Jacob Lawrence : une autre histoire de migration
Alors que l’Europe craint d’être submergée par une vague apparemment sans fin de damnés de la terre, et que les États-Unis vivent le réveil d’une violence policière atavique qui ranime le souvenir du Sud raciste, les soixante petites peintures de Jacob Lawrence, The Migration Series, offrent une perspective qu’on dirait sobrement optimiste. Peinte en couleurs primaires sur de petits panneaux de bois de taille identique (45, 7 × 30, 5 cm) en 1940 par un jeune Noir âgé de vingt-trois ans, la série, à la manière du cinéma muet, est augmentée par des sous-titres qui racontent l’histoire anonyme et collective de la Grande Migration des Noirs du Sud vers le Nord, qui débute dans les années 1910. La réception de l’artiste inconnu fut instantanée ; vingt-six des images furent reproduites dans le magazine Fortune en 1941 ; et les deux musées d’avant-garde, le MoMA à New York et le Philips à Washington, achetèrent chacun la moitié de la série1.
La Grande Migration déplaça quelque six millions d’Africains-Américains qui quittèrent des terres arides et une vie de discrimination pour rejoindre les grandes villes urbaines du Nord. Il s’agissait d’une « libération sans leaders », d’une aspiration collective qui n’allait pas sans tristesses ni co