La Belgique dans l'attente de son avenir
Ce lundi 10 septembre 2007, cela fait trois mois que les Belges ont voté pour les législatives. La crise s’est installée. Il n’est toujours pas possible de former un gouvernement. Les opinions publiques s’impatientent en Flandre, s’inquiètent en Wallonie et à Bruxelles. La presse tant flamande que francophone observe le raidissement des parties. Les milieux d’affaires, les médias étrangers s’interrogent sur l’avenir de la Belgique. Le gouverneur de la Banque centrale lance une mise en garde.
Les réformes institutionnelles qui se sont succédé depuis 1970 – faisant de la Belgique un perpétuel chantier institutionnel – n’ont pas apporté la paix que l’ultime réforme de 1993-1995 pouvait laisser entrevoir. Si, en 1970, le Premier ministre Gaston Eyskens pouvait déclarer « l’État unitaire est dépassé par les événements », l’État fédéral actuel ne l’est-il pas également ?
Est-ce pour cela que la Flandre va déclarer unilatéralement son indépendance, faire sécession ? Est-ce pour cela que la Wallonie va demander son rattachement à la France ? Sans doute oublie-t-on dans ces spéculations que la Belgique – et aussi la Flandre – connaissent le coût de tels scénarios autant sur le plan international qu’intérieur, et que, si la Flandre faisait sécession, la Belgique n’en continuerait pas moins à exister juridiquement et internationalement.
Mais évoquer une possible partition n’est plus un sujet tabou, comme le mot fédéral l’avait longtemps été autrefois. De nombreux Flamands l’évoquent ouvertement dans des déclarations politiques, tout comme certains milieux d’affaires. Les Francophones – qui furent les premiers à réclamer une régionalisation de la Belgique – sont souvent aujourd’hui saisis de stupeur et de tristesse, ne voulant pas croire la chose possible.
On ne peut, dans cette courte note, analyser le problème auquel la Belgique doit faire face. Pour être parfaitement compris, celui-ci doit être replacé dans la longue évolution sociohistorique remontant au xixe siècle. On se bornera donc à sérier les problèmes et les enjeux que le scrutin du 10 juin 2007 a amenés. Quels ont été les résultats de ces élections et pourquoi y a-t-il une difficulté, voire une impossibilité, de former un gouvernement ?
Les élections du 10 juin 2007
Depuis l’instauration du suffrage universel en 1919 et le choix du scrutin proportionnel, la Belgique a toujours eu des gouvernements de coalition, ralliant deux des trois familles idéologiques, les fameux piliers belges représentant les mondes catholique, libéral et socialiste. Le clivage communautaire flamand-wallon est très récent sur l’échiquier politique. Mais, il a transcendé tous les autres clivages. Il n’y a plus aujourd’hui de partis nationaux : chaque Communauté linguistique vote pour ses propres candidats… Le Premier ministre en Belgique n’a jamais été nécessairement celui qui avait gagné les élections, mais celui qui parvenait à réaliser une bonne coalition. Depuis la scission des partis nationaux, il doit, en plus de tout accord social et économique, rassembler des Flamands et des Francophones. Nous sommes en effet dans un fédéralisme bipolaire qui doit prendre en compte les demandes démocratiques des deux communautés.
Le scrutin du 10 juin a été réellement historique en Communauté française. En effet, le MR de Didier Reynders (Mouvement réformateur, issu du parti libéral) est devenu le premier parti de Wallonie, rejetant à la seconde place l’omnipotent parti socialiste usé par ses innombrables scandales. Personne ne l’avait prévu… Le parti socialiste a toujours régné en Wallonie, frisant souvent la majorité absolue.
