
Les passeurs de l’essentiel
Cinq enseignants interrogent le sens de leur pratique professionnelle et leur regard sur l’école aujourd’hui. Nous leur avons demandé de présenter brièvement l’origine de leur vocation et leur parcours, ainsi que les spécificités des contextes scolaires dans lesquels ils travaillent. Puis nous les avons invité à réagir à un propos de Jean-Marie Domenach qui affirmait que, face à la surabondance d’informations propre à notre époque, l’enjeu pour l’école est moins de « lutter contre l’ignorance » que « contre l’insignifiance », c’est-à-dire de fournir « une articulation des savoirs et une hiérarchie des valeurs[1] ». Ces entretiens rendent compte d’expériences assez diverses qui, sans être représentatives, dessinent un tableau de la pratique enseignante en France en 2019 et témoignent du dynamisme de la vocation chez ces « passeurs de l’essentiel », attachés à leurs élèves, à leur discipline et à l’école de la République.
Le désir et le territoire
Camille Taillefer – Le collectif d’élèves de première du lycée Jacques Feyder d’Épinay-sur-Seine qui a rédigé une tribune, intitulée « Sommes-nous moins français parce que nous vivons de l’autre côté du périphérique ? », dans Le Monde du 22 juin 2019, a fait le lien entre conditions de scolarisation et citoyenneté. Ce faisant, ils ont conquis leur indépendance, « le droit d’accéder aux problèmes » comme l’écrivait Jacques Berque à propos des pays colonisés[2], et prouvé que l’école était encore capable de réussir sa mission émancipatrice.
Il n’y a pas de spécificités de l’enseignement dans un établissement de banlieue, dit sensible. À l’inquiétude de nouveaux collègues demandant « c’est vrai qu’il y a beaucoup de violence ? », il faudrait pouvoir apprendre la réalité quotidienne de leurs futurs élèves, la violence du chômage, de l’assignation à résidence, des préjugés sociaux… Et donc voir des écoliers et non des délinquants en puissance. Affirmer que, ici comme ailleurs, les élèves sont des adolescents en construction, en quête de repères, d’identification, de limites. Qu’ils sont, ici comme ailleurs, provocateurs, insupportables, idéalistes, enthousiastes et brillants. Qu’ils sont des élèves avides de « réussir