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Crédits photo : Christopher Rose, CC BY SA 2.0
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L’éveil politique d’une génération en Iran

Les manifestations qui ont balayé l’Iran, après la mort de Mahsa Jina Amini en détention et contre le port obligatoire du hijab, suggèrent une crise irréversible de la légitimité du régime. La croissance démographique et l’expansion de l’enseignement universitaire ont fait émerger de nouveaux acteurs sociaux, particulièrement les jeunes femmes, qui refusent désormais l’idéologie théocratique du pouvoir.

En 2009, le monde a observé avec admiration les manifestations pacifiques et non violentes des jeunes Iraniens au lendemain des élections présidentielles frauduleuses, qui ont réélu Mahmoud Ahmadinejad à la présidence. Aujourd’hui, une nouvelle génération remet en question les structures idéologiques du régime théocratique iranien. Au cours des dernières semaines, les gens du monde entier ont été témoins du courage et de la résolution des jeunes Iraniens, qui ont transformé leur peur de la dictature iranienne en une colère sociale. Cette colère a revitalisé la société civile iranienne et a motivé politiquement tous les Iraniens du monde. Sans surprise, cette fois-ci, le peuple iranien ne se bat pas pour récupérer ses voix lors d’une élection présidentielle, ou pour protester contre le chômage, l’inflation et les difficultés économiques, mais il soutient les jeunes femmes iraniennes pour obtenir leurs droits fondamentaux contre le port obligatoire du hijab.

C’est un point de non-retour pour le régime islamique en Iran pour deux raisons. Premièrement, même si les autorités iraniennes parviennent à réprimer les manifestations qui ont lieu dans plus de cent villes d’Iran, elles seront incapables de réorganiser politiquement le régime et de résoudre sa crise de légitimité. La vérité est que le mal politique est inhérent à la nature du régime iranien. Cela ne signifie pas que la démocratie est au coin de la rue en Iran, mais cela signifie que les jeunes Iraniens apportent un changement à l’avenir de leur pays, qui semblait autrefois un rêve pour leurs parents et leurs grands-parents. Deuxièmement, le mouvement civique en Iran se produit désormais au niveau national, et le retrait public du hijab est devenu depuis un signe universel de rejet du régime, unissant les femmes et les hommes iraniens de toutes les confessions et de toutes les identités ethniques à travers le pays.

Le régime islamique d’Iran est assis sur un baril de poudre depuis près de trois décennies et la mort de Mahsa Jina Amini en détention a été l’étincelle qui l’a fait exploser. La réaction à la mort de Mahsa a été plus forte que ce que l’on pouvait imaginer, même si ce n’était pas la première fois qu’une femme iranienne était tuée en détention. Mais avec la mort de Mahsa, une ère s’est achevée et l’âme de la nation iranienne, longtemps réprimée, a trouvé une expression. Cette fois, ce ne sont pas seulement les femmes iraniennes, mais tous les Iraniens, à l’intérieur et à l’extérieur de l’Iran, qui luttent contre quarante-trois ans de violations des droits de l’homme. C’est pourquoi les récentes protestations en Iran ne peuvent pas être dépeintes facilement comme la continuation des manifestations qui ont émergé en Iran en 2019. Cependant, l’énorme différence entre la lutte actuelle des jeunes Iraniens contre le régime islamique et les mouvements civiques précédents est qu’elle n’a ni direction apparente, ni idéologie bien définie. En ce sens, nous ne parlons pas d’une révolution, au sens classique du terme, mais d’une rébellion générale.

D’un point de vue plus général, nous devons noter l’importance du mouvement de la jeunesse en Iran et souligner le fait que le fossé générationnel croissant entre l’État islamique et la jeunesse iranienne, en particulier les jeunes femmes, n’a jamais été aussi grand. En effet, la croissance explosive de la population jeune, combinée à l’urbanisation, à l’augmentation du taux de chômage et à l’expansion rapide de l’enseignement universitaire, a produit de nouveaux acteurs sociologiques en Iran, principalement des femmes, qui sont essentiellement instruites, mais sans avenir politique, économique ou social.

Les vastes vagues de protestation qui ont balayé l’Iran au cours des dernières semaines suggèrent l’effondrement de l’idéologie théocratique en Iran.

Au cours des trois dernières décennies, le régime islamique a continuellement tenté de relever le défi de gouverner la jeunesse iranienne, mais ce serait un euphémisme de dire que la fragmentation politique en Iran n’a jamais été aussi évidente et que l’élite cléricale n’a jamais été remise en question aussi clairement au niveau national. En réalité, les vastes vagues de protestation qui ont balayé l’Iran au cours des dernières semaines suggèrent l’effondrement de l’idéologie théocratique en Iran. En outre, ces manifestations ont sérieusement remis en question le statut moral de la souveraineté théologique en Iran et sa légitimité parmi ses derniers partisans à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Cela est dû au fait que le mouvement de protestation en Iran est plus civilisé que le gouvernement iranien civil dans ses méthodes pour créer un changement social en Iran, tout en recherchant une dimension éthique à la politique iranienne. Ce jugement implique que les jeunes Iraniens sont prêts à faire la distinction entre deux approches : la recherche de la vérité et de la solidarité contre le mensonge et l’utilisation de la violence. Même si, aujourd’hui, la jeune génération d’Iraniens semble incapable de changer l’establishment islamique de l’Iran, l’avenir proche de ce pays ne sera plus théologique.

Ramin Jahanbegloo

Directeur du Centre Mahatma Gandhi pour la Paix à l'O.P. Jindal Global University (Inde), il est notamment l’auteur de The Gandhian Moment (Harvard University Press, 2013).

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La crise de l’asile européen

Des exilés plongés dans des limbes, contraints de risquer leur vie, une absence de solidarité entre les États, la multiplication des camps, le rétablissement des contrôles aux frontières : autant d’échecs du système européen de l’asile. Face à cette crise, le dossier coordonné par Pierre Auriel refuse à la fois la déploration et le cynisme. Il suggère de composer avec la peur des migrations pour une politique plus respectueuse des droits des exilés. À lire aussi dans ce numéro : l’obligation d’insertion, Michon marxiste ?, ce que Latour fait à la philosophie, la fin des libertés en Russie, et l’actualité de Georges Perec.