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Positions – La reconnaissance du vote blanc, une fausse bonne idée

janvier 2014

#Divers

Depuis plusieurs années déjà, des voix s’élèvent qui font de la reconnaissance du vote blanc une avancée démocratique décisive. La proposition est apparue aux yeux de beaucoup suffisamment fondée pour qu’un parti politique, L’Udi de Jean-Louis Borloo, l’érige en véritable cheval de bataille et aille jusqu’à présenter une proposition de loi en ce sens par l’intermédiaire d’un de ses élus, François Sauvadet. Celui-ci a gagné une première manche, puisque sa proposition de comptabiliser les bulletins blancs lors des consultations électorales a été majoritairement adoptée par l’Assemblée nationale. Il est vrai que les députés en ont repoussé la mise en œuvre au lendemain des municipales et peut-être des européennes. Mais il en va dans ce domaine comme dans d’autres : quand une proposition s’avance parée de tous les atours de l’évidence progressiste, elle finit par l’emporter un jour ou l’autre.

Essayons donc, avant qu’il ne soit trop tard, de discuter une minute du bien-fondé de cette proposition et pour le dire d’un mot, d’en montrer l’ineptie profonde. En effet, la reconnaissance du vote blanc procède d’une confusion entre le vote comme expression de préférences personnelles et le vote comme procédure de décision collective. Dans le premier cas, il est en effet tout à fait légitime de choisir de ne pas se prononcer, parce qu’aucune des propositions disponibles (aucun des candidats, le plus souvent) ne nous convient. Mais ramener le vote à cette seule dimension d’expression individuelle, c’est le confondre avec le sondage, et oublier que le vote est aussi et surtout un moyen de décider collectivement quelle est l’orientation que nous retenons majoritairement, et consiste, une fois la campagne électorale terminée, à trancher dans un sens ou dans un autre : de ce point de vue, le fait de ne pas comptabiliser les bulletins blancs, les nuls ou les abstentions au titre des suffrages exprimés est non seulement pleinement justifié, mais correspond exactement à ce que ces « électeurs » ont voulu dire : quelles que soient leurs raisons, ils se désintéressent du résultat, et s’en remettent à ce que la majorité de ceux qui ont exprimé une préférence a décidé. Ne pas choisir, c’est dans ce cas toujours choisir ce que choisit la majorité de ceux qui s’expriment. D’ailleurs, l’absurdité d’une reconnaissance du vote blanc éclate dès que l’on s’interroge sur ce que l’on peut bien faire d’une telle reconnaissance : passons sur les arguties auxquelles donne lieu la définition même du vote blanc (Une enveloppe vide est-elle un vote blanc ? Ou faut-il la comptabiliser comme un nul ? Et deux bulletins différents dans une même enveloppe ?). Qui va représenter ces électeurs ? Faut-il faire un « parti blanc » ? Ou disposer dans chaque parti d’un petit groupe destiné à représenter les électeurs blancs ? Derechef, quelles décisions ces « représentants » seront-ils amenés à prendre ? Ou devront-ils à leur tour relayer l’option blanche dans toutes leurs décisions ? Etc.

Ses partisans disent qu’ils attendent de la reconnaissance du vote blanc une prise en compte plus exacte des préférences exprimées par le corps électoral, dont on imagine parfois qu’elle pourrait faire baisser l’abstention. Accessoirement et conjoncturellement, il semble que certains attendent d’une telle mesure qu’elle puisse faire régresser le score électoral du Front national. Mais on voit bien que, sauf à souscrire à une conception fétichiste de la seule procédure électorale, il n’y a entre le vote blanc, le vote nul et l’abstention aucune différence de nature. Tous trois expriment une insatisfaction profonde à l’égard de l’offre électorale, qui ne doit certainement pas être négligée et n’est pas sans signification politique, mais c’est une autre histoire. Je veux bien admettre que ces trois comportements ne sont pas strictement équivalents, et que là où l’abstention peut signifier une indifférence résolue et souvent blâmable à l’égard du destin collectif, le vote blanc exprimerait davantage une irrésolution ou une incertitude sur le parti à prendre, sans pour autant jeter le discrédit sur les institutions. Mais il s’agit là d’interprétations qui peuvent se révéler erronées, et qui vont au-delà de ce que ces gestes signifient. Quant à penser que des électeurs votent Front national par impossibilité de voter blanc, c’est évidemment sous-estimer la nature de la contestation politique que porte ce parti, voire l’adhésion de certains électeurs à ses thèses, et surestimer la technique de l’élection.

Penser pouvoir lutter contre le discrédit dont sont atteints les partis politiques traditionnels par le seul jeu de dispositifs institutionnels est surtout révélateur du désarroi des partisans de tels bricolages. Car le vote est encore une fois une procédure de décision collective, par laquelle je ne peux exprimer mes convictions en général que partiellement, et où je me résous en fin de compte à ce qui m’apparaît comme la moins mauvaise des solutions. Il n’y a pas d’autre voie pour la démocratie.

Joël Roman

Philosophe, essayiste et éditeur Joël Roman prône « un multiculturalisme à la française », qui reconnaisse le pluralisme social et culturel de la société française, l’empreinte durable des immigrations post-coloniales, et sache adapter le modèle républicain à la multiplicité individuelle, à la nouvelle question sociale des banlieues et à la présence établie de l’islam de France. Il place ainsi les…

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