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Carte de la diaspora iranienne (Allice Hunter, 2021)
Carte de la diaspora iranienne (Allice Hunter, 2021)
Flux d'actualités

La jeune diaspora iranienne et la révolution

La diaspora iranienne, forte de plus de huit millions de personnes, maintient, grâce aux réseaux sociaux, un lien virtuel avec les jeunes en Iran. Elle se mobilise pour soutenir ceux et celles qui n’ont que la rue pour dire « non » à la République islamique.

Depuis le 16 septembre 2022, la jeunesse iranienne se tient debout et mène un mouvement pour la liberté et la démocratie, qu’elle appelle une révolution nationale (melli) contre la République islamique – « Ne l’appelez pas révolte, c’est une vraie révolution » (behesh nagin eteraz, in khode enghelabe). Cette génération est éveillée et informée, mais surtout connectée, en son sein et avec le monde. Elle partage ses malheurs et ses rêves avec les jeunes Iraniens vivant en Occident, à travers les réseaux sociaux et les diverses applications de communication. Réciproquement, les jeunes membres de la diaspora iranienne maintiennent un contact virtuel avec les jeunes en Iran, qui leur permet d’identifier les besoins et la volonté du peuple iranien, afin de les partager avec le monde libre.

La diaspora iranienne compte près de huit millions de personnes dans le monde (incluant toutes les générations, avec ou sans passeport iranien). Sa jeune génération est issue de parents qui ont immigrés peu après l’avènement de la République islamique, ou bien elle fait partie des nouveaux arrivants. Qu’elle appartienne à un groupe ou à l’autre, il lui est impossible de rester indifférente face au massacre commis par le régime au pouvoir. Alors que ce dernier est l’instigateur d’une division entre les Iraniens de l’intérieur et ceux de l’extérieur, ce soulèvement sans précédent fait émerger une unité inédite entre les deux groupes. Le bon fonctionnement du régime islamique dépend, entre autres, de ce principe de division ou d’hostilité fictive, qui est fondé sur la prédiction qu’une éventuelle unité du peuple signifierait, à terme, la fin de la République islamique. Aujourd’hui, cette unité constitue la plus grande menace à la survie du régime.

La jeune diaspora iranienne, mobilisée pour l’Iran, a fait ses preuves. Elle s’est montrée unie, organisée, créative et déterminée. La nouvelle génération a une ligne de pensée bien définie : elle prône la démocratie, la laïcité, la liberté et l’ouverture au monde, tout en prenant ses distances avec les groupes idéologiques. Aucune ambiguïté dans sa position, elle lance un ultimatum à tous les Iraniens, et la demande générale est de choisir un camp : pour ou contre le régime, pour ou contre la révolution. Deux demandes qui vont de pair. La fureur de la répression par les forces armées du régime est telle que ses opposants n’ont plus de temps à perdre ni de tolérance pour la neutralité ou, en d’autres termes, pour ceux qui jouent sur les deux tableaux (vasat baz).

« Une révolte ? Non, une révolution1 ! »

Difficilement qualifiable, la nature du régime en Iran n’est pas ordinaire – tantôt totalitaire, tantôt autocratique, une tyrannie islamiste aux pratiques se rapprochant d’un État-voyou, un régime dirigé par un Guide suprême, qui est le commandant en chef d’une organisation jugée terroriste par certains États et par le peuple2. De ce fait, si le régime au pouvoir est une exception politique, son étude doit l’être également. Par ailleurs, il est nécessaire de prendre en compte le rôle clé joué par la grande diaspora en exil et la technologie qui la connecte avec la nation iranienne. Nombreux sont les exilés qui sont encore liés, du moins émotionnellement, à l’Iran et luttent pour sa liberté depuis leur exil.

Aujourd’hui, la forme de la révolution a changé. La situation géopolitique de l’Iran crée une révolution iranienne qui se fait alors simultanément en Iran, en Occident et sur les réseaux sociaux, et donne à chacun son rôle et ses responsabilités. Ainsi, l’analyse du mouvement actuel pour la liberté ne peut être faite dans le cadre des notions traditionnelles des révolutions précédentes.

De plus, seuls les citoyens de l’Iran peuvent décider de renverser le régime. Ainsi, c’est à eux de décider si c’est une révolution qui est en marche ou non, et c’est exactement leur message depuis le début de la crise en Iran. La révolution est un processus qui mène au remplacement d’un régime par un ordre nouveau, et l’Iran est en plein dans ce processus. La nature du régime étant ce qu’elle est, répressive et tyrannique, ses jeunes citoyens sentent le besoin de qualifier spécifiquement leur mouvement, afin de montrer rien de moins que cette volonté de changer le régime. Pourquoi le reste du monde devrait-il s’étonner et tenter de le qualifier autrement ? Pour la jeunesse, il est donc impératif d’être à l’écoute du peuple et de leur message. La diplomatie des adultes leur importe peu, pas plus que leurs opinions ou leurs analyses.

