élue au niveau d’un État et le siège qu’elle libérerait serait pourvu par un autre démocrate, ce qui ne compromet pas l’éventuelle majorité démocrate au Sénat, en cas d’alignement des planètes électorales pour eux. Elle est favorite dans les sondages, mais son passé de procureur pourrait lui coûter des voix noires, pense-t-on dans les hautes sphères. Ce n’est pourtant pas ce que montrent les enquêtes conduites auprès des principaux intéressés : les électeurs noirs. Son autre problème est d’avoir fait une campagne des primaires assez terne : être noire (et également indienne par sa mère) n’a aucunement suffi à lui assurer l’électorat noir, qui a plébiscité Biden. Le simplisme d’une stratégie strictement identitaire ne passe pas l’épreuve du réel.

Deux noms s’ajoutent aux précédents : Elizabeth Warren, qui est blanche mais pourrait mobiliser l’électorat de Bernie Sanders, pas franchement enthousiasmé par un Biden jugé trop centriste. Elle est sénatrice du Massachusetts, État aussi démocrate que la Californie : la plus-value géographique est donc nulle, mais elle n’est pas novice. Enfin, Tammy Duckworth, 52 ans, sénatrice de l’Illinois, de père américain blanc et de mère thaïlandaise d’origine chinoise. Elle est surtout connue pour avoir accouché pendant son mandat, ce qui en fait une « working mom », et pour avoir été amputée des deux jambes après que son hélicoptère de combat a été touché par une grenade en Irak en 2004. Elle apporterait une histoire poignante de devoir et de patriotisme, ce qui invaliderait totalement l’argument trumpien de la « gauche radicale » anarchiste au pouvoir si Biden est élu. La gauche radicale anarchiste ne sert pas sous les drapeaux, généralement. Par ailleurs, le sens de la répartie de Duckworth pourrait faire mouche pendant une campagne sans concession.

Concernant le bonus géographique que pourrait apporter la colistière, les sondages se suivent et se ressemblent : la Rust Belt, bastion démocrate qui a cruellement fait défaut en 2016, semble déjà reconquise. Une colistière de la région ne semble donc pas indispensable dans cette optique, ce qui joue contre Tammy Baldwin (sénatrice du Wisconsin, ouvertement homosexuelle, ce qui serait une autre première) et Gretschen Whitmer (gouverneure du Michigan, mariée, 48 ans), de toute façon très peu connues dans l’opinion. Amy Klobuchar, sénatrice du Minnesota, a déjà jeté l’éponge : elle estime que l’heure n’est pas à la nomination d’une Blanche.

Les électeurs, quand on prend la peine de leur demander leur opinion, avouent à 85% que la couleur ne doit pas être un critère de choix pour Biden. Y compris les sondés noirs. L’option Warren n’est donc pas totalement exclue.

Une doublure pour le Président

Mais au-delà de la dimension stratégique, la fonction du colistier devenu vice-président, une fois l’élection gagnée, est de pouvoir se glisser dans la fonction suprême au pied levé, si d’aventure il arrivait quelque chose au Président. Parce que Joe Biden est âgé, cette éventualité est cette année dans tous les esprits.

Sur ce point, Susan Rice a de loin la plus solide expérience en matière internationale, ce qui n’est pas rien, surtout dans la mesure où c’est une prérogative majeure du président. Les sénatrices Duckworth, Harris et Warren, chacune dans son domaine, peuvent se prévaloir de leur expérience, même si elle est limitée. Mais Elizabeth Warren, à 70 ans, n’incarne pas vraiment le renouvellement générationnel. La fonction peut révéler des talents, mais a priori, on imagine assez mal la mairesse d’Atlanta ou la députée d’Orlando se retrouver à la tête de la première puissance mondiale du jour au lendemain….

L’apport d’une sénatrice serait également institutionnel : elle aurait des contacts utiles dans l’autre branche, législative, ce que n’apporterait pas un gouverneur qui aurait pour sa part une expérience exécutive, certes à une échelle réduite. Le gouverneur d’un État comme la Californie (équivalent de la sixième économie mondiale) ou du New York, peut justifier d’une solide expérience exécutive. Joe Biden, lui, cumule les deux : un quart de siècle au Sénat et 8 ans à la Maison-Blanche en tant que vice-président d’Obama. A priori, il sait où il va. Il faut juste qu’il tienne le coup.

Le problème pour Joe Biden est qu'aucune candidate ne s'impose naturellement. Toutes ont des atouts évidents, mais aucune n’est exempte d’inconvénients assez handicapants : inexpérience, passé de procureur, faible notoriété.

En réalité, la recherche en science politique montre que le choix du colistier importe généralement assez peu. Il dynamise un peu la participation dans son État, et il peut se trouver propulsé au pouvoir en cas de défaillance du Président. Cette année, comme Biden a dit qu'il ne ferait qu’un seul mandat, la colistière serait également en pole position pour lui succéder et devenir la première présidente des États-Unis : il faut donc quelqu’un qui soit en mesure de mener une campagne nationale… Mais avant de penser à 2024, il faudra donner satisfaction une fois au pouvoir. Et surtout, d’ici là, il faudra réussir à battre Trump.