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Dans le même numéro

Charles Péguy, philosophe et poète

octobre 2014

#Divers

Repère

Charles Péguy, philosophe et poète

À propos de…

Géraldi Leroy, Charles Péguy. L’inclassable, Paris, Armand Colin, 2014, 366 p., 24, 50 €

Charles Péguy, Œuvres poétiques et dramatiques, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », édition publiée sous la direction de Claire Daudin, 2014, 1?888 p., 67, 50 €

Benoît Chantre, Péguy point final, Paris, Le Félin, 2014, 150 p., 19 €

Camille Riquier (sous la dir. de), « Charles Péguy », Les Cahiers du Cerf, 2014, 410 p., 29 €

Damien Le Guay, les Héritiers Péguy, Montrouge, Bayard, 2014, 360 p., 19, 90 €

« Charles Péguy », Europe, août-septembre 2014, 20 €

« Péguy tel qu’on l’ignore1 » : ce leitmotiv du malentendu, maintes fois formulé, passera-t-il le centenaire ? La lecture de Péguy, depuis sa mort, est indissociable de multiples controverses accompagnant la réception de son œuvre. Pourtant, un siècle après sa disparition, un autre moment de sa réception, dégagé des polémiques politiques et privilégiant sa réflexion philosophique, commence à se dessiner. Après le militant et le polémiste, le moment est-il au philosophe et au poète ?

« Inclassable » : pour définir Péguy, le titre choisi par Géraldi Leroy a d’abord une valeur d’antiphrase. Enrégimenté dans des combats anachroniques, Péguy, en effet, a trop souvent été classé à partir de lectures mutilées, comme le rappelle utilement le dernier chapitre de la biographie, qui porte sur la réception de l’écrivain après sa mort2. Ce chapitre (« Péguy après Péguy, 1914-1945 ») s’impose, puisque la mort « au champ d’honneur » du fondateur des Cahiers de la quinzaine, le 5 septembre 1914, en pleine « union sacrée », a déterminé pour longtemps la réception de son œuvre : son sacrifice patriotique a favorisé les appropriations, notamment cléricales et conservatrices, du poète de Jeanne d’Arc. Sa bonne réputation lui a porté tort au moins autant qu’une mauvaise renommée et nombre de ses commentateurs ont consacré leur plume à débrouiller l’écheveau des récupérations politiques et des hommages intéressés qui, en se l’appropriant, ont déformé le portrait de l’écrivain3. Si Esprit titrait son dossier spécial d’août-septembre 1964, « Péguy reconnu », c’est bien qu’il paraissait trop souvent méconnu, plutôt qu’inconnu4.

Derrière la polémique, la philosophie

Or le centenaire en cours, et la moisson de productions éditoriales qu’il suscite, marque un tournant peut-être décisif, permettant au discours sur l’œuvre de s’émanciper de l’exercice, si souvent recommencé, de déminage de terrain. Tout d’abord dans la biographie parfaitement informée de Géraldi Leroy, qui n’ignore rien de la pensée politique de Péguy5, le parcours intellectuel de ce dernier est présenté dans son ensemble, c’est-à-dire dans sa cohérence. L’auteur prend d’ailleurs un soin particulier à refroidir les querelles qui ont émaillé les amitiés intellectuelles et politiques de Péguy : brouille avec Lucien Herr, avec Jean Jaurès, avec ses abonnés de la première heure6… Il fait ressortir les continuités sans repentir du socialiste libertaire et du dreyfusard, même si chaque œuvre est située, comme il se doit, dans son contexte historique et politique, mais aussi en regard des aléas économiques de sa revue, des refroidissements familiaux, des doutes personnels. Il éclaire en particulier l’incroyable productivité des années 1910-1914, contrepartie d’un isolement croissant des Cahiers de la quinzaine mais aussi surgissement d’une parole poétique qui se déroule en longues houles, alternant la rythmique du vers et la liberté de la prose musicale.

En complément, la parution du volume de la « Pléiade » consacré aux œuvres poétiques de Péguy parachève, en venant s’ajouter enfin aux trois tomes de prose publiés sous la responsabilité de Robert Burac, l’édition critique complète de ses œuvres. Claire Daudin, qui dirige cette édition, souligne que les lecteurs des Cahiers de la quinzaine appréciaient peu les poèmes de Péguy, qu’il confiait donc à d’autres publications ou devait renoncer à faire paraître. Mais cette poésie, qui s’impose tardivement et en partie en dehors de l’œuvre des Cahiers, le sauve du sentiment d’échec. C’est un élan de création qui arrive presque par surprise et rachète les déceptions politiques de l’après-dreyfusisme, les amitiés perdues, l’amertume grandissante.

L’ample mouvement de l’écriture qui se révèle dans la poésie renoue avec un élan que la prose polémique des Cahiers risquait d’assécher. Pour Benoît Chantre, la trop fameuse « colère » de Péguy évoque le « ressassement du dualisme pamphlétaire7 ». Or la philosophie de Péguy ne reste pas duelle, elle se déploie dans un rythme ternaire : l’énergie de la controverse, si présente dans l’œuvre, est heureusement relayée, emportée, transfigurée par une autre écriture, la prose dynamique, ternaire, dans laquelle « la répétition est un ressourcement ». La répétition donne le rythme, permet la vitesse et libère la pensée comme une marche. Mais la phrase qui s’avance à vive allure s’oriente vers un « point final », montre Benoît Chantre, bien qu’elle semble se dérouler en s’improvisant. L’écriture à trois temps accompagne la pensée qui n’est pas sans terme : elle se risque, elle explore mais elle bâtit aussi, à partir de ses grandes admirations – Pascal, Corneille, Bergson – un vrai système de l’histoire. Péguy reprend en effet les réflexions de Bergson sur la durée pour proposer sa propre idée de l’histoire, qu’il oppose au positivisme triomphant de la Sorbonne.

Le renouveau actuel des études bergsoniennes, dont témoignent notamment les travaux de Camille Riquier, qui dirige le bel ensemble des Cahiers du Cerf, explique l’accent mis sur l’écriture et la philosophie de Péguy. Camille Riquier explique ainsi ce qu’on peut entendre par ce Péguy « bergsonien », tandis qu’Isabelle Stengers présente « la thèse que Péguy n’a jamais écrite », De la situation faite à l’histoire et à la sociologie dans le monde moderne, qui aurait précisément développé, armé de l’« instrument bergsonien », sa réflexion sur l’histoire. Tous deux montrent le développement d’une pensée qui reste fidèle à l’événement, qui ne recouvre pas l’expérience du temps sous la poussière grise de la méthode positiviste, une pensée de l’origine qui s’actualise, plutôt qu’elle ne se perd, dans l’écoulement temporel.