Crier des slogans est l’une des seules façons pour la société iranienne de partager son opinion. Ces slogans sont d’une clarté inouïe : « Tant d’années de crimes, à bas ce régime » (in hame sal jenayat, marg bar in velayat) ; « Ceci est le dernier message, notre objectif est l’ensemble du régime » (in akharin payame, hadaf kolle nezame) ; « La République islamique, on n’en veut pas » (Jomhourie eslami, nemikhaym nemikhaym) ; et enfin, dans une chanson révolutionnaire, « La tête haute et fiers de notre révolution » (maghrour, sar bolandam o mibalam bar enghelab-eman). Ainsi, c’est ce message et cette volonté que la diaspora iranienne tente de transmettre au monde entier. En partant de cette idée, une révolution serait donc en cours, menée par les jeunes de l’Iran. Pour réussir, elle nécessite une stratégie de mobilisation tout aussi révolutionnaire, novatrice et correspondant à la période à laquelle nous vivons.

La mobilisation à l’étranger

La stratégie de mobilisation de la diaspora a pour but essentiel de se faire l’écho du courageux peuple iranien qui n’a que la rue pour dire « non » à la République islamique : « Nous n’avons pas d’autre chemin que la rue. Et la rue, c’est le peuple », disait Majid Tavakoli, un des nombreux activistes emprisonnés par le régime. Cette mobilisation occidentale pourrait se diviser en trois aspects.

Le premier aspect consisterait à informer et à sensibiliser la communauté internationale sur la situation en Iran. La diaspora étant présente presque partout dans le monde, la traduction de l’information s’est faite dans toutes les langues et a su interpeller l’Europe, l’Amérique du Nord et même l’Asie. Une caractéristique importante de cette phase réside dans le fait qu’elle a introduit une jeunesse iranienne éprise de libertés, et surtout dotée d’un sens créatif et artistique dans son approche. De la chanson Barayé de Shervine à la reprise en persan de Bella ciao, la création de contenu original ne manque pas. Le mouvement a même réussi à motiver des personnalités publiques, des artistes et des politiciens du monde entier afin qu’ils prennent part à des gestes symboliques en signe de solidarité, comme se couper une mèche de cheveux, chanter la fameuse chanson Barayé ou déclamer le slogan « Femme, vie, liberté », parfois même en persan. Sans doute, son plus grand mérite et d’être libre de toute idéologie ou religion : c’est un mouvement qui concerne l’humanité en général. L’histoire se rappellera qu’en 2022, une révolution coordonnée à l’échelle mondiale s’est faite en grande partie sur les réseaux sociaux.

Le second aspect consistait à agir rapidement. Des marches de soutien ont pris place dans plus de cent villes à travers le monde, où les slogans créatifs du peuple iranien résonnaient à l’unisson dans les rues de l’Occident. En effet, la résistance iranienne est connue pour ses chants révolutionnaires, notamment depuis le mouvement vert en 2009. Les jeunes membres de la diaspora, engagés et engageants, se sont retrouvés au premier plan, exprimant des émotions refoulées jusque-là. Ces manifestations ont trois buts spécifiques : soutenir la contestation iranienne, défier le régime de Téhéran et exercer une pression maximale sur les gouvernements occidentaux pour qu’ils agissent et modifient leurs politiques à l’égard de l’Iran. Une pression systématique qui, jusque-là, porte ses fruits, même si certaines attentes restent encore en suspens – par exemple, d’ajouter le corps des gardiens de la Révolution islamique à la liste des organisations terroristes.

Enfin, le troisième aspect consiste à dénoncer l’apaisement et la normalisation d’un régime sans scrupule, qui se fait au détriment du peuple iranien. Cette normalisation est facilitée par un nombre d’experts aux conseils parfois erronés et éloignés de la volonté du peuple iranien – l’ancien président américain, Barack Obama, a admis l’erreur de ne pas avoir assez soutenu le mouvement vert, ce qui sous-entend que son administration aurait fondé sa décision sur de mauvais conseils. Par ailleurs, l’accord nucléaire, qui a dominé la scène médiatique et politique sur l’Iran, a jeté de l’ombre sur les violations des droits de l’homme et la situation socio-politique catastrophique du pays.