Le scrutin n’est pas moins important en Flandre : le grand vainqueur, c’est le CD&V d’Yves Leterme (parti catholique qui avait perdu son éternelle majorité écrasante en 1999 au niveau fédéral). Un parti qui s’est allié dans ce dessein avec la Nva, petit parti nationaliste, ouvertement séparatiste. Le second parti est… le Vlaams Belang (extrême droite séparatiste), devançant de peu en voix (pas en sièges) l’Open Vld (parti libéral du Premier ministre sortant, Guy Verhoofstadt). Le Spa (parti socialiste) est le grand perdant : il est devenu le 4e parti de Flandre, et il s’est immédiatement replié dans l’opposition.
Mais ce qui est le plus important et qui explique la quasi-impossibilité à former un gouvernement, c’est que toute la Flandre a voté pour des politiques dont le programme électoral réclamait une profonde réforme de l’État fédéral, voire le séparatisme si on tient compte du VB, de la liste Dedecker et de la Nva et que tous les partis francophones sont allés devant leurs électeurs en refusant toute réforme institutionnelle.
Si l’on doit tirer une conclusion, c’est que le « nationalisme » flamand a été payant. Les libéraux qui parlaient de négociation et de solidarité avec les Francophones ont été durement sanctionnés. Les socialistes flamands qui, eux aussi, se montraient plus modérés sur le plan institutionnel, privilégiant la solidarité interpersonnelle, ont perdu 7 % de leurs électeurs. Le 10 juin, on a voté comme s’il s’agissait de deux élections régionales : deux corps électoraux, deux opinions publiques différentes et deux programmes électoraux différents.
La Belgique s’est donc retrouvée avec deux grands vainqueurs totalement opposés sur le plan institutionnel dans leur programme gouvernemental. Le MR du libéral Didier Reynders, qui n’avait pas de demandes de réforme de l’État, suivi en cela par tous les francophones et le CD&V du catholique Yves Leterme, réclamant, comme toute la Flandre, « tout et tout de suite ». C’est-à-dire, en gros, une scission immédiate de l’arrondissement de Bruxelles-Halle-Vilvoorde, une autonomie constitutive et une autonomie plus grande de la Flandre en de nombreux domaines.
Quel gouvernement ?
Une « bipartite » classique (en fait une quadripartite) rassemblant les « catholiques » et les « libéraux » a semblé s’imposer au lendemain des élections. La mise en place de cette coalition – qui disposerait de 81 sièges sur 150 au Parlement – a été préparée par l’« informateur » francophone nommé par le Roi, le libéral Didier Reynders. Il a officié jusqu’à la fin juin. Il ne s’est point préoccupé de l’institutionnel, au grand dam de la Flandre. Il n’a remis qu’un très long rapport socio-économique. Il a passé la main au médiateur J. L. Dehaene, un vieux routier de la politique belge, surnommé familièrement le démineur, chargé de tenter de faire rentrer le Cdh francophone, hostile à toute négociation institutionnelle, à la table des négociateurs. Le Roi a enfin nommé comme formateur Yves Leterme du puissant parti CD&V. Ce dernier, s’il a recueilli 800 000 voix en Flandre, un score extraordinaire pour la Belgique, n’est pas « accepté » par les Francophones. Cet homme de l’ombre, jusqu’il y a peu, devenu le ministre-président du gouvernement flamand en 2005, n’a aucune expérience du monde fédéral, du monde politique belge. Il multiplie les gaffes et les déclarations méprisantes pour les Francophones1, et on lui connaît peu de talent pour la négociation. Il a dû constater son échec mi-août. Suspendu, il est donc toujours en ligne, il attend que l’« éclaireur » ou l’« explorateur » (les termes révèlent progressivement la difficulté à imaginer les termes de la coalition) que le Palais a dû se résoudre à nommer, Herman Van Rompuy, ait accompli sa mission et ait convaincu les différents partenaires à se mettre à nouveau autour d’une nouvelle table de négociation.