Cette pensée de l’événement ne néglige pas, pour autant, les institutions de son temps, montre Bruno Latour, car si Péguy mène la polémique contre elles (armée, Église, université, socialisme), ce n’est pas pour contester leur rôle (dans un esprit anarchiste dont il est, par ailleurs, toujours resté proche) mais pour leur demander de revenir à leur vocation, pour les inciter à se reprendre8. En ce sens, on peut tenter, comme le fait Damien Le Guay, de transposer les interpellations de Péguy aux institutions contemporaines : l’école, la Ve République… Cela permet au passage de noter la multiplicité des usages politiques actuels de la référence péguyste, ce qui nous ramène à un héritage controversé, contradictoire mais d’où ressort la singularité d’une « voix », un souffle, un ton personnel qui s’impose aujourd’hui encore au milieu du flux répétitif et impersonnel des commentateurs autorisés. Car, comme l’a bien montré la lecture de Gilles Deleuze, la répétition distingue la voix singulière de Péguy puisque « ce qui est répété, c’est ce qui est irremplaçable », « on ne répète que ce qui est unique et inégalable9 ».

Une écriture singulière

C’est aussi à cette écriture singulière que se consacre en grande partie le dossier spécial de la revue Europe, le premier consacré à Péguy dans cette revue fondée en 1923 sous l’égide de Romain Rolland, un fidèle des Cahiers de la quinzaine10. Le dossier coordonné par Jérôme Roger, qui contribue aussi à l’édition de la Pléiade, met l’accent sur le style de l’écrivain (Henri Mitterrand, Michel Jarrety, Jean-François Louette, Yves Vadé, Philippe Grosos) et surtout sur la poésie (voir l’entretien avec Claire Daudin). On parcourt ainsi les sources de l’inspiration classique (Maud Gouttefangeas), la tradition populaire (Jérôme Roger) et la poésie spirituelle (Pauline Bruley). Jean Bastaire, qui a tant fait pour la reconnaissance de Péguy, a donné à ce numéro son dernier article, avant sa disparition en 2013, sur « Péguy et les catholiques11 ». « Inclassable » à nouveau, ce catholique qui, à la différence de Maritain, ne se dit pas « converti », qui retrouve la foi en demeurant fidèle à lui-même, et reste, de son vivant, au seuil de l’Église, même si sa poésie donne un rare exemple d’inspiration spirituelle en ce début de siècle.

Écriture et pensée sont inséparables dans son œuvre, parce que le rythme si singulier (donné par la scansion et les répétitions) fait entrer dans une expérience différente du temps, et même dans un espace-temps dont nous avons perdu la mémoire, où la succession des mots ne prétend plus passer d’un point à l’autre, « par une progression, comme si l’on gagnait de l’un sur l’autre ». Au contraire, écrit Bruno Latour dans un article de jeunesse republié par Camille Riquier (« Pourquoi Péguy se répète-t-il ? Péguy est-il illisible ? ») :

Chaque mot enfonce le précédent plus loin, et plus les mots s’accumulent, plus le premier s’enrichit. L’accumulation des mots, des parenthèses, des redites n’exhausse pas une formule ultime mais enracine de plus en plus puissamment l’origine. À chaque mot nouveau, le premier mot devient encore plus premier12.

Comme on le voit, cet « illisible » est de mieux en mieux lu.

Marc-Olivier Padis

Librairie

Patrice Gueniffey, Bonaparte, Paris, Gallimard, coll. « Biographies », 2013, 860 p., 30 €

À en juger par la production de livres sur Napoléon, on est loin de venir à bout de la fascination que ce personnage exerce sur la modernité comme – qui l’eût dit ? – sur la postmodernité. C’est d’ailleurs peut-être en la plaçant dans le contexte des crises auxquelles nous sommes confrontés – politiques, économiques, morales, militaires –, où la figure du grand homme et du héros se dessine en creux, qu’il faut comprendre l’intensité de l’intérêt actuel pour cette figure, qui se situe en quelque sorte sur la ligne de partage entre mythe et histoire.

C’est dans un Occident où, que ce soit sur le plan économique ou moral, la thèse libérale semble l’emporter, mais en même temps dans un monde globalisé et postpolitique, où le sentiment d’une accélération incontrôlée du temps se combine avec celui d’une fragmentation sociale, que l’on éprouve la pertinence de cette figure incarnant la puissance de la volonté individuelle aux prises avec l’histoire collective en mouvement. Car, comme le montre Patrice Gueniffey dans ce premier volume consacré à la partie « montante » de la vie de Napoléon – celle qui aboutit à la proclamation du Consulat à vie –, le destin extraordinaire du petit Corse se réalise dans le contexte d’une profonde lassitude face à un ensemble de crises, issues cette fois-ci de la Révolution française. Là aussi il régnait, comme le regard pénétrant de Chateaubriand l’a si bien décrit, le sentiment d’une incroyable accélération du temps. Ce qui ressort de cette étude minutieuse est une vraie compréhension de la manière dont cet individu dans toute sa particularité a pu réaliser autant de choses dans un moment où, précisément, le temps pressait.

Mais le temps du jugement mûrement réfléchi n’est pas celui du feu et de l’action, et Gueniffey souligne qu’il ne cherche pas à brosser un portrait, un de plus, mais à prendre le temps qu’il faut pour faire une biographie tenant compte de la masse des documents disponibles et des recherches réalisées. Parmi les apports de cette biographie : la place que l’auteur donne à d’autres voix que la sienne. Les citations abondantes donnent à l’œuvre un aspect « polyphonique » qui reprend sur le plan formel l’esthétique de la fusion qui caractérise le Mémorial de Sainte-Hélène.

Auteur d’études sur la Terreur, Gueniffey a une profonde connaissance des tenants et des aboutissants de la conjoncture. De la sorte, il peut mieux faire la part de la légende et de l’histoire, de l’initiative individuelle et de la force des circonstances. Il raconte bien sûr tous les amours de Napoléon : en premier lieu celui pour la Corse, dont le jeune Buonaparte chercha l’émancipation par la rupture avec la France, jusqu’à ce qu’il comprenne que le vrai ennemi était la France de l’Ancien Régime et qu’à partir de la Révolution, il valait mieux chercher cette émancipation par l’intégration à la France révolutionnée ; celui pour sa famille, qui ne cessait de lui gâcher la vie ; celui pour Joséphine, amour qui s’est vite rendu à la raison et qui était aussi une étape de sa propre intégration à la France ; celui pour la France face à l’Europe.

Il y a les étapes d’une prise de conscience de son rôle et de sa différence : en Italie d’abord, à Milan, puis en Égypte, à Jaffa. Dans son récit nuancé de l’épisode égyptien, Gueniffey s’efforce de dégager une logique qui ne fut pas celle de Napoléon seul, mais héritée déjà de l’Ancien Régime ; Napoléon fut appuyé sans faille par Talleyrand et le Directoire, qui tenaient compte des pertes des colonies atlantiques de la France. Un pari audacieux – Napoléon était un aventurier – mais voué à l’échec et qui conduit au massacre de Jaffa. Là, Gueniffey s’en remet au philosophe du droit international Emer de Vattel, auteur du Droit des gens (1758) et très soucieux de protéger les droits des vaincus, pour décharger Bonaparte de l’accusation de crime de guerre et conclure :

Peut-être faut-il voir dans cet épisode terrible ce qui lui permit plus tard de gouverner la France par des moyens essentiellement modérés. Il n’avait plus besoin de montrer sa force, tant le souvenir de Jaffa suffisait pour désarmer bon nombre de ses rivaux et opposants.