Ce nouveau soulèvement national naît donc d’une frustration accumulée depuis de nombreuses années, durant lesquelles le régime, qui continue de commettre des atrocités, a été présenté comme un État normal. La diaspora, celle qui est à l’écoute du peuple iranien, demande désormais à son gouvernement de mettre fin aux négociations, aux échanges commerciaux et de réduire les liens diplomatiques avec le régime islamique au strict minimum par l’expulsion de ses ambassadeurs et de ses diplomates. À la place, elle demande de reconnaître et de soutenir la révolution du peuple iranien. Une façon de confirmer l’illégitimité du régime. Les Iraniens considèrent le régime des mollahs comme un régime d’occupation (regime eshghal gar) et, au vu de la violente répression militaire, il est difficile de le réfuter. Ils refusent au même titre de reconnaître le nom officiel du régime, son drapeau, et ses diplomates. La République islamique qui tue les jeunes et les enfants mérite-t-elle d’être traitée comme un État normal ? Pour ces jeunes révolutionnaires, la réponse est négative. Les Iraniens, de l’Iran et de la diaspora, ne veulent plus vivre sous l’emblème de la République islamique.

Par ailleurs, les ambassades et les centres islamiques en lien avec le régime de Téhéran sont chargés d’espionner les Iraniens sur le sol occidental. Les membres de cette diaspora ne se sentent plus en sécurité ; la République islamique a une longue histoire d’attentats contre les opposants du régime, notamment en France, en Allemagne et en Turquie. Tout récemment, l’Angleterre et le Canada ont révélé les menaces de mort ciblant des journalistes et des activistes issus de la diaspora par le service de renseignement du régime, le VAJA (anciennement connu sous le sigle VEVAK). La République islamique traque et terrorise les Iraniens sur son sol et ailleurs. Les Iraniens, où qu’ils se trouvent, vivent sous la menace de cette tyrannie islamique. La jeunesse iranienne et celle de la diaspora ont, dans ce sens, un autre lien qui les unit.

« Dites à ma mère qu’elle n’a désormais plus de fille »

Dans cette révolution, l’état d’esprit de la jeunesse iranienne et celle de la diaspora se rejoignent surtout au niveau de l’absence totale d’intérêt pour la religion. Cette génération est complètement laïcisée et considère le régime moyenâgeux des mollahs incompatible avec ses aspirations de libertés et de modernité. La moyenne d’âge des révolutionnaires, se situant entre 16 et 22 ans, est en effet éloignée du régime gériatrique du Guide Suprême et des mollahs. Les jeunes, qui formeront d’ailleurs la prochaine société, et le régime sont diamétralement opposés et n’ont aucune compréhension l’un de l’autre. Ils ne peuvent non plus coexister, puisque l’un a un pouvoir absolu sur l’autre. Conséquemment, la jeunesse iranienne est arrivée à un ras-le-bol collectif qui l’amène à une fatalité tragique ; malgré la peur, ils n’ont plus rien à perdre et sont prêts à donner leur vie pour liberer l’Iran : « On se bat, on meurt, on reprendra l’Iran » (mijangim, mimirim, Iran ro pas migirim) ou encore « Canon, char, mitraillette n’ont plus aucun effet, dites à ma mère qu’elle n’a désormais plus de fille » (toup tank mosalsal digar asar na darand, be madaram begouyid digar dokhtar na darad). Ceux et celles qui ont grandi avec les réseaux sociaux et les jeux vidéo y puisent parfois leur stratégie de mobilisation de rue. La jeunesse de l’Iran se trouve à présent dans le plus grand jeu de sa vie et elle mettra tous ses efforts pour accéder au dernier niveau du jeu.  

La tristesse de ces slogans et le courage extraordinaire de ces jeunes révolutionnaires en Iran affectent l’état d’esprit de leurs semblables à travers le monde. S’il n’existe aucun lien entre le régime et la société, la connectivité dans le monde virtuel de ces deux jeunesses s’est transformée en une connexion humaine infrangible. Ils sont maintenant unis dans la lutte contre la République islamique, où les jeunes de l’Iran sont les figures héroïques de la diaspora. Ces jeunes membres de la diaspora iranienne ne voient pas les frontières comme une division, ils reconnaissent leur appartenance à l’Occident et, en même temps, leur devoir de loyauté envers l’Iran. Cette terrible réalité en Iran amplifie leur besoin de faire de chaque événement une occasion pour pousser la révolution de leur héros et héroïnes un pas en avant. L’espoir de revoir un Iran libre renaît avec le pas cadencé de la nouvelle génération. Malgré les incertitudes, une chose semble évidente : la jeunesse iranienne ne s’arrêtera pas ; celle de la diaspora non plus.

  • 1. Réplique du duc de La Rochefoucauld-Liancourt à Louis XVI, citée par Frédérique Ries, députée européenne, dans son discours pour l’Iran du 17 février 2022.
  • 2. Voir le slogan : « Gardiens de la révolution, bassidjis, vous êtes notre Daech » (Basijis, Sepahi, Daesh-e ma shomayin).