
Le Quotidien et l'intéressant de Paul Veyne
Entretien avec Catherine Darbo-Peschanski
Le Quotidien et l'intéressant, recueil d'entretiens donnés par Paul Veyne en 1995 et réédité en 2006, développe les principes d'une épistémologie du quotidien, tout en approfondissant l'attachement de l'historien à la culture romaine, à ses racines grecques ainsi qu'à ses prolongements dans le monde occidental. L'ouvrage livre également une série de portraits chers à l'intellectuel : Michel Foucault, Raymond Aron et René Char.
La réédition en collection de poche de ce livre d’entretiens (qui date de 1995) avec Paul Veyne retient d’autant plus l’attention qu’il accompagne la publication d’un ouvrage de référence sur l’Empire gréco-romain aux éditions du Seuil. Veyne revient ici, au-delà de ses réflexions sur une épistémologie du quotidien, sur son intérêt pour le monde romain dont la culture avait selon lui ses sources et ses racines culturelles en Grèce. Mais aussi pour la civilisation occidentale qui en est la continuation en Amérique et en Europe. Cet ouvrage est aussi un précis d’histoire intellectuelle des trois dernières décennies où émergent des portraits : celui d’un Michel Foucault proche et inattendu, et celui de Raymond Aron dont il cherche à se distinguer (non sans quelque injustice) alors que celui-ci l’avait incité à se présenter au Collège de France. Autre figure : celle de René Char (auquel il a consacré une somme chez Gallimard) qui éclaire intensément les réflexions de Veyne sur la chair, le plaisir et l’extatique (le plaisir non sexuel) qui ne sont pas chez lui sans résonance romaine. Char fait ici écho à Plotin, Spinoza ou au Bernin : « En réalité, le propre de l’extase est d’autonomiser l’amour qui y devient un verbe sans sujet, sans attribut, sans objet et sans complément circonstanciel […] C’est l’expérience extatique qui a enseigné à notre poète de faire de l’amour son grand principe cosmique. Et on comprend aussi son sexisme : ce grand amoureux a écrit dix fois qu’il n’y avait pas place pour la féminité au fin fond de sa maison mentale – dans l’extase, l’amour perd toute chair, il perd même tout objet d’aimer. » N’étant pas devenu l’ami de Char par hasard, il livre aussi des pages admirables, lui l’habitant de Bédoin, ce village situé au pied de la Sainte-Victoire, lui dont la famille est venue du Piémont italien, sur la montagne… et les extases qu’elle provoque.