(p. 420)

Gueniffey prend soin dans ses analyses de nous faire comprendre la cohérence et la profondeur de l’appréhension des événements dont Bonaparte fait preuve. Son Bonaparte est surtout à la recherche de l’ordre, mais il est en même temps et d’une manière essentielle issu de la Révolution. Déjà en Italie, il a défini ce qui sera le cœur de sa politique : une ligne de conduite visant à mettre l’autorité et la force au service de la modération. La Révolution avait transformé et modernisé la société, mais elle l’a en même temps soustraite à l’emprise de l’autorité de l’État. Cette transformation a été rendue possible par un mélange d’idéaux abstraits et de passions prêtant à l’action politique le pouvoir illimité de transformer les choses pour arriver à une société de citoyens égaux se gouvernant elle-même au moyen de représentants élus (p. 536).

Bonaparte avait en horreur à la fois tout ce qui relevait de l’abstraction détachée de la réalité et de l’action impulsive, fruit de la passion. Pour lui, qu’il s’agisse d’ordres, commandements ou lois, il fallait plutôt de la froideur, de l’analyse, de la raison dans leur conception, de l’énergie et de la vigueur dans leur exécution. Si Bonaparte « gouvernait comme il faisait la guerre », c’est d’une part parce qu’il accordait « une égale attention à la conception et à l’exécution » (p. 584-585). Mais aussi parce que, s’étant placé entre deux partis – les Jacobins d’un côté, les ennemis de la Révolution de l’autre –, constamment sur le pied de guerre alors que son objectif était plutôt l’après-guerre – le temps de la fusion et de la réconciliation –, la porte étant étroite et le temps pressant, il ne croyait pas avoir droit à l’erreur ; la Terreur et le Directoire étaient là pour le prouver.

Par le coup d’État du 18 Brumaire, Bonaparte s’impose à un moment où la passion politique s’est muée en répugnance ; les Français se désengagent massivement du politique pour se replier dans la sphère privée. La Révolution avait réalisé « par la force et par la violence » la modernisation de la société, ce qui fut la condition de possibilité de la rationalisation de l’État ; ainsi, le Consulat se trouvait en position de reprendre, en tenant compte des acquis de la Révolution, ce projet qui avait échoué à la fin de l’Ancien Régime (p. 537). Gueniffey cite l’observation de Marx selon laquelle les institutions mises en place en 1800 marquaient l’abdication de la « société bourgeoise moderne » face à l’État.

Si l’historien traite amplement de l’aspect militaire de la vie de Napoléon, il insiste aussi sur l’importance des grands travaux civils entrepris à l’initiative du Premier consul et qui sont marqués au coin de sa politique et de ses idées : réforme de l’économie et de l’administration, Code civil, Concordat, travaux publics. Il s’agissait de

donner forme à ce nouveau monde, définir les relations entre ses membres, lui imposer des règles et l’assujettir à des lois susceptibles de transformer ce legs de la Révolution en une communauté viable et ordonnée.

(p. 625)

Selon Gueniffey, qui prend un malin plaisir à pousser le paradoxe aussi loin que possible, même devenu quasi-monarque, Bonaparte reste le fils et le champion de la Révolution, car, même tel qu’il est devenu, il ne cesse de faire barrage à une restauration qui, à l’époque, aurait répondu aux aspirations de la majorité des Français. On attend la suite avec impatience…

Robert Morrissey

Delphine Bechtel, Luba Jurgenson (sous la dir. de), Le Tourisme mémoriel en Europe centrale et orientale, Paris, Éditions Petra, coll. « Usages de la mémoire », 2014, 314 p., 28 €

Les voyages mémoriels en Europe sont de plus en plus prisés depuis quelques années. Parfois nommée « tourisme noir » ou tourisme de deuil, lorsqu’elle est liée à des souvenirs douloureux, notamment la Shoah ou le goulag, cette forme bien particulière de tourisme s’est, au début, dirigée vers des lieux de destruction massive comme Auschwitz, avant de se tourner plus récemment vers des villes et villages où l’histoire familiale des voyageurs s’est brutalement cassée.

À titre individuel à l’origine, ou de plus en plus souvent collectif depuis quelques années13, nombreux sont, surtout après la disparition de l’Urss, ceux (on les nomme parfois « arpenteurs ») qui entreprennent ainsi des voyages souvent compliqués vers des lieux parfois encore peu accessibles liés à leur passé familial ou à leur histoire personnelle.

Cet ensemble, qui rassemble une quinzaine d’auteurs, aussi bien historiens, sociologues, ou anthropologues que spécialistes des cultures est-européennes, traite successivement de trois sujets : le tourisme nostalgique et la construction d’une mémoire communautaire ; les tourismes concurrents et les conflits mémoriels ; le tourisme vers les lieux de destruction.

La première partie évoque, à travers cinq exemples emblématiques, le tourisme mémoriel classique. Si le tourisme allemand, en l’occurrence celui plus marginal de la minorité protestante vers la Haute-Silésie (K.?Gladkowski), l’enclave de Kaliningrad (R.?Leiserowitz-Kibelka), les récits de voyage réels, comme celui de Magda Müller, ou imaginaires, des « Saxons de Transylvanie » en Roumanie (O.?Spiridon) ou encore le retour des Allemands en Lituanie mineure et sur l’isthme de Courlande (A.?Peleikis), est teinté de nostalgie romantique, mais aussi du traumatisme de l’expulsion, les visites hongroises en Transylvanie relèvent souvent d’une approche plus politique, voire nationaliste (M.?Feischmidt).

La deuxième partie se penche sur des mémoires plus conflictuelles avec les cas de la Transcarpathie, aujourd’hui ukrainienne, et de sa mémoire hongroise à vif (Anne-Marie Losonczy), l’évocation de la Galicie orientale, historiquement bousculée entre les empires et tiraillée entre juifs, Polonais et Ukrainiens (D.?Bechtel). Un autre article analyse finement le cas de la toponymie mémorielle dans les « usuels touristiques » de l’ancienne région tchèque de peuplement allemand des Sudètes (X.?Galmiche).

Une troisième partie évoque enfin les visites – peut-on en l’occurrence parler de tourisme ? – vers les lieux de destruction et de massacres.

