
Le romancier contemporain face à la question sociale. Entretien avec Alice Ferney
Propos recueillis par Anne Dujin
Comment les romanciers contemporains abordent-ils la « question sociale », qui a tant marqué la littérature du xixe siècle ? En tant que romancière, qu’est-ce qui vous paraît avoir changé en la matière ?
Une remarque préalable : l’entrée de la « question sociale » dans la littérature est une conquête sociale. Écrire comme lire, ces deux activités qui réclament disponibilité et tranquillité, ont longtemps été réservées à des privilégiés, à des citoyens que le travail n’avait pas épuisés, qui disposaient de temps libre, de sécurité et d’instruction. Flaubert fut le modèle de l’écrivain-rentier, comme après lui Gide, Martin-du-Gard, Proust, plus près de nous Claude Simon. Faut-il rappeler qu’à ceux de la Nrf, Zola paraissait affreusement « vulgaire » ? Tous furent dispensés de « travailler pour gagner le pain qu’ils mangent ». Pour le critique irlandais Cyril Connolly, cette faveur du sort expliquait le style mandarin, la langue littéraire sophistiquée écrite par des rentiers pour des rentiers[1]. Le xxe siècle, qui fut, disait Keynes, celui de la fin des rentiers, a changé cette donne. L’écrivain a un deuxième métier, le journalisme ou l’enseignement souvent, il écrit pour des lecteurs qui prennent le mét