
Alain Rey : chantre d’une lexicographie engagée
La disparition d’Alain Rey est l’occasion de revenir sur la vie et l’œuvre de cet amoureux de la langue française et de son histoire. Observateur attentif des mutations du lexique, architecte infatigable du Robert, il a longtemps incarné une défense intransigeante de la langue, qui se refusait à toute forme de purisme.
« Plus on regarde un mot de près, plus
il vous regarde de loin. »
(Karl Kraus)
L’œuvre que nous laisse Alain Rey, linguiste et lexicographe, auteur du Grand Dictionnaire de la langue française, est particulièrement foisonnante ; et le personnage, devenu au fil du temps familier des Français, attirait volontiers la sympathie. Sa défense joyeuse et passionnée d’une langue dans tous ses états nous manquera beaucoup, dans un paysage médiatique un peu morose. Chaque voyage lexical où il embarquait lecteurs ou auditeurs devenait une aventure, explorée entre érudition savante et approche ludique, voire frondeuse. Il rendait visible la stabilité des origines, ces racines qu’il ne désavouait pas comme telles, mais aussi les chemins de traverse d’une étymologie prise en défaut, dont le « grincement » opère justement au bénéfice d’une langue française bien vivante, aux prises avec la pression culturelle de l’usage. Il était également sans complaisance pour la progressive atrophie de l’aura mémorielle du langage, même s’il ne partageait pas sur ce point les inquiétudes extrêmes de George Steiner sur « la grande retraite du mot