Trois contributions se penchent sur la fréquentation des sites mémoriels des victimes du stalinisme en ex-Union soviétique : F.-X.?Nérard, avec le « cimetière » soviétique clandestin de Levachovo, L.?Jurgenson avec les sites du goulag et enfin Khatyn, la ville – plutôt le village – biélo­russienne brûlée, martyre des nazis, et dont le nom à consonance proche vise à concurrencer Katyn, symbole de l’assassinat des officiers polonais par le Nkvd soviétique (E.?Anstett).

Les incontournables « pèlerinages » d’écoliers israéliens au camp d’extermination d’Auschwitz, encouragés depuis des années par l’État hébreu, font l’objet d’une fine réflexion sur l’évolution du phénomène par J.?Feldman, alors qu’un article original mais un peu hors champ évoque le « tourisme », souvent bien particulier, car pétri d’antisémitisme nazi, des soldats allemands en Urss au cours de la Seconde Guerre mondiale (G.?Chepelev).

Cet ensemble de contributions constitue à notre connaissance une première en la matière en français. Au terme d’une rigoureuse sélection, les coordinatrices de ce volume n’ont en effet retenu que des textes apportant une réelle information, assortie, pour certains d’entre eux, d’une problématisation.

Il s’agit là d’une sérieuse investigation des motivations de ceux qui, tant d’années après les événements, entreprennent de retourner sur les lieux d’un vécu longtemps assumé plus ou moins inconfortablement, voire secrètement. L’ouvrage se penche aussi opportunément sur l’attitude, plus ou moins bienveillante, amicale, hostile ou opportuniste des actuelles populations locales. Celle des Lituaniens du Kurische Haff ou celle des Ukrainiens de l’ex-Ruthénie font notamment l’objet d’une description fine et passionnante.

Concernant les voyages collectifs, les interactions entre les membres des groupes et leurs effets plus ou moins positifs sur les participants sont bien mis en lumière.

Fréquemment, selon les constatations des auteurs, ce retour symbolique vers des lieux si intensément imaginés permet ensuite de tourner une page et de faire son deuil des aspects traumatiques d’un passé encombrant.

Yves Plasseraud

Pascal Noblet, Pourquoi les Sdf restent dans la rue, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, rééd. 2014, 285 p., 11 €

La prise en charge des personnes à la rue est un échec manifeste de la lutte contre la pauvreté en France. Pour l’auteur, cet échec collectif résulte des choix partagés par l’ensemble des intervenants du dispositif « accueil, hébergement, insertion » – gestionnaires de lieux d’accueil, associations, pouvoirs publics. Tous se retrouvent en effet autour d’une représentation erronée de la situation des personnes sans domicile parce qu’ils inscrivent la question de l’hébergement d’urgence dans la continuité de la politique globale du logement. Si cette mise en perspective permet de ne pas isoler (c’est-à-dire stigmatiser) une population particulière parmi tous ceux qui sont « mal logés » ou exclus du logement, le continuum est cependant trompeur, car il conduit à faire l’impasse sur les difficultés spécifiques des personnes qui sont à la rue. Or celles-ci ont un profil bien particulier : elles ne sont pas seulement fragilisées par le contexte économique ou la pénurie générale de logement. Dans la liste très hétérogène des personnes ayant recours aux hébergements d’urgence (demandeurs d’asile, migrants sans papiers, travailleurs saisonniers, routards, jeunes en errance, personnes sortant de l’hôpital ou de la prison, personnes expulsées de leur logement…), il faut faire une place à part aux Sdf, qui ont peu de chance de bénéficier des programmes d’insertion. Les personnes à la rue ne représentent qu’une part (8?%) de la population exclue du logement, puisqu’il existe d’autres formes de prise en charge : centre d’hébergement fermé en journée (14?%), centre d’hébergement ouvert en journée (36?%), hôtel social (5?%), logement indépendant (37?%).

Dès lors que l’on considère, comme le font les acteurs du secteur, qu’il existe un continuum entre le marché du logement et la rue, on ne pourra vraiment résoudre la situation des sans-abri qu’en comblant la pénurie de logement, notamment social. En attendant, on peut se contenter de prises en charge transitoires, en espérant faire passer les personnes sans abri du logement d’urgence au logement d’insertion, puis de celui-ci au logement social et enfin au marché locatif. Dans cette vision idéale, on imagine un chaînage d’un dispositif à l’autre. Pourtant, les Sdf restent dans la rue. Que se passe-t-il donc ?

En réalité, l’insertion ne fonctionne que pour les personnes qui traversent une difficulté économique temporaire et sont les plus proches d’un retour à l’emploi. Par peur de l’« assistanat », l’aide pour les autres reste parcimonieuse, minimale et temporaire. Or pour les plus exclus, il faudrait une aide suivie au lieu de l’errance institutionnelle actuelle. L’auteur plaide donc pour une politique de « stabilisation » qui dépasse la coupure entre urgence et insertion, en proposant un dispositif continu et complet (suivi psychologique, emploi aidé, accompagnement social, hébergement pérenne). On dit souvent qu’il faut changer les représentations sur la grande pauvreté, en pensant aux images véhiculées par les médias et aux préjugés du grand public. Mais cet ouvrage montre de manière convaincante qu’il faut aussi modifier les représentations des acteurs de l’hébergement qui, dans un contexte difficile, maintiennent des logiques asilaires qui ne permettent pas aux plus exclus de reprendre pied dans un logement.

Marc-Olivier Padis

Édouard Levé, Autoportrait, Paris, Éditions P.O.L [2005], coll. « #formatpoche », 2013, 96?p., 5 €. Suicide, Paris, Éditions P.O.L [2008], Paris, Gallimard, coll. « Folio », 2009, 128?p., 5 €

Autoportrait – un paragraphe de quatre-vingt-quatre pages – est un récit qui tient de la gageure, parce qu’Édouard­ Levé (1965-2007) revisite son passé en mettant sur le même plan de menus détails factuels et des éléments structurants de sa vie, ou plutôt en disséminant des éléments de son existence à travers des détails incomplets qui ne sont jamais contextualisés. La belle singularité de cette démarche s’impose dès les premières phrases :

Adolescent, je croyais que la Vie mode d’emploi m’aiderait à vivre et Suicide, mode d’emploi à mourir. J’ai passé trois ans et trois mois à l’étranger. Je préfère regarder sur ma gauche. Un de mes amis jouit dans la trahison. La fin d’un voyage me laisse le même goût triste que la fin d’un roman…

L’auteur a lui-même noté que son Autoportrait serait composé de « 1?600 phrases sans solution de continuité », ce qui ne semble pas tout à fait exact. À dire vrai, on tourne souvent autour de certains thèmes, et des transitions logiques mais inconscientes s’esquissent très vite dans l’esprit du lecteur, ce qui était aussi le cas pour les célèbres Je me souviens de Georges Perec, un écrivain dont on rapproche souvent Édouard Levé. Un passage mettra en évidence ces liens inévitables en même temps qu’il nous donnera le plaisir de retrouver l’auteur. Il écrit :

Je ne vais pas au cinéma pour apprendre, mais pour me distraire. Je ne trouve pas que le cinéma soit stupide, seulement, je n’en attends rien. Je crois plus en la littérature, même mineure, que dans le cinéma, même majeur. Je n’ai pas le temps de raconter des histoires longues. Je mets du temps à me rendre compte que certaines personnes m’ennuient.

