
La signature de l’accord sur le nucléaire sapera le mouvement révolutionnaire en Iran
Les voix qui s’élèvent en soutien à la poursuite des négociations autour de l’accord sur le nucléaire iranien témoignent d’un aveuglement sur la radicalisation du régime depuis 2009, qui prend le monde libre en otage et entend continuer de réprimer le mouvement révolutionnaire.
Depuis le début du soulèvement en Iran en septembre 2022, certains journalistes, experts et universitaires, parmi lesquels certains spécialistes reconnus, soutiennent vivement la poursuite des négociations sur le programme nucléaire de la République islamique d’Iran en vue de la signature d’un 2ème JCPOA (Joint Comprehensive Plan of Action) prétendument salutaire pour les Iraniens et notamment pour les Iraniennes. Ce n’est pas la première fois qu’ils se manifestent de la sorte puisque, notamment depuis 2010, ils conseillent aux autorités françaises et européennes d’opter pour une politique de « détente » à l’égard du régime de Téhéran, sous-entendant par-là que grâce à cette politique, les factions des « modérés » et des « réformistes » seraient confortées et capables de prendre les rênes du pouvoir. Mais cette lecture des rapports de force au sein du pouvoir politique et de la transformation sociale en Iran est erronée ou tout du moins illusoire.
En réalité, ces spécialistes en omettant sciemment la mutation du système de la République islamique au cours de ces douze dernières années, construisent une argumentation qui préconise l’absolue nécessité de signer l’accord sur le nucléaire « pour aider les femmes en lutte ». L’objet du présent texte est de montrer l’aveuglement dont ils font preuve vis-à-vis de la transformation radicale du pouvoir politique en Iran et du soulèvement populaire – cécité qui les conduit à formuler une telle recommandation.
« Réformistes, fondamentalistes, l’histoire est terminée ! »
La préconisation obsessionnelle de la signature d’un 2ème JCPOA est fondée sur une analyse du système politique et des rapports de force au sein du pouvoir tout à fait obsolète depuis 2009. En effet, cette analyse n’inclut pas le « Mouvement vert » – vague de contestations sans précédent survenue à la suite des fraudes aux élections présidentielles de 2009 – ni ses conséquences sur le système politique en Iran. De fait, ce mouvement, d’ailleurs violemment réprimé, a provoqué une crise de légitimé du régime et par-là déclenché le processus de radicalisation de la République islamique. Ayant parfaitement compris à la fois l’hostilité et le potentiel de mobilisation des manifestants, le Guide suprême avec M. Ahmadinejad ont mis en place un projet politique de domination globale – que je qualifie d’ingénierie sociale totale – qui ne cherche plus à gagner l’adhésion de la population exaspérée, mais à la « tenir » suffisamment pour pouvoir méthodologiquement aliéner les prochaines générations. Cette radicalité se lit dans la prise de contrôle directe du pays par « l’État parallèle » qui jusqu’alors agissait dans l’ombre et dont le chef est paradoxalement, Ali Khamenei, le Guide suprême. De tels changements, tout en confirmant le pouvoir omnipotent du Guide, signalent la fin des rapports de force entre les factions politiques (qui pouvaient avoir encore quelque signification dans les décennies 1990-2000), bien que l’État parallèle continue de les instrumentaliser lors des élections à des fins stratégiques internes et externes. De surcroît, le Guide suprême qui se sépare de M. Ahmadinejad en avril 2011, crée très rapidement (mai 2011) le « Centre pour le modèle islamique-iranien de progrès », un laboratoire d’idées auquel il confie la charge d’établir, sous son égide directe, la feuille de route de la politique stratégique de la République islamique des cinq prochaines décennies, ce qui de facto évince toutes les factions de l’échiquier politique. En octobre 2018, dans le discours qu’il prononce à l’occasion de la remise de « l’acte du modèle islamique-iranien de progrès » élaboré par le Centre, le Guide suprême met clairement en avant sa détermination à conduire le pays vers une nouvelle civilisation islamique-iranienne et enjoint les institutions électives et non-électives à se pencher sur ce document qui définissait le cadre des politiques générales du pays, et à y apporter des suggestions complémentaires pour que le Centre prépare, dans les deux ans à venir (octobre 2020), la version définitive et la soumette à son approbation. Autrement dit, le régime théocratique, paramilitaire et kleptocratique de Téhéran, se dotait d’une politique stratégique interne et externe que les trois pouvoirs exécutif, législatif et juridique étaient contraints d’appliquer.
