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La normalisation de l'écologie politique

En nouant un accord de législature avec le parti socialiste, les dirigeants écologistes ont pris le risque de perdre en poids électoral pour gagner en présence dans les institutions. Un pari risqué, mais pas absurde. Il marque un besoin de consolidation de l’écologie politique, après l’enthousiasme créé par la liste Europe Écologie en 2009. Mais jusqu’où ira cette participation au gouvernement et que va-t-elle changer de la culture politique des écologistes ?

Échecs et succès électoraux

En quelques années, l’écologie est passée par les échecs et les succès les plus divers. Après la déconfiture de 2007 à la présidentielle (1, 5 % pour Voynet, 1, 3 % pour Bové), l’aventure d’Europe Écologie aux élections européennes de 2009 met la liste conduite par Daniel Cohn-Bendit à égalité avec celle du PS (16, 2 %). Les régionales de 2010 ont confirmé la bonne santé écolo (12, 5 %), mais la décrue s’est annoncée dès les primaires internes, confirmée pour Eva Joly à la présidentielle (2, 3 %), tandis que l’accord signé en amont a permis d’avoir un groupe de députés aux législatives. Bilan pour 2012 : de faibles scores, mais beaucoup d’élu(e)s. Deux ministres, mais pour certains beaucoup de déception d’avoir vu fondre les espoirs nés voici trois ans, un soir d’élection européenne.

En quelques mois, les dirigeants écologistes sont donc entrés dans une logique gouvernementale et s’y trouvent plutôt à l’aise. Depuis la victoire de François Hollande, Europe Écologie les Verts (Eelv) est devenu un parti de gouvernement, avec deux ministres, qui ne sont pas à l’environnement. Un choix que l’on imagine guidé par l’intelligence tactique et la mémoire partagée des partenaires sur l’expérience de la « gauche plurielle » (ou « majorité plurielle », entre 1997 et 2002).

Entre l’écologie ministérielle et les écologistes, les sujets de discorde potentiels ne manquent pourtant pas ; si Cécile Duflot avait été chargée de l’écologie, au moindre nouvel accroc à Notre-Dame-des-Landes ou nouvelle annonce de rallonge pour l’Epr de Flamanville, l’hypothèse de sa démission aurait fait les unes et l’ancienne secrétaire nationale du parti aurait subi la pression des militants des deux camps. Delphine Batho, ministre socialiste de l’Écologie, occupe donc le rôle de composition qui lui a été attribué : défendre une écologie de gouvernement laissant place à une approche environnementale et technique, tout en restant strictement socialo-compatible.

Dedans, plutôt que dehors

La composition du gouvernement a donc habilement positionné les partenaires écologistes dans des champs qui ressortent de compétences plus personnelles que collectives. Cécile Duflot, ministre du Logement (et de l’Égalité des territoires), était cadre dans le logement social. Pascal Canfin est ancien journaliste à Alternatives économiques ; il sait quels sont les écueils du développement à la française. Chacun est ainsi au mieux dans son rôle, en tant que ministre en charge d’un secteur plutôt que comme chef (ou dirigeant) d’Eelv. Ce qui permet d’ailleurs à François Hollande comme à Jean-Marc Ayrault de renouveler périodiquement leur confiance à leurs ministres, au-delà de petites différences d’appréciation, ou de langage, sur certains dossiers, tels que le refus de voter le traité budgétaire européen, ou la mobilisation contre le projet d’aéroport de Notre-Dame-desLandes. Même quand Cécile Duflot explique qu’elle a l’impression de porter une « muselière », ou quand Pascal Canfin avoue qu’il serait allé manifester lui-même, s’il n’était pas ministre… Une liberté de ton dont beaucoup de socialistes s’offusquent, d’ailleurs, appelant le chef du gouvernement à plus de fermeté à l’égard de ces alliés un peu trop « critiques ». Il n’empêche que les ministres écologistes, à leur place et dans leur rôle, ne sont pas les plus fragilisés du gouvernement.

De toute évidence, le départ des écologistes du gouvernement n’est pas dans les plans ni de François Hollande ni de son Premier ministre, eux qui se déclarent plutôt satisfaits de leurs ministres et désireux de ne pas leur donner l’occasion de quitter un exécutif en piètre état dans l’opinion. Cela remettrait un air de discorde et de chaos là où le gouvernement cherche à imposer une image de sérieux, dégagé de considérations politiciennes.

D’autant qu’en cas de départ, d’autres questions se poseraient aux socialistes, dans leur solitude : sur leur choix d’une politique de « rigueur », au nom de la dette et de la nécessité des comptes publics ; mais aussi sur leur déconfiture prévue aux prochaines élections locales. Et surtout, plus rien n’empêcherait les écologistes de se positionner comme de nouveaux opposants au pouvoir sur tous les fronts : social, sociétal, ou environnemental… Ce qui ne tarderait pas à donner à l’opposition « de gauche » un poids inédit, rassemblant Front de gauche et Eelv, réunis par une même volonté de proposer une « autre politique » que celle menée par les socialistes. Les écologistes ont compris qu’ils sont aujourd’hui une caution utile, au sein du gouvernement, donc nécessaire. Et que cela peut avoir des avantages.