Autre exemple de cette continuité que rompt un élément incongru :

Je me sens mal dans les pièces à petites fenêtres. Je me demande comment deux obèses font l’amour. Je ne pourrais pas vivre dans un rez-de-chaussée ou dans un entresol. À mesure que les étages s’élèvent, je vais mieux.

En peu de pages, on pénètre dans la vie de cet homme : il précise les sentiments qu’il a éprouvés pour quelques femmes, mais sans mentionner aucun prénom, pour son frère, ses parents, il énumère les pays où il s’est rendu. Ce qu’il refuse, c’est de reconstituer pour nous un cheminement entre tous ces éléments. Ainsi, il évoque sa sexualité, ses amours, ses voyages, ses automobiles et ses motos, sa garde-robe, sa sobriété, un certain goût de l’aisance et en même temps son comportement casanier. On le situe de mille manières dans le réel, dans le social et on a toujours l’impression d’aller au-delà de ces détails. L’auteur ne nous cache pas sa distance au monde, son malaise. Revient plusieurs fois l’idée d’un possible suicide. Édouard Levé, apprend-on, a écrit Autoportrait aux États-Unis, au moment où il photographiait de petites villes très ordinaires portant des noms d’illustres cités de l’Ancien Monde, ce qui a donné Amérique14. Par ses textes comme par ses photographies fort élaborées, il nous attire dans le jeu de sa singularité, mais il dépasse toujours la dimension anecdotique ou autobiographique.

Suicide est un beau livre, d’une écriture classique. Le texte a été remis à l’éditeur P.O.L dix jours avant la mort de l’auteur. Le narrateur raconte le suicide d’un ami dont il fait le portrait. Un suicide souvent étonne, il perturbe toujours les proches. Dans ce récit, l’homme qui met fin à ses jours est à peine sorti de l’adolescence, il est en bonne santé et il s’apprête ce jour-là à disputer une partie de tennis avec son épouse. Il fait demi-tour, comme s’il avait oublié quelque chose, et la jeune femme entend une détonation. Son époux s’est tiré une balle dans la bouche. Comme pour l’écrivain (qui s’est pendu), c’était un suicide sans appel au secours préalable ni avertissement.

Je trinque à ma décorporation au milieu d’amis silencieux qui pensent à qui je fus. Ni fleurs ni couronnes, ni pleurs ni joie, mais, pour mon enterrement, quelques souvenirs revus en boucle15.

Vieil ami du défunt, le narrateur raconte ce qu’il sait de l’existence de celui qui a choisi de mourir jeune. Et la veuve découvrira « un recueil de tercets brefs comme la vie », selon les mots de l’auteur. Tout un rapport au monde en quelques mots simples. Voici un de ces tercets :

La ville m’aiguise
La maison m’accueille
La chambre me calme

Le photographe Édouard Levé n’a pas été moins singulier que l’écrivain. Il a notamment joué de deux éléments massifs de la culture populaire universelle qui mettent en avant le corps : le sport et la pornographie. « Rugby » nous montre des hommes au physique de possibles rugbymen en costume de ville qui miment les temps forts d’un match. Ou la pose de l’équipe après la rencontre.

Les scènes récurrentes de la pornographie de la fin du siècle dernier sont mimées par des femmes et des hommes au visage impassible et qui sont banalement habillés. La prévisibilité de ces positions dit bien l’ennui des films de ce genre suranné, dont l’intérêt majeur était de nous montrer parfois de beaux corps dévêtus qui se trouvent ici cachés et même neutralisés, les émotions – gêne, trouble, excitation, dégoût, ennui – ayant toutes été proscrites. Le résultat est étrange.

La série « Actualités » est une critique impitoyable des photographies des journaux ou des séquences des journaux télévisés ; elles ont des titres génériques comme « La Conférence », « La Rencontre », « L’Accord », « La Déclaration »… Quand on voit ces photographies sans aucun nom de personne ou de lieu, sans date, on pense en particulier à des séquences de journaux télévisés et aux photographies de la presse quotidienne régionale où l’on expose des individus, pour la plupart cravatés, à la seule fin d’assurer leur notoriété, indispensable au maintien de leur statut social.

Les titres donnés par Édouard Levé à toutes ses œuvres, courts et clairs, ont une banalité qui s’autodétruit par la justesse qui les a imposés. Dans ses publications, outre Autoportrait et Suicide, on a Œuvres (où l’auteur expose des sujets d’œuvres artistiques auxquelles il avait songé) et Journal (où il propose, comme il l’écrivait, « une version textuelle de la série photographique “Actualités” »), qui sont les livres écrits. Mais les quatre livres de photographies ne sont pas moins importants. Dans Fictions, l’élément qui prime est onirique. Angoisse est un recueil de photographies d’un village de Dordogne ainsi nommé, où la modernité des années 1960 semble intrinsèquement dérélictive, quand on pense à Discothèque d’Angoisse ou à Restaurant d’Angoisse, ou tout simplement à un titre comme Angoisse de nuit. Et puis il y a Reconstitutions, avec les séries sur les photos de presse, la pornographie ou le rugby, et Amérique, qui présente, à travers la périphérie de petites villes, une image attristante du territoire nord-américain.

Édouard Levé, peintre dans un premier temps, a détruit la plupart de ses tableaux, il a écrit ces livres marquants et il s’est affirmé comme un photographe singulier qui pensait et mettait en scène chacune de ses œuvres. Il est représenté à Paris par la galerie Loevenbruck, qui agit toujours, comme P.O.L, pour faire connaître cette œuvre et qui a édité un recueil de textes, en français et en anglais, « à la mémoire d’Édouard Levé », dont trois concernent cet écrivain photographe16.

Édouard Levé nous touche d’autant plus qu’il dévoilait avec subtilité ses contradictions. Il affirmait sa solitude en disant par exemple qu’il se retrouvait mieux dans le mode de vie des homosexuels que dans celui des familles, lui qui était exclusivement attiré par les femmes, et sa profonde solitude nourrissait son œuvre en même temps qu’elle paraissait l’inquiéter. N’avoue-t-il pas dans Autoportrait : « Comme je suis drôle, on me croit heureux » ?