Ces spécialistes ignorent donc la césure qui s’est opérée en 2009 et jettent intentionnellement aux oubliettes la radicalisation de la République islamique, insistant sur le rôle déterminant des factions alors qu’elles ne pèsent plus en rien dans la gestion du pouvoir politique et ont même perdu toute crédibilité aux yeux des Iraniens qui refusent désormais d’apporter une quelconque légitimité au système : en hiver 2017-2018, lors des manifestations de protestation, les manifestants ont scandé : « Réformistes, fondamentalistes, l’histoire est terminée ! »
Les conséquences néfastes d’un accord sur le nucléaire
Le contexte social et politique de l’Iran a donc été complétement transformé au cours de cette dernière décennie : verrouillage de l’espace politique, déficit budgétaire en raison de la politique de « Cibler les subvention » dans le but de transformer les Iraniens en « sujets assistés », mise en place d’une politique populationniste, seconde révolution culturelle, refonte du système d’éducation en vue de l’endoctrinement des élèves, islamisation des sciences sociales et enfin instauration d’un nouvel imaginaire politique sur l’identité nationale « iranienne, révolutionnaire et islamique » telle que définie par le Guide suprême. Mais ces spécialistes font totalement abstraction de ces mesures politico-idéologiques mises en œuvre depuis 2010 et mettent en avant les prétendus avantages d’un 2ème JCPOA : fin de l’actuel bain de sang et de la répression féroce des manifestants, reprise du contrôle du programme nucléaire par le monde libre et amélioration de la situation économique du pays grâce à l’arrivée des investisseurs étrangers (créations d’emplois, développement économique et émergence d’organisations syndicales et d’une nouvelle société civile). La preuve avancée est l’ouverture de l’espace économique et culturel iranien à la suite du 1erJCPOA (juillet 2015). Mais ce qu’ils omettent de préciser, c’est que cet accord a avant tout offert au régime de Téhéran cent milliards de dollars dont les Iraniens n’ont jamais vu la couleur – une partie de la somme a été partagée entre les détenteurs du pouvoir et le reste a servi soit à acheter ou fabriquer des armes pour les Pasdaran, soit à payer les groupes de milices pro-iraniennes en Irak, au Liban, en Syrie, au Yémen, à Gaza et en Afghanistan (autant d’intermédiaires aussi dangereux et menaçants pour la paix dans la région que la capacité technique et le savoir-faire nucléaire du régime de Téhéran) – et qu’à cause de la complexité du système iranien, les entreprises étrangères se heurtent à de nombreux obstacles avant d’obtenir l’autorisation pour s’installer, raison pour laquelle c’est le secteur du commerce extérieur des pays membres de l’UE qui a amplement profité de cette « ouverture » du marché iranien.
En ignorant toute la question du bénéfice réel pour la population, ils déclarent que le retrait unilatéral de Donald Trump du JCPOA et les nouvelles sanctions économiques qu’il a imposées à la République islamique, ont « ruiné les espoirs d’évolution politique ». Suivant ce raisonnement, ils persistent à défendre la nécessité absolue de signer un 2ème JCPOA sans se donner la peine d’expliquer comment leurs pronostics sur les avantages économiques, politiques et culturels de ce nouvel accord pourraient se réaliser sous un régime théocratique déterminé à conduire le pays vers la « nouvelle civilisation islamique-iranienne ». De surcroît, comment peuvent-ils justifier un tel accord avec le régime de Téhéran alors qu’il participe ouvertement aux côtés des Russes dans la guerre en Ukraine ?
En réalité, ces spécialistes exhortent les autorités françaises à capituler devant la République islamique qui, suivant une stratégie néfaste, avec son programme nucléaire, prend le monde libre en otage afin de se préserver et d’assurer sa survie. Signer un 2ème JCPOA, c’est tout simplement reconnaître la légitimité de la République islamique, ce qui la confortera assurément dans son choix de réprimer férocement les manifestants pour mettre fin au mouvement révolutionnaire et de poursuivre sa collaboration avec la Russie dans la guerre en Ukraine sans être inquiété par les démocraties occidentales.