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De la démocratie en France. République, nation, laïcité, de Dominique Schnapper

Odile Jacob, 2017, 352 p., 26 €

Depuis près de trente ans, Dominique Schnapper s’interroge en sociologue sur l’état de notre démocratie. On lira donc, avec intérêt, ce recueil d’articles réunis thématiquement. Ils prolongent ou préparent les grandes synthèses qu’elle a publiées depuis la Communauté des citoyens en 1994[1]. Cet ouvrage articule, dans un horizon historique voire philosophique, données quantitatives, qualitatives, et analyses idéal-­typiques. Loin des essais personnels à la mode, ce recueil nous incite à réfléchir aux différentes facettes du vivre-ensemble contemporain.

Pour Dominique Schnapper, la centralité du politique dans les rapports sociaux est évidente et la notion de processus essentielle. La réalité n’est pas un donné qui s’impose aux individus, mais un ensemble d’interactions où l’État intervient tout comme la liberté des individus. Il n’y a ni «  dominants  » ni «  dominés  ». Pas de déterminisme, mais un jeu d’explications possibles, loin de tout dogmatisme.

La nation, cette « communauté de citoyens », l’inaliénable horizon universel, les institutions et l’égale dignité des citoyens chevillent toute sa réflexion. Si le politique est au centre de la connaissance sociologique, la relation à l’autre en est l’âme. L’écart entre les faits et les idéaux n’entraîne ni pessimisme ni dénigrement. Au contraire, il rappelle les défis auxquels nos sociétés sont confrontées et qu’elles doivent relever.

La première partie de ce recueil regroupe thématiquement des articles consacrés au lien démocratique. Quels sont les rapports que la nation entretient avec le citoyen, l’étranger, l’universel ? Les passions et les revendications de l’ethnico-religieux se renouvellent : les individus «  bricolent et recomposent les éléments  » pour répondre à des besoins de reconnaissance. Si l’on parle d’intégration et d’exclusion, il faut admettre qu’il n’y a pas de catégories figées et préciser que l’on a affaire à des trajectoires de vie individuelles. Et constater aussi que la nation recèle une ouverture potentielle aux non-citoyens. L’État providence peut, hélas, avoir des effets pervers, produire des assistés prêts à se sentir victimes et conduire à l’indifférenciation. En promouvant l’idée de l’égalité, nos démocraties risquent de méconnaître les limites qu’impose la vie en commun. Mais la citoyenneté, malgré son abstraction et sa séparation avec le religieux, tisse des liens invisibles au-delà de la déliaison individualiste et de la prééminence de l’économie sur le citoyen. Pour l’auteur, une citoyenneté post-­nationale, purement civique, évacuerait la dimension affective et «  le lieu où se concrétise l’espace de la politique  ».

La deuxième partie est plus directement liée à l’actualité et s’interroge sur la manière de traiter les diversités inhérentes à toute société. Dans les années 1980-1990, on pouvait se féliciter du processus de l’intégration des juifs dans l’espace français et penser que les populations musulmanes maghrébines suivraient le même chemin. Lors de la guerre du Golfe, « le communautarisme ne s’est pas manifesté ». Après les émeutes des banlieues en 2005, notre sociologue doit constater que la situation a évolué. Y aurait-il un échec du modèle républicain ? D’où ses analyses sur le pluralisme, le multiculturalisme, la mixité sociale, la discrimination positive qui porte atteinte au principe d’universalité. Le seul recours aux statistiques ethniques risque, pour elle, de « construire » des identités, de fragmenter le corps social, alors que la République française intègre des individus et non des ­collectivités. Dans nos sociétés, toujours diversifiées, elle souligne le rôle fondamental de l’État qui est « d’organiser l’unité de l’espace politique commun ». Elle note que « la plupart des pays tentés par des formes de multiculturalisme sont revenus à des politiques dites d’intégration ». Reste alors la question essentielle à ses yeux : comment transcender aujourd’hui les faits culturels ou religieux incompatibles avec notre espace politique ? L’auteur note que nos démocraties sont affaiblies par les identifications particulières, le manque de transcendance religieuse ou politique et la perte de projet commun. C’est avec l’engagement des citoyens, leur volonté à défendre l’utopie créatrice de la conception individuelle de la citoyenneté et la force des institutions que l’on peut espérer faire face à la crise sociale et politique.

Ce qui frappe, c’est la rigueur, l’acuité et la mesure dont font preuve les analyses de Dominique Schnapper. Si l'on y ajoute la clarté de la langue et une réflexion imprégnée de la pensée de Montesquieu, Kant, Tocqueville, Aron, on ne peut qu’être séduit par ce tableau très informé de l’état de nos sociétés. Avec raison, elle nous rappelle que nos démocraties sont fragiles, qu’elles évoluent selon leur logique et leur dynamique internes. Elles risquent donc de se «  corrompre  » si nous n’y prenons garde ! Son inquiétude se mâtine cependant d’optimisme car elle aime à rappeler que nos sociétés restent les plus libres, les plus sûres et les plus inclusives des sociétés historiques.

Annick Jamart

 

 

[1] -  Dominique Schnapper, la Communauté des citoyens. Sur l’idée moderne de nation, Paris, Gallimard, 1994 (rééd. « Folio », 2003) ; la Relation à l’autre. Au cœur de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, 1998 ; la Démocratie providentielle. Essai sur l’égalité contemporaine, Paris, Gallimard, 2002 (rééd. « Folio », 2010) ; l’Esprit démocratique des lois, Paris, Gallimard, 2014.

 

Annick Jamart

Historienne, elle s'intéresse à la Belgique contemporaine et préside diverses associations culturelles. Elle a publié divers articles dans la revue Esprit sur la crise institutionnelle belge et son fédéralisme atypique.

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