Jacques Goulet

Sebastian Barry, L’Homme provisoire, Paris, Joëlle Losfeld, 2014, 248 p., 19, 50 €

Dans ce huitième roman de l’Irlandais Sebastian Barry, également poète et auteur dramatique, le héros, Jack McNulty, affronte son sentiment de culpabilité à l’égard de son épouse décédée, Mai, en racontant l’histoire de sa vie. À défaut de redevenir le « gentleman » que son engagement dans l’armée britannique pendant la Seconde Guerre mondiale lui a permis un temps d’incarner, c’est en homme meilleur qu’il ambitionne de quitter la ville d’Accra, où il a trouvé refuge, pour rentrer au pays auprès de ses deux filles. Mais tout autant que la déliquescence d’un mariage abîmé par une plongée dans l’alcool, le jeu et la misère, sa confession restitue la complexité des engagements politiques en Irlande, les répercussions des deux guerres mondiales dans la lutte pour l’indépendance, la condition des femmes dans un contexte marqué par le poids de la religion et la toute-puissance des hommes d’Église. L’alchimie subtile entre la perception de la beauté et la violence de la tragédie, les errances orchestrées à travers époques et lieux, l’absence de tout jugement favorisent la résonance de ce parcours singulier.

Dans l’Homme provisoire comme dans nombre de ses écrits, pièces de théâtre ou romans, Sebastian Barry s’appuie sur son histoire familiale. Dans le cas de Jack, il s’inspire de son grand-père maternel Jack O’Hara dont il était très proche, attendant plus de vingt ans après sa mort pour revenir sur ses souvenirs et les anecdotes rapportées par sa mère, l’actrice Joan O’Hara, et d’autres membres de la tribu. Cette volonté de préserver une trace et, par l’acte d’écrire, de donner un sens, une justification à un parcours de vie, qu’il s’agisse d’un être réel ou fictionnel, symbolise la démarche de l’écrivain.

Sebastian Barry aime que ses protagonistes se racontent à la première personne, pour eux-mêmes, sans la moindre intention de transmettre à autrui leur témoignage. Dans le Testament caché17, Roseanne cache son manuscrit à chaque fois qu’elle en compose un chapitre et dans Du côté de Canaan18, Lilly Bere n’a pas davantage le désir d’être lue. Jack McNulty va jusqu’à éprouver un mouvement de répulsion et songer à abandonner son journal intime quand un policier veut en parcourir les premières pages, devenant le voyeur d’une narration qui ne le concerne pas. C’est pour lui seul, pour son salut, pour inscrire Mai et la garder dans son histoire, que Jack veut faire renaître non pas la femme meurtrie et alcoolique qu’il a détruite mais la jeune fille brillante qu’il a toujours aimée.

La ville de Sligo et la famille McNulty se retrouvent ainsi au cœur de l’intrigue. La puissance de Sebastian Barry est en effet d’introduire subrepticement des personnages annexes dont il a déjà raconté l’histoire dans d’autres romans, comme le père Gaunt ou les deux frères de Jack, Eneas, contraint à l’exil car menacé de mort en raison de sa participation à l’ancienne police royale irlandaise et héros de The Whereabouts of Eneas McNulty19 et Tom, le nouveau maire de Sligo, longuement évoqué par sa première épouse, Roseanne, dans le Testament caché. Quant à Jack et Mai, ils étaient déjà présents dans une pièce écrite en 1998, Our Lady of Sligo20 : Jack pétri de remords et Mai mourant d’un cancer du foie dû à l’alcoolisme. Ces récurrences, ces rappels, ces allusions, ces points de vue pluriels agissent comme des relais souterrains, créant un faisceau de correspondances entre des événements disparates et compensant la dimension partielle et partiale des aveux du héros principal.

Les activités multiples de Jack pendant la Seconde Guerre mondiale, son travail d’ingénieur, ses missions comme observateur de l’Onu, son rôle trouble en Afrique, sa participation à un trafic d’armes sont indissociables de l’évolution de la situation politique en Irlande, de la montée de la violence et de l’extrémisme, des prises de position de ses proches. Sa passion du jeu, son goût excessif pour la boisson, les dettes contractées peuvent expliquer la plongée de Mai dans l’alcoolisme, mais l’ostracisme et la condamnation qui l’accompagnent sont le fait des injonctions morales des prêtres, comme le père Gaunt.

La beauté poétique des images qui se glissent soudain au milieu de séquences par ailleurs dramatiques et terrifiantes conforte le caractère ambigu des faits. Jack admire voluptueusement le paysage de neige qui l’entoure alors qu’il court pour rattraper Mai, en état d’ébriété, sortie nue dans la nuit, ou se montre bouleversé par la puissance de l’Océan sur le point de l’engloutir après le torpillage du bateau qui l’emporte avec les troupes vers Accra. Surnommé « le buveur de Sligo » par le père de Mai, Jack, qui se perçoit comme un homme mauvais et destructeur, sait aussi faire preuve de douceur quand, par exemple, il réconcilie sa mère avec son passé d’enfant abandonnée (elle s’avère être la fille de Lizzie Finn, héroïne d’une pièce écrite en 1995, The Only True History of Lizzie Finn) ou accepte en l’encourageant le mariage de sa fille Ursula avec un Nigérian.

Les ombres du passé errent dans le roman, tout comme des secrets encore enfouis pèsent sur les McNulty. L’évocation des deux filles de Jack et de Mai, de leur enfance triste et bousculée, de leurs choix d’adultes, l’aînée vers une carrière théâtrale à Dublin, avec un mari porté sur la boisson, et la plus jeune, infirmière en Angleterre, confrontée aux difficultés d’un mariage mixte, laisse à penser que Sebastian Barry n’a pas fini de raconter l’histoire de sa famille et de l’Irlande.

Sylvie Bressler

Samuel Beckett, Lettres, 1929-1940, Trad. de l’anglais (Irlande) par André Topia. Édition de George Craig, Martha Dow Fehsenfeld, Dan Gunn et Lois More Overbeck, Paris, Gallimard, 2014, 800 p., 55 €

Cette édition des lettres de Beckett ne répond pas au souhait de l’auteur, puisque celui-ci s’était d’abord opposé à leur publication posthume, avant de mettre un peu d’eau dans son vin. Il avait fait savoir à Jérôme Lindon, son éditeur, ami et exécuteur testamentaire, qu’il accepterait uniquement la publication des lettres qui concernent son œuvre. Mais la frontière entre la vie et l’œuvre demeure flottante, et le débat reste ouvert…

Ne boudons pas pour autant le plaisir d’une telle monumentale publication, sans doute parfois écrasée par l’apparat critique fidèle à la tradition anglophone. Dans ces lettres, Beckett – écrivain encore inconnu dans la période qui recouvre ce premier tome et qui s’ouvre par une lettre à James Joyce – précise déjà ses doutes comme ses aspirations. N’arrivant pas à faire publier Murphy (son premier roman), il semble prêt à renoncer au métier d’écrivain :

Je ne me sens pas de passer ma vie à écrire des livres que personne ne lira. Je ne sais même pas d’ailleurs si j’ai envie de les écrire.

Au même moment pourtant, il élabore déjà toute sa poétique.

Dans une lettre capitale de 1937 écrite en allemand, l’auteur exprime son insatisfaction à l’égard de la langue :

De plus en plus, ma propre langue m’apparaît comme un voile qu’il faut déchirer afin d’atteindre les choses (ou le néant) qui se trouvent au-delà. Étant donné que nous ne pouvons éliminer le langage d’un seul coup, il ne faut rien négliger de ce qui peut contribuer à le discréditer.

Et l’auteur d’ajouter :

Y aurait-il dans la nature vicieuse (viciée) du mot une sainteté paralysante que l’on ne trouve pas dans le langage des autres arts ?

C’est parce qu’il n’existe pas de raison valable à ce déchirement dans le voile de la langue que Beckett ne cesse de s’y atteler dans son œuvre. Ses lettres, écrites parfois au dos d’invitations ou sur des pages de carnets déchirées, s’en font l’écho.

Beckett se situe en deçà ou au-delà des principes les plus habituels de l’imaginaire. Ses lettres emportent pour un voyage vers une « vue sans dehors », vers une décrue qu’aucune barrière ne vient limiter, si ce n’est le silence sur lequel le langage finira par achopper en un génial et long « désœuvrement » (Blanchot) qui emportera l’œuvre vers sa fin. Les lettres évoquent déjà une solitude et une absence, un inconnu à entendre au neutre, qui n’a donc strictement rien à voir avec un deus incognitus, avec la possibilité d’un Dieu, même lointain.

La correspondance, par son humour, ébauche déjà la volonté du « dépeupleur », capable d’épuiser toute possibilité du langage. Plus tard, Beckett écrira à Valère Novarina :

Nous sommes venus ici pour porter le vide au milieu des choses. Voilà le déchirement.

La blancheur et le silence sur lesquels l’œuvre semble achopper sont donc déjà latents dans ce corpus où, comme dans les écrits majeurs et selon Jean Burgos, l’imaginaire ne cesse « d’émerger et de s’actualiser au prix de la mort des images ».

Jean-Paul Gavard-Perret

Brèves

Daniel Defert, Une vie politique, Entretiens avec Philippe Artières et Éric Favereau, avec la collaboration de Joséphine Gross, Paris, Le Seuil, 2014, 266 p., 22 €

Discret et rarement publié, Daniel Defert est un homme de projets collectifs (publication posthume des travaux de Michel Foucault, dont il est l’exécuteur testamentaire, création de la première association pour les malades du sida, Aides). À travers son parcours intellectuel et militant, qui le fait passer de la Gauche prolétarienne au Groupement d’information sur les prisons (avec Foucault, Pierre Vidal-Naquet et Jean-Marie Domenach) puis à la lutte contre le sida, il saisit avec une grande acuité intellectuelle les questions prioritaires de son temps. Il ne sépare jamais, de manière bien sûr foucaldienne, les formes d’action militantes, la construction des savoirs et l’analyse des rapports de pouvoir. C’est ainsi que la mobilisation autour du sida donne un éclairage incomparable non seulement sur l’apparition et le développement de cette maladie mais aussi sur ce qu’elle implique pour les rapports entre les médecins et leurs patients et, plus largement, pour la mise en cause des habitudes ou des automatismes des autorités sanitaires. L’épidémie n’imposait pas seulement de prendre en compte des parcours de soin très spécifiques ; elle supposait plus largement l’appropriation collective d’un savoir nouveau en matière de santé publique. C’est pourquoi la stratégie qui lui semble adaptée, au moment où les homosexuels revendiquent une nouvelle visibilité dans la vie publique, n’est pas la mise en cause de l’incurie de l’État au nom des victimes (ou d’une communauté) mais l’invention de pratiques nouvelles en dehors des schémas établis. La mobilisation collective des séropositifs devait inventer une manière inédite de soutenir les malades, de répondre à la stigmatisation, de bousculer l’inertie politique, de prendre en compte l’internationalisation de l’épidémie… Une seconde partie du livre rassemble une série de conférences et de textes d’intervention de Daniel Defert, qui fournissent quelques jalons de l’histoire institutionnelle d’Aides mais démontrent aussi son sens politique et la finesse de son analyse des enjeux de santé dans les trente dernières années.

M.-O. P.

Régine Robin, Le Mal de Paris, Paris, Stock, 2014, 360 p., 21, 50 €

Historienne de l’Allemagne et auteur d’un ouvrage sur Berlin (Berlin Chantiers, 2012) qui anticipait le devenir urbain de la ville européenne d’aujourd’hui, Régine Robin habite une partie de l’année à Montréal et l’autre à Paris dans un petit appartement de la barre de Mouchotte, une construction des années 1960 qui longe la gare Montparnasse. C’est dire qu’elle a le sens de la comparaison urbaine et qu’elle pratique l’art de l’« entre-villes » sans lequel la tendance est de muséifier et de patrimonialiser les agglomérations urbaines en les singularisant à l’extrême. C’est justement ce qu’elle reproche à Paris, dont le repli sur la ville-centre ne permet pas de saisir les évolutions au long cours d’une aire urbaine de douze millions d’habitants. Selon elle, Paris se regarde toujours dans un miroir, celui de sa centralité historique, alors même qu’il faut l’arpenter dans un double rapport centrifuge et centripète. Le constat est d’autant plus sévère que Régine Robin privilégie une approche qui met l’accent sur la créativité et l’imaginaire urbains. Ce qui ne va pas sans cultiver des paradoxes fort salutaires : elle affirme par exemple qu’habiter une barre d’habitation en plein Paris n’est pas « sans qualités »… sans oublier que les barres sont généralement construites hors de Paris, dans les « cités ».

O. M.

Alberto Magnaghi, La Biorégion urbaine. Petit traité sur le territoire bien commun, Paris, EterotopiaFrance/Rhizome, 2014, 176 p., 15 €

L’auteur du Projet local est devenu une référence incontournable en Europe en raison des projets qu’il réalise avec ses équipes (liées à l’Université ou à des municipalités) dans le nord de l’Italie ou ailleurs. Chez lui, il n’y a pas d’opposition entre la théorie et la pratique, dans la mesure où les actions conduites (et présentées dans cet ouvrage) sont autant d’exemples de ce qu’il faut essayer de faire aujourd’hui. Le retournement intellectuel et politique qui les sous-tend, et qui les oppose à la grande majorité des approches urbanistiques en cours, réside dans le fait que Magnaghi prend acte de la prévalence des flux sur les lieux (territoires et paysages) dans le cadre de la mondialisation urbaine qui affecte l’Europe comme les pays émergents. En effet, loin de défendre le local contre le global et d’adopter une posture défensive et réactive, ce petit traité destiné à valoriser des concepts (bien commun, biorégion…) est une invitation à concevoir des pratiques citoyennes et démocratiques susceptibles de pacifier les flux et donc d’accompagner la reconfiguration des territoires. La question n’est donc pas de s’extraire du global (entendu dans toutes ses dimensions) mais de réinventer du local (au sens ici de la région) dans un univers globalisé sur le mode de collectifs citoyens. Un vrai projet politique qui souligne bien que la démocratie urbaine n’est pas une fiction.

O. M.

David Mangin, Paris/Babel. Une mégapole européenne, Paris, Éditions de la Villette, 2014, 416 p., 33 €

« À quel moment un saut quantitatif se traduit-il par un changement qualitatif ? » À la question de Claude Lévi-Strauss, David Mangin et le collectif qui est à l’origine de cet ouvrage original sur le Grand Paris, dont l’aire urbaine accueille 12 millions d’habitants (13, 5 pour Londres, 14, 8 pour Moscou, 16, 5 pour Istanbul…), n’hésitent pas à répondre par le terme de mégapole (une mégapole est une agglomération de plus de 10 millions d’habitants, une mégalopole une agglomération de plus de 20 millions d’habitants…). De ce constat qui dévalue le recours à la notion de métropole, Paris/Babel tire les indispensables conclusions d’ordre qualitatif : il ausculte une ville aveugle qui n’en finit pas de ne pas vouloir se connaître. Cette mégapole est déjà babélienne (Babel au sens d’un pluralisme qui invite à vivre avec plusieurs langues et dans un univers cosmopolite), elle est également une ville qui a ses souterrains, ses connexions et ses émergences « ordinaires » souvent inattendues (Mangin a en charge le projet des Halles à Paris qui est « la connexion des connexions » de la mégapole parisienne – quatre niveaux souterrains – et ne se résume pas à la canopée qui la recouvre). La prise en compte des réseaux et connexions multiples donne d’autant plus de force à la réflexion au long cours de Mangin sur la « ville passante » qui, loin de défendre l’espace piétonnier, préconise la capacité de passer d’une vitesse à l’autre, d’un réseau à l’autre et « d’une ville à l’autre » au sein de la mégapole.

O. M.

Tanguy Viel, La Disparition de Jim Sullivan, Paris, Les Éditions de Minuit, 2013, 153 p., 14 €

Le roman américain semble être devenu un genre à part entière de la littérature française. Maylis de Kérangal (Naissance d’un pont, 2012), Antoine Bello (Roman américain, 2014) et bien d’autres ont écrit des œuvres qui veulent, non pas imiter, mais répliquer, adapter une littérature qui fascine et qui a du succès. Tanguy Viel s’y est donc lui aussi lancé ; mais pas n’importe comment. Son roman n’est pas un roman américain, c’est l’histoire d’un écrivain français qui écrit un roman américain et le ponctue de remarques distancées et ironiques (« c’était le début de la guerre en Irak – de ce genre d’événements qu’on ne passe pas sous silence quand on est américain »), tout en construisant une intrigue et des personnages, bien américains. On est à Détroit, dans la tête de Dwayne Koster, professeur de littérature divorcé qui se retrouve mêlé à une affaire louche en tentant de reconquérir sa femme. Le problème, dans ce livre – et ce qui le rend intéressant –, c’est que l’auteur se protège par le second degré. L’intrigue et les personnages sont caricaturaux ? Normal, c’est du pastiche. Pourtant, le narrateur est lui-même pris par le plaisir de ce qu’il raconte. In fine, on a l’impression que cette mise à distance est aussi un aveu d’échec : j’aurais tant aimé écrire un vrai roman américain. Mais je n’ai pas pu. Alors, j’ai pris le masque de l’ironie. En bon Français.

A. B.

En écho

TOUJOURS SIMONE WEIL – Alors que Jacques Julliard vient de livrer un texte vif et précieux sur l’auteur de l’Enracinement (le Choc Simone Weil, Paris, Flammarion, 2014), Les Cahiers Simone Weil (revue trimestrielle publiée par l’Association pour l’étude de la pensée de Simone Weil, tome XXVII, no 2, juin 2014) publient les actes d’un colloque consacré aux relations de Simone Weil et de son frère, le mathématicien André Weil. Au-delà des liens étranges de ces deux « génies » qui s’écrivaient des lettres commençant par « Étonnant phénomène » et « Cher noumène », l’intérêt des textes est d’éclairer la place des mathématiques et leur statut philosophique dans une pensée de la nécessité, indissociable du platonisme et du pythagorisme, comme celle de Simone Weil. Ce qui l’a conduite à discuter aussi bien des nombres réels et indiscernables que des travaux mathématiques de son frère, de Bourbaki et consorts. Cela n’est pas sans écho avec la place prise par le formalisme mathématique aujourd’hui en économie.

POUVOIRS DE LA LITTÉRATURE – Cinquante ans après un débat réunissant, à l’initiative de Clarté, le journal de l’Union des étudiants communistes français, Simone de Beauvoir, Yves Berger, Jean-Pierre Faye, Jean Ricardou, Jean-Paul Sartre et Jorge Semprun autour de la question « Que peut la littérature ? », La Nouvelle Revue française revient sur le sujet (« Que peut (encore) la littérature ? », Nrf, no 609, septembre 2014). On y trouve la conférence de Sartre, ainsi que des contributions de Faye et Ricardou revenant sur les débats de l’époque. La présentation de Philippe Forest permet de réévaluer la question de l’engagement et de la sortir des caricatures dont elle a souvent fait l’objet ; l’article d’Emmanuel Bouju, quant à lui, prolonge de manière intéressante la question du « pouvoir » de la littérature en l’appliquant aux écrivains contemporains, du moins ceux qui reprennent « à nouveaux frais ce double projet réaliste et éthique, dont la nécessité demeure, voire s’aggrave à chaque nouvelle défection du monde ». Parmi les écrivains qui participent au numéro (François Beaune, Michel Deguy, Édouard Louis), Scholastique Mukasonga explore la signification de la littérature dans le contexte du génocide rwandais : « En face d’un enfant qui meurt, la Nausée ne fait pas le poids », disait Sartre. Mais le veut-elle, le doit-elle ?

LA CHINE VUE DE HONG KONG – L’excellent dossier de la revue Critique (« Hong Kong prend le large », août-septembre 2014, Éditions de Minuit), dirigé par Sebastian Veg – par ailleurs responsable de la revue Perspectives chinoises – depuis Hong Kong, permet de mieux comprendre, alors même que le Parti communiste chinois cherche à contrôler toujours un peu plus le processus électoral en cours, la situation historique et géographique de l’île (rétrocédée en 1997, elle vit pour l’instant sous l’égide de la formule provisoire : « un pays, deux systèmes », voir l’article d’Alice Béja dans ce numéro, p. 15) qui doit chercher à consolider ses atouts démocratiques sans pour autant se couper du continent. Mais la question est désormais la suivante : faut-il aller vers l’indépendance et provoquer des ruptures ou bien faut-il continuer à croire que la volonté démocratique de cette île portée par la finance et le commerce peut peser sur le devenir d’une Chine continentale qui ne court apparemment pas après la démocratie ?

LA