Des ressources inédites

Malgré la mauvaise prestation à l’élection présidentielle, l’écologie politique, avec ses élus et ses responsables en position de pouvoir, dispose et va disposer dans les prochaines années d’une visibilité décuplée et de ressources plus importantes que jamais.

Pour le parti Eelv, qui a connu quelques périodes difficiles en termes financiers, la perte de cotisations d’adhérents sera très largement compensée par les subsides de l’État liés aux résultats des législatives (grâce à l’accord) et les reversements d’élus de plus en plus nombreux (tant européens que nationaux, en régions et départements). Mais au-delà, ces élu(e)s sont aussi des porte-parole potentiels, médiatiquement reconnus ou en passe de le devenir, disposant de moyens, de collaborateurs, de réseaux et de projets – et, pour la première fois, de groupes parlementaires à l’Assemblée comme au Sénat. Des collaborateurs nombreux, qui pourraient se révéler importants à terme ; ce sont en effet plusieurs centaines de personnes qui ont pris pied dans l’appareil politique local et national sous l’étiquette écologiste. De ce point de vue aussi, l’écologie politique a gravi un échelon en 2012.

Du côté des adhérents eux-mêmes, la situation est moins reluisante, tant le différentiel semble se creuser ; leur nombre est en baisse importante. Beaucoup, venus ces dernières années, sont partis (ou n’ont pas réadhéré comme adhérent ou « coopérateur ») au moment de la présidentielle, ou juste après. Il reste néanmoins des sympathisants et des réseaux qui ont accompagné le succès de 2009 et surtout de nouvelles recrues bien décidées à poser leur action dans le temps.

L’équation du parti écologiste a toujours été complexe : fort turn-over, peu de formation interne. Eelv ne sera pas un parti de masse. Mais l’écologie politique peut compter sur un « peuple de l’écologie » disponible à certains moments, en fonction des combats et des victoires potentielles.

Alors, le poids des écologistes ? La balance des bons et mauvais points fluctue, selon les attentes et les priorités. Les élus sont nombreux et disposent de moyens, mais semblent s’éloigner des préoccupations de la base. L’écologie politique se « normalise », en s’insérant dans un système politique que beaucoup lui reprochaient de ne pas bien comprendre.

Développer l’idée écologiste

L’écologie politique a fait le choix du pouvoir, aux côtés d’un partenaire socialiste dont la culture et les réflexes l’entraînent très souvent loin de l’écologie. L’accord électoral s’est noué parfois sur des malentendus et quelques refus de choisir (nucléaire, proportionnelle). Certains ont espéré qu’une « culture commune » émergerait, au cours de cette alliance1. Mais une fois au pouvoir, le socialisme apparaît dans sa nudité conceptuelle, à peine voilée derrière un discours social-démocrate aux airs de modernité sociétale et de sérieux économique. Fondamentalement, dans la campagne nantaise ou en Normandie, les projets d’aéroport géant ou d’Epr coûteux montrent combien l’imaginaire socialiste reste arrimé au xxe siècle, productiviste et peu novateur. Loin des envolées sur la « transition écologique » et l’invention d’un nouveau modèle pour le xxie siècle qui étaient parfois promises aux écologistes, qui ont dû se résoudre, après quelques mois : pour leurs partenaires, la crise a remis la quête de croissance au pouvoir et le fossé d’incompréhension reste béant. Les écologistes sont confrontés à ce dilemme, qui interroge leur propre position et leurs choix : comment rester solidaires d’un pouvoir qui ne comprend pas l’écologie, cette crise globale et ses fondamentaux ?

Et c’est sans doute sur ce point que l’écologie pourrait profiter de sa position et de ses ressources inédites pour engager la suite de son propre développement durable : le combat intellectuel, ou culturel, qui permet de devenir une force sociale, autant que politique. Certains convoqueront Gramsci et l’« hégémonie culturelle » ; d’autres en appelleraient à Serge Moscovici (le père du ministre) et ses « minorités actives ».

Les Verts sauront-ils construire des lieux de contre-culture écologiste ? Des réseaux existent, des opportunités aussi. Une fondation de l’écologie politique est en cours de constitution. Une stratégie de long terme doit venir suppléer la tactique et les « coups » politiques. Et cela quelle que soit la durée de vie de l’actuel gouvernement, ou de la coalition au pouvoir. Après la conquête militante et les succès électoraux, après les accords qui donnent accès au pouvoir, il reste à édifier un espace durable pour développer la pensée écologiste.

  • 1.

    Voir Lucile Schmid, « Socialistes et écologistes : les chocs culturels d’une alliance », Esprit, février 2012, p. 48-54.

Erwan Lecœur

 Sociologue, consultant et ancien directeur de la communication de la Ville de Grenoble, il a publié sur le sujet : Des écologistes en politique (Lignes de repère, 2011) et avec Wilfrid Séjeau, Petit bréviaire écolo (Les Petits matins, 2011).

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