Do not follow this hidden link or you will be blocked from this website !

Dans le même numéro

Haïti. L'aide internationale à réinventer

par

Esprit

février 2010

La catastrophe humanitaire déclenchée par le tremblement de terre du 12 janvier en Haïti confirme la dimension d’injustice qui, au-delà de l’urgence, caractérise les catastrophes contemporaines. S’il est vain d’accuser un sort qui s’acharne sur un des pays les plus pauvres du monde, il existe, bien que les données de la géophysique puissent rappeler froidement que les tremblements de terre sont inéluctables dans les régions de failles, une dimension politique de nos responsabilités présentes et à venir devant des événements naturels comme celui qui a cruellement frappé la population haïtienne.

Quelles responsabilités ? Celles qui découlent du constat que les populations les plus pauvres sont aussi les plus vulnérables aux catastrophes naturelles. Dans le cas du changement climatique, on sait que les zones les plus exposées au réchauffement (zones équatoriale et subsaharienne) comptent déjà parmi les moins dotées de la planète en moyens institutionnels et infrastructurels permettant de faire face aux effets multiples de l’élévation moyenne de la température (accès à l’eau, ressources alimentaires, risques sanitaires…).

La mobilisation humanitaire fait, à chaque événement, l’objet de critiques récurrentes : emballement médiatique, sensationnalisme, simplification des messages, culture de l’urgence, désorganisation de l’aide ou néo-impérialisme (surtout quand les États-Unis débarquent en force et prennent le contrôle de toutes les opérations d’aide à Portau-Prince)… Si le moraliste peut observer de haut la précipitation et les ratés de l’aide, on aurait tort de ne pas reconnaître dans la mobilisation en faveur d’Haïti la prise de conscience, encore incomplète, de notre interdépendance et la recherche, encore désordonnée, de solutions internationales à des problèmes à la fois locaux et globaux. Un tel événement, en effet, nous fait entrer dans le vif des difficultés d’un monde où les catastrophes naturelles sont de plus en plus probables en raison des phénomènes mondiaux que sont la croissance démographique, l’urbanisation incontrôlée et les contrecoups de la cécité environnementale. Mais il nous contraint aussi à imaginer des modes de coopération internationale, entre États, institutions multilatérales, acteurs non étatiques et populations locales en l’absence de méthode éprouvée à grande échelle.

Lors des deux précédentes catastrophes naturelles d’ampleur comparable, le 2 mai 2008 en Birmanie (cyclone Nargis, 138 000 morts) et le 12 mai 2008 en Chine (séisme du Sichuan, 90 000 morts), la logique des frontières avait prévalu. Ces pays attachés à la défense de leur souveraineté et hostiles à toute ingérence étrangère voulaient montrer leur capacité à gérer eux-mêmes la crise, loin des médias internationaux. Et l’on parle de « tragédie au ralenti » pour évoquer la situation de la Corée du Nord, tout aussi opaque pour des raisons d’idéologie nationaliste. Même un pays ouvert et démocratique comme l’Inde est hostile en principe à toute offre d’aide extérieure car il craint de donner l’image d’un pays « assisté » alors qu’il aspire au statut de grande puissance économique internationale.

L’entraide internationale est donc loin de s’imposer comme le seul modèle possible. La susceptibilité et l’égoïsme, le maintien des souverainetés et des zones d’influence l’emporteront donc peut-être sur les essais de coopération. D’autant plus que les opérations de « reconstruction des États » (Nation building) en Afghanistan et en Irak restent entachées par l’esprit missionnaire guerrier du président Bush et que la stabilisation de ces deux pays demeure incertaine. Comble de malchance, en Haïti, où une opération de reconstruction de longue haleine était en cours, tout a été réduit à zéro.

Qui peut se présenter comme un acteur légitime de l’aide, de la solidarité et de la reconstruction quand l’État est en déroute et que les acteurs internationaux de l’aide n’ont pas fait la preuve de l’efficacité des essais d’ingénierie politique de construction d’un État selon les normes occidentales ? Le but de l’aide n’est pas toujours de contourner les États. En l’occurrence pour Haïti, il s’agit de constituer un acteur étatique viable pour coordonner l’aide, garantir la sécurité, rassurer la population. Après les débats sur l’« ingérence » qui parlaient d’outrepasser les logiques régaliennes, l’action internationale est aujourd’hui à la recherche des meilleures modalités de coopération entre organismes internationaux, Ong et grandes puissances quand aucun acteur ne peut prétendre, à lui seul, posséder le savoir-faire ni la légitimité pour intervenir auprès de populations qui, pour leur part, demandent des comptes à leur gouvernement et savent qu’elles dépendent toujours des solidarités les plus proches pour survivre à l’extrême.