Belgique : la fin du suspens
Ce mardi 11 octobre 2011, un premier pas a été franchi. Un accord institutionnel a été conclu entre les huit partis qui avaient accepté de s’asseoir finalement à la table des négociations.
Paradoxe, le grand gagnant des élections, le plus grand parti de Belgique, la séparatiste N-VA (Nouvelle alliance flamande) n’en fait pas partie : elle s’en était exclue dès juillet. La Belgique peut respirer. Pour un temps.
Un compromis institutionnel inespéré
Il s’agit d’un véritable compromis sans gagnant ni perdant. Les Francophones comme les Flamands peuvent le présenter positivement à leurs électeurs. Les Flamands ont obtenu la scission de l’arrondissement électoral et judiciaire de Bruxelles-Hal-Vilvorde, question essentielle pour eux, non négociable disaient-ils. Cette question hautement symbolique empoisonnait toute la vie politique belge depuis des années. Wouter Beke, le jeune président des catholiques flamands, n’a accepté de siéger à la table des négociations qu’à la seule et unique condition que ce problème soit réglé avant toute chose. Il ne l’a été que fin septembre au prix de très graves discussions. Les Flamands ont dû accorder des compensations aux francophones.
Le statut de Bruxelles a trouvé une solution : c’est une victoire francophone. La région ne pourra plus être uniquement cogérée par les deux communautés, ce qui met à mal le rêve flamand selon lequel le fédéralisme belge ne pouvait reposer que sur les deux communautés flamande et francophone, et non sur des régions. D’autres accords essentiels changent la dynamique du pays. Ils concernent des transferts accrus de compétences dont l’emploi, les allocations familiales, une responsabilisation des entités fédérées, une modification substantielle de la loi de financement, etc. Toute une série de revendications flamandes auxquelles s’opposaient depuis des années les francophones. Le Sénat et bien d’autres segments de la vie politique seront aussi modifiés. Mais l’État fédéral reste central et garde des compétences : la collecte de l’impôt, même si elle n’est plus totale, et la sécurité sociale (sauf les allocations familiales) restent dans son giron.
Bref, c’est un compromis équilibré, le seul sans doute qui pouvait l’être dans l’état actuel des choses. Il intervient seize mois après les élections ! Il a été conclu par les huit formations qui avaient accepté de s’asseoir, après bien des atermoiements pour le parti catholique flamand, autour du formateur, le président du parti socialiste francophone, Elio Di Rupo. Il faut louer la ténacité et l’intelligence politique exceptionnelle de cet homme sans qui l’accord n’aurait pu être conclu. On reviendra plus longuement sur toutes ces questions avec les conséquences qu’elles entraînent pour la vie (ou la survie) de la Belgique.
Car il ne faut pas se leurrer, cette réforme, présentée comme historique, mémorable, ne sera pas la dernière. Kris Peeters, le ministre-président du gouvernement flamand, dont le parti a permis cet accord, l’a clairement annoncé. Elle n’est pas la révolution copernicienne tant attendue.
Le volet socio-économique
Il reste maintenant aux négociateurs tout le volet socio-économique à traiter et la partie sera difficile entre les partenaires du futur gouvernement. Il doit aussi, dans l’urgence, préparer le budget 2012, ce que le gouvernement de Leterme (en partance pour l’Ocde), en affaires courantes, n’a pas fait.
Ce volet, dont on parle peu, tant les questions institutionnelles rongeaient le pays, sera pourtant essentiel dans un contexte international et européen difficile économiquement, financièrement et socialement.
Ils ne seront plus « que » six partis à continuer la négociation au sein de la future coalition gouvernementale. Le mouvement écologique en a, en effet, été exclu par un diktat flamand, mais il garde sa loyauté à l’accord conclu. Ses voix sont en effet indispensables pour les réformes institutionnelles qui réclament la majorité des deux tiers.