On en est là après trois mois… C’est-à-dire que rien n’a bougé, que personne jusqu’ici n’a fait de concessions, que personne n’accepte le démantèlement de Bhv2 en préambule à toute discussion, l’autonomie plus grande de la Flandre ou les compensations réclamées, en réponse aux exigences flamandes, par les Francophones et qui tournent essentiellement autour du statut de la périphérie bruxelloise et des droits des Francophones.
Et que dire de tout l’aspect social, économique et budgétaire qui n’a pas encore été abordé et dont la négociation risque d’être très longue également ? La « famille » libérale ne partage pas, en effet, en ces domaines, les vues de ses partenaires catholique ou humaniste qui, eux-mêmes, divergent l’un de l’autre. L’un s’apparente plus au centre droit, l’autre au centre gauche… Pour « corser » la discussion, on sait, qu’hormis une détermination commune contre les revendications flamandes, le MR et le Cdh ne s’apprécient guère… La table de négociation devait donc rassembler et unir en vue d’un gouvernement des partenaires que tout oppose. Comment établir une réelle confiance dans ces conditions ?
Un autre problème explique l’enlisement actuel : si cette bipartite bénéficie de la majorité parlementaire (81 voix sur 150), elle ne dispose pas des majorités qualifiées ou spéciales nécessaires pour les grandes réformes institutionnelles réclamées par la Flandre. Ces dernières, promises aux électeurs flamands, nécessitent en effet, soit des majorités qualifiées requerrant les deux tiers, soit des majorités spéciales, réclamant en sus la majorité simple dans chaque groupe linguistique… D’où la nécessité qu’aurait ce gouvernement, pour les grandes réformes institutionnelles, de s’assurer des appuis ponctuels extérieurs à la coalition !
Bref, on l’aura compris, la formation d’un gouvernement issu des élections du 10 juin est d’une complexité absolue et relève d’un optimisme qui laisse pantois…
Le vrai problème
La Flandre, il est inutile de regretter la situation, est insatisfaite de la dernière réforme institutionnelle qui a fait de la Belgique un État fédéral avec, selon certains constitutionnalistes, de véritables aspects de confédéralisme. Elle veut encore plus d’autonomie. Beaucoup, dans le monde francophone, la soupçonne d’avoir un agenda caché qui serait la fin de la Belgique actuelle. Elle est riche et ne souhaite plus aider la Wallonie sans responsabiliser celle-ci. Elle constitue 60 % de la population et contribue à plus de 70 % au Pib. On ne peut nier non plus, qu’elle se perçoit comme une nation. La Belgique, même pour ceux qui ne se déclarent pas séparatistes, n’a pas vraiment de « valeur ajoutée » en Flandre.
Les Francophones, eux, sont divisés entre la région de Bruxelles-Capitale, seule région bilingue, capitale de la Belgique et capitale de la Flandre, et la Wallonie, terre sinistrée depuis les années 1950 par son déclin industriel. Cette dernière représente 31 % de la population belge : elle semble se redresser économiquement depuis quelque temps, mais reste un objet de mépris des Flamands. Les Wallons sont également divisés entre Région et Communauté, ayant refusé, sous la pression des socialistes, de réunir leurs institutions, ce qui induit une grande lourdeur politique et administrative3. Bruxelles-Capitale est enclavée dans le territoire flamand. Elle est essentiellement francophone (près de 90 % de sa population) et est entourée de « communes à facilités », c’est-à-dire garantissant certains droits aux francophones. Pour les Francophones, ces droits doivent être maintenus et garantis. Ils ne sont pas temporaires. Quant aux Bruxellois, ils souhaitent un élargissement de leur territoire, voire un couloir les reliant à la Wallonie. Les Bruxellois aimeraient surtout que l’on prenne en considération qu’ils existent comme Région et qu’ils sont un atout économique tant pour la Flandre que pour la Wallonie : 250 000 Flamands et 90 000 Wallons viennent y travailler chaque jour… C’est un « maillon » de la Belgique fédérale. Un portail pour la Flandre et la Wallonie, sans parler de son rayonnement européen et international. Tous les partis francophones se sont cependant présentés aux électeurs sans réel programme institutionnel4.
