
Un moment écologique
La rentrée politique a été marquée par la décision de Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, de quitter le gouvernement. Il en a fait l’annonce de manière inédite, à la radio, prenant les auditeurs directement à témoin, en assumant de n’avoir prévenu ni le président de la République, ni le Premier ministre. Depuis, son successeur a été nommé, et le discours du gouvernement a consisté à minimiser la portée de l’événement : les orientations en matière d’environnement ne changent pas, les dossiers reprennent leur cours. On continuerait à faire du Hulot sans Hulot.
Le mouvement est venu, en revanche, de la société civile : marches pour le climat dans toute la France, appel de sept cents scientifiques réputés à agir, réunions et débats, émissions de télévision grand public sur les méfaits de la pollution ou de la malbouffe. Ces dernières semaines, au sortir d’un été caniculaire et marqué par des catastrophes naturelles intervenues aux quatre coins du globe, l’atmosphère s’était comme saturée d’écologie. La démission de Nicolas Hulot y a donné une résonance particulière.
Le débat va-t-il maintenant se déplacer vers les manières d’agir pour changer et – ce qui nous semble le plus important – les raisons d’espérer et de faire ? C’était le sens du dossier double que la revue a choisi de consacrer, au début de l’année, aux différents « mondes de l’écologie[1] ». Car désormais les termes de l’urgence sont bien connus. Les quinze prochaines années, d’ici à 2035, doivent être marquées par une transformation profonde des manières de penser, de produire, de consommer, de gouverner, de vivre, tout simplement.
En quittant le gouvernement, Nicolas Hulot a su déborder le cadre étroit des questions politiciennes auxquelles il a été confronté sans cesse depuis sa nomination comme ministre (« Quand partirez-vous ? » « Êtes-vous en accord avec vous-même ? ») ; il a démissionné de responsabilités institutionnelles pour en appeler à des responsabilités plus larges et à des questions plus vastes. Sortant du champ strict des politiques publiques et du détail des dossiers « sensibles », son intervention a posé clairement la question du changement de système économique, appelant à une transformation en rupture avec « les petits pas ».
Cette approche a des conséquences profondes. Lancer l’alerte ne saurait suffire. La transformation écologique appelle à définir des liens nouveaux entre économie et écologie d’une part, démocratie et écologie d’autre part. Elle suppose aussi de réserver aux données scientifiques une place renouvelée dans les décisions. Sur l’économie d’abord. Il est de bon ton de disqualifier les entreprises comme des adversaires de l’écologie. Il serait plus exact de dire que l’économie est un champ de bataille écologique. Que ce soit pour l’allocation des ressources financières et la réhabilitation de l’investissement, le respect de la nature, les choix d’innovation ou les droits des consommateurs et des petits producteurs, c’est une nouvelle hiérarchie des priorités économiques qui émerge. Il s’agit d’inverser le raisonnement courant, où l’écologie coûte toujours trop cher, pour comprendre pourquoi les ressources financières sont à ce point rares lorsqu’il s’agit de changer l’ordre des choses.
Le moteur de la transformation est aujourd’hui du côté
des initiatives sociales
et solidaires et des acteurs associatifs, bien plus que
des responsables au pouvoir.
Sur la démocratie ensuite. Il y a quelques années encore, les difficultés à associer les citoyens à la transformation écologique à cause de sa complexité, de son invisibilité et de son inscription dans le long terme étaient abondamment soulignées. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. Pour notre plus grand malheur, l’accélération des dégradations les a rendues visibles à chacun ; l’urgence est désormais perceptible. Surtout, l’intérêt des sociétés pour les enjeux écologiques est devenu patent. Cela ne signifie pas que les débats aient perdu en conflictualité ou que le passage des convictions aux actes soit simple. Mais le moteur de la transformation est aujourd’hui du côté des initiatives sociales et solidaires et des acteurs associatifs, bien plus que des responsables au pouvoir. Il reste à imaginer un débouché institutionnel à des élans démocratiques souvent très locaux, ou encore trop incantatoires. Et à porter toutes ces questions au plan européen, car c’est à cette échelle qu’on peut espérer peser sur des réalités globales.
L’écologie fait apparaître, enfin, le rôle essentiel des sciences dans la connaissance du monde, mais aussi combien la place des scientifiques reste encore faible dans l’univers de la décision politique. Espérer que la réponse au défi écologique se trouvera dans le progrès scientifique et technique sans modifier au fond nos choix politiques ne ferait qu’aggraver l’impasse dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui ; se priver de ce réservoir de connaissances et de créativité serait une erreur au moins équivalente. La difficulté à trouver une juste place pour les scientifiques, comme pour les citoyens, montre que l’univers politique traditionnel s’est singulièrement rétréci dans ses fonctionnements depuis quelques décennies. Fort heureusement, l’écologie appelle à réhabiliter la complexité pour agir.
Esprit
[1] - « Les mondes de l’écologie », Esprit, janvier-février 2018.