Une chose est certaine : le gouvernement qui se présentera fin octobre, ou plus vraisemblablement début novembre, devant les chambres sera de centre droit. Les six partis sont issus de ce qu’on appelle encore en Belgique les familles traditionnelles, mais ils ont tous acquis des sensibilités différentes sur l’échiquier gauche/droite. Les partis flamands se sont non seulement flamandisés mais aussi « droitisés » par rapport à leurs homologues francophones. Le mouvement écologique aurait permis au gouvernement de garder une coloration plus centriste.
On ne peut pas parler de gouvernement d’union nationale : le plus grand parti de Belgique, la N-VA de Bart De Wever, qui avait gagné les élections et qui aurait donc dû former le gouvernement, n’en fera pas partie. Démocratiquement, c’est une anomalie… Cette formation continue, malgré l’accord gouvernemental, de progresser dans les sondages : elle atteindrait aujourd’hui près de 40 % des intentions de vote auprès des électeurs flamands ! Ces derniers, qui ne sont majoritairement pas indépendantistes (10 % à 15 % seulement), continueraient donc à accorder leurs suffrages à cette formation !
Ce parti mènera la vie dure au gouvernement : il a déjà montré son opposition à la réforme institutionnelle lors de débats houleux au parlement flamand… On connaît sa réfutation des mesures économiques évoquées en juin par le formateur. Le Front des francophones (Fdf), isolé suite à sa séparation avec le parti libéral, sera aussi dans l’opposition. Le Fdf n’a pas supporté la « trahison » du jeune président Louis Michel, signataire de l’accord sur B.H.V. (Bruxelles-Hal-Vilvorde). Et cela ne sera pas sans conséquences sur la vie politique à Bruxelles et en Wallonie.
L’opposition comprendra également, pour ce qui concerne le volet socio-économique, les deux partis écologiques. Ils l’ont fait savoir.
Car quelles seront les mesures prises par le gouvernement ? Des mesures d’austérité, très certainement, dans le climat délétère que connaît l’Europe. La coalition entraînera des revirements douloureux pour certains par rapport à leurs promesses électorales. Et les syndicats, des deux côtés de la frontière linguistique, ont promis, dès juin, un automne agité. Aujourd’hui s’ajoutent encore, dans une situation tendue, la fermeture partielle d’Arcelor-Mittal en Wallonie et le démantèlement de la banque franco-belge Dexia.
Une réforme pour combien de temps ?
En fait, l’accord gouvernemental ne permet-il pas tout simplement de gagner du temps ? De préparer, en douceur, ce que Bart De Wever appelait l’« évaporation de la Belgique » ?
Ce dernier, en tout cas, mène une stratégie électorale à court terme évidente. La mise en œuvre des mesures institutionnelles prendra du temps, sera difficile. Il aura tout le loisir de les critiquer. Et de se présenter, encore, comme le grand sauveur aux élections communales de l’automne 2012, des élections très importantes en Belgique, face à un parti catholique qui perd ses locomotives (Éric Van Rompuy, Yves Leterme, Inge Vergotte et bien d’autres) et à tous les partis qui auront dû prendre des mesures impopulaires.
Quant aux francophones, ils ont l’obligation de se redresser économiquement. Y arriveront-ils ? Les dotations dont ils jouissaient ont été remplacées par une responsabilisation effective des compétences reçues. Le défi est de taille pour une région dont l’économie ne se redresse que lentement. La Flandre se glorifie d’avoir retrouvé, malgré la crise, une bonne santé économique. Si le budget flamand est en équilibre et dégage même des bénéfices qu’il peut redistribuer à ses citoyens, le budget wallon est toujours en déficit. Il promet un équilibre pour seulement 2014-2015. Bruxelles-capitale est, elle aussi, devant un grand chantier de restructuration.
En 2014 auront lieu les élections fédérales, régionales et européennes. Qui raflera la mise en Flandre ? Un certain Bart De Wever, pour qui la fin du fédéralisme belge a sonné ?