Comment réaliser un programme de gouvernement s’il n’y a aucune volonté de conciliation ? À la table de négociation, la Flandre exigeait (et continue à exiger) une vaste réforme institutionnelle et les Francophones maintenaient leur refus. Ces derniers pourraient aujourd’hui accepter de discuter à certaines conditions. Jusqu’à présent, depuis près de quarante ans, les réformes institutionnelles ont toujours été des réformes au coup par coup, l’un et l’autre étant demandeurs. Chacun pouvait gagner quelque chose dans les tractations et les compromis pouvaient être trouvés au prix de négociations dures et difficiles. Mais aujourd’hui ? Le parti d’Yves Leterme, aiguillonné par l’intransigeante Nva, ne veut et ne peut décevoir ses électeurs. Que peuvent, alors, négocier les Francophones s’ils n’ont pas vraiment de revendications et si une partie des demandes flamandes va à l’encontre de leurs intérêts ?
La scission de l’arrondissement de Bruxelles-Halle-Vilvoorde (Bhv5)
Ce problème est avant tout symbolique. Il est chargé – tout comme celui de la périphérie bruxelloise – d’émotion. Il condense, il est vrai, toute la revendication flamande de l’obligation d’intégration des Francophones en Flandre. En matière linguistique, la Belgique a opté, en son temps, pour la notion de territorialité : il n’y a pas de minorités en Belgique.
Cet arrondissement doit être scindé car il est un abcès de fixation inutile. C’est un fait que les Francophones doivent accepter. Mais, pour les négociateurs flamands, il doit l’être sans conditions puisqu’il est une anomalie qui ne tient pas compte de l’homogénéité linguistique de la Flandre. Cette scission peut être obtenue à la majorité simple et elle est le préambule à toute négociation gouvernementale. Pour les Francophones, c’est évidemment inacceptable. Et l’on voit mal le Front des francophones (Fdf), allié au MR à Bruxelles, accepter une telle intransigeance. Quant aux compensations que les Francophones pourraient obtenir, leur appétit est-il trop grand s’ils réclament l’élargissement de Bruxelles, la permission pour la Communauté française d’intervenir en Flandre ou des garanties pour les Francophones ? Comment expliquer qu’à l’heure où l’on écrit ces lignes, ce problème crucial, auquel on ne peut se soustraire, n’a pu être résolu entre les supposés futurs partenaires ?
Les grandes réformes institutionnelles
Le programme flamand est vaste. La référence reste les « cinq » résolutions du Parlement flamand votées en 1999. Il touche à l’autonomie constitutive de la Flandre, il réclame plus d’autonomie fiscale, plus de pouvoirs en matière d’emploi et sur le marché du travail, en soins de santé, en politique familiale, en justice, dans le commerce extérieur et dans la coopération, dans la politique scientifique, etc. Et cela au nom de « compétences homogènes » et d’une « bonne gestion » qui responsabiliserait plus les entités.
Il est certain que tout ce volet institutionnel, dont une grande partie nécessite la majorité des deux tiers, ne pourra aboutir en l’état. Du moins dans l’immédiat. Les Flamands ont déposé sur la table de négociation plus de soixante revendications ! Les francophones sont restés intransigeants. Pour eux, il est inutile d’en discuter, puisqu’il s’agit « seulement » de négocier un gouvernement qui ne disposerait que de la majorité simple. Autre argument de fond qui rend la discussion intolérable à leurs yeux : une bonne partie de ces demandes détricoterait la solidarité et n’apporterait rien au point de vue de la simplicité, bien au contraire6.
Que faire ? Il serait peut-être judicieux qu’une bonne partie des revendications flamandes ne fasse pas l’objet d’un accord gouvernemental immédiat. Le gouvernement ne disposerait de toute façon pas de la majorité des deux tiers pour l’appliquer. Sans être mises au frigo, selon l’expression belge qui a prévalu pendant des décennies, ces revendications pourraient alors être débattues au Parlement dans un large forum institutionnel où tous les partis prendraient part. On reparlerait alors de « dialogue de Communauté à Communauté », un système qui a fonctionné dans le passé. Ce découplage des réformes institutionnelles permettrait peut-être de sortir de l’enlisement actuel et… donnerait du temps au temps. Mais il est alors indispensable que les Flamands soient convaincus de la volonté de dialogue des Francophones7.
En fait, ce qui est en jeu, sous ce fatras de revendications, ce sont deux logiques différentes. Trop longtemps les Francophones se sont caché le problème8. Les divergences Nord-Sud sont fondamentales car les conceptions de l’État fédéral divergent complètement. La Flandre a développé une vision minimaliste de l’État, vision qui pour beaucoup touche, à terme, à l’existence même de l’État belge. Les Francophones s’accrochent à un État fédéral, que l’on pourrait certes toiletter, mais qui resterait l’institution centrale, l’institution de référence. C’est le nœud du problème, il faut en prendre acte et en tirer les conséquences. On n’en est plus aux revendications linguistiques, communautaires ni même économiques qui ont été à la base de la fédéralisation de la Belgique.
Et si la négociation échoue ?
D’autres coalitions sont-elles possibles ? Oui, les éditorialistes ont pu en dresser la liste. Elles sont beaucoup moins intéressantes, d’un point de vue démocratique, que celle-ci qui réunit les deux grands vainqueurs et aucun des deux grands perdants9. Mais dans quel intérêt si le parti CD&V d’Yves Leterme et sa liste de revendications restent incontournables ? Aucune coalition ne réunit par ailleurs les deux tiers indispensables au train de réformes constitutionnelles. Une tripartite classique réunirait certes les voix nécessaires, mais le Spa flamand ne le souhaite pas10. Un gouvernement asymétrique, à cinq, avec l’appui de socialistes francophones et une réforme de l’État en échange du poste de Premier ministre pour le libéral francophone Didier Reynders ?
La Belgique sera-t-elle condamnée à revoter ? Auquel cas, il est fort à craindre que la Flandre ne se radicalise encore plus.
Devra-t-elle se résoudre à opter pour un gouvernement, même de courte durée, jusqu’en 200911, centré sur les problèmes sociaux et économiques ? Impossible de donner un pronostic : l’imprévisible est de mise. La mission de l’explorateur-éclaireur, Herman Van Rompuy, se prolonge. Aujourd’hui, il se dit qu’il n’y aura pas de gouvernement pour la rentrée parlementaire du 6 octobre, mais que peut-être à la Toussaint12…
Une Belgique pour le xxie siècle ?
Le système fédéral belge a été conçu à coup de transferts successifs de compétences de l’État vers les entités fédérées13. Il n’est pas parfait. Il reste flou dans certains domaines. Il est compliqué, car il est le fruit de compromis arrachés de haute lutte. Il est exact qu’il pourrait être revu. Par exemple, il n’a pas établi de compétences concurrentes ni de hiérarchie de normes. Il ne définit pas les compétences de l’État fédéral.
Face à une Flandre qui exige une autonomie plus grande, les Francophones doivent aujourd’hui regarder leur avenir et élaborer pour eux-mêmes une stratégie, un projet positif. Ne serait-il pas judicieux, au point où en sont les choses, que chacun, Flamands et Francophones, réfléchisse globalement à ce que devrait être une Réforme de l’État qui tienne compte des intérêts des uns et des autres et qui adopte des mécanismes de solidarité interpersonnelle et entre entités, transparents et objectifs ? Une réforme qui, si elle accordait plus d’autonomie aux entités fédérées, refédéraliserait aussi certains domaines, réglerait, une fois pour toutes, le sort de Bruxelles et de sa périphérie. Si la Belgique doit devenir un État confédéral, qu’on le sache et qu’on agisse dans cette direction. Si elle accepte de garder, au sein de l’Europe, son statut d’État fédéral, que ses entités fédérées admettent de concevoir un niveau fédéral fort. Jusqu’ici, elle n’a été qu’un fédéralisme centrifuge de dissociation14 Cette situation n’est pas tenable : tout fédéralisme réclame une volonté commune.
Lorsqu’il a dû se résoudre à son échec à la mi-août, Yves Leterme, le formateur, s’est exprimé clairement sur ce manque « de consensus quant à la vision claire sur le rôle, la signification et la position de l’État dans un rapport constructif avec les régions et les communautés ».
Les Francophones reprochent aux Flamands un agenda caché où le terme serait l’indépendance de la Flandre. Ils n’ont pas tout à fait tort.
Ce lundi 10 septembre, le Parlement flamand était saisi d’une motion du Vlaams Belang en ce sens. Elle a bien évidemment été ajournée : les partis démocratiques ont refusé de s’associer à cette mascarade où Filip Dewinter demandait « l’euthanasie » de la Belgique. Mais, chacun en Flandre sait que s’il devait y avoir partition de la Belgique, cela ne se jouerait pas dans la rue, ni par autoproclamation. Chacun sait que cela se ferait dans le cadre parlementaire et que les négociations seraient longues et coûteuses. Le débat qui a suivi le show médiatique du VB n’en est pas moins révélateur du point de non-retour sur lequel tous les partis démocratiques flamands s’accordent. Tous les partis flamands ont réitéré leurs demandes d’autonomie plus grande. Pour le CD&V, il faut « tendre vers une réforme de l’État dont le centre de gravité doit se déplacer vers les entités fédérées […] les négociations seront ardues mais il n’y a pas d’autre choix ». Pour le Spa, « il faut une réforme de l’État, scinder Bhv, mais dans le cadre d’une fédération belge ». N’est-ce pas le moment, le tournant que doivent impérativement saisir les Francophones pour élaborer eux aussi un projet positif afin d’entamer une discussion sereine et loyale pour l’avenir de la Belgique ?
16 septembre 2007
PS : le mardi 17 septembre, le Roi a reçu l’« explorateur », Herman Van Rompuy, l’a confirmé dans sa mission, lui demandant de l’élargir aux problèmes sociaux et économiques. Une embellie pour les futures négociations autour d’un « formateur » ?
- 1.
On se souviendra de sa déclaration l’été dernier sur le manque d’intelligence des Francophones au journal Libération. Le 21 juillet, lors de la Fête nationale belge, il fredonne la Marseillaise, la confondant avec la Brabançonne… Le 12 septembre, il déclare vouloir aider les francophones en leur donnant de l’argent pour leurs écoles…
- 2.
Arrondissement de Bruxelles-Halle-Vilvoorde : voir plus loin.
- 3.
Cette question révèle bien les tensions des Francophones entre eux, par rapport à la Flandre. Depuis 1993, la fusion nécessiterait une majorité des deux tiers au Parlement pour être accordée. Cette semaine, Didier Reynders a relancé cette problématique : il a essuyé un refus complet auprès des autres partis francophones… Doit-il, dans cette proposition de simplification des institutions francophones, être accusé de faire le jeu des Flamands ? Ce serait, certes, un pas vers la discussion…
- 4.
Après l’émission-scandale du faux journal télévisé de décembre dernier, les Francophones ont joué la carte du front commun du refus de toutes réformes de l’État. Voir Annick Jamart, « Encore une blague belge ? Le canular de la Rtbf », Esprit, février 2007, p. 172-179.
- 5.
Réclamée depuis longtemps, elle a été mise au frigo ces deux dernières législatures, même si, à un moment, on est passé près d’un accord. Cet arrondissement judiciaire et électoral regroupe les 19 communes bilingues de Bruxelles-Capitale et 35 communes de la province du Brabant flamand. Cette entité est donc hybride et résulte du tracé de la frontière linguistique en 1963 et de la division en 1993-1995 de la province du Brabant en deux. On estime à 150 000 le nombre de résidents francophones dans cette partie du Brabant flamand. Ils font partie de la Flandre, selon le principe de territorialité. Donc pour les Flamands, ils sont flamands… Actuellement, ils ont accès à un appareil juridique bilingue et peuvent voter pour des candidats francophones bruxellois. En y mettant fin, les Flamands consacreraient le caractère homogène de la Flandre et… en cas de séparation, la frontière de l’État flamand ne pourrait être contestée. Notons que cette scission ne touche pas les « facilités linguistiques » actuellement dévolues aux six « communes à facilités » de la périphérie bruxelloise.
- 6.
Un exemple : pourquoi dédoubler la législation du travail alors que l’on tente d’harmoniser celle-ci au plan européen ?
- 7.
Jean-Luc Dehaene l’aurait suggéré dans une note « volée » par un journaliste. On comprend moins bien, sauf pour des raisons de basse politique intérieure, pourquoi proposer une législature écourtée (en fait pour remettre en selle les socialistes…), qui ne préparerait que les réformes à venir. Le gouvernement travaillerait jusqu’en juin 2009 et l’on regrouperait alors toutes les élections, régionale, communautaire, européenne et fédérale. Ceci permettrait aussi la formation de gouvernements fédéraux, communautaires et régionaux homogènes travaillant dans le même temps.
- 8.
On peut renvoyer à notre analyse du faux JT, Esprit, février 2007, p. 172-179.
- 9.
Certes, l’Open Vld l’est mais dans une moindre mesure que les socialistes. En sièges, il est le 2e parti de Flandre. Il faut noter que les écologistes ont été les gagnants de cette élection, surtout en Wallonie. Ils forment – et ce sont les seuls – une seule famille politique, un seul groupe parlementaire à la Chambre. Mais ils réitèrent leur refus d’entrer dans un gouvernement dont la priorité ne serait pas centrée sur les problèmes sociaux, économiques et le développement durable.
- 10.
La nouvelle présidente pressentie de ce parti a 32 ans (on peut parler de nouvelle génération). Elle répète que l’électeur ne lui a pas donné de mandat pour aller au fédéral. Elle acceptera de soutenir de l’extérieur certaines réformes qui iraient dans l’intérêt des gens. Elle rappelle que son parti a toujours défendu un programme communautaire rationnel et modéré.
- 11.
Ce qui permettrait de réunir les élections régionale, communautaire, européenne et fédérale.
- 12.
On ne doit pas s’affoler : en 1991-1992 la formation du gouvernement a demandé 103 jours, en 1978-1979, 106 jours et en 1987-1988… 148 jours.
- 13.
En trente ans, la Belgique a connu cinq réformes de l’État. En 1970, on a reconnu l’existence de trois « communautés culturelles ». En 1980, on a créé la région flamande et la région wallonne. La réforme de 1988-1989 a organisé la région bruxelloise. La réforme de 1993 a consacré la Belgique comme État fédéral (art. 1 de sa Constitution). La réforme de 2000-2001 a mis un peu d’ordre dans le financement, les institutions bruxelloises, l’organisation des provinces et des communes.
- 14.
Des universitaires ont proposé une circonscription fédérale qui permettrait d’envoyer au Parlement une partie de ses membres se présentant sur tout le territoire. Est-ce une utopie ? Est-ce techniquement possible quand on n’a plus de partis nationaux ? Est-ce que cela reproduirait inévitablement l’imbroglio de l’arrondissement de Bhv où des élus francophones se font élire en territoire flamand ? Certains politiques y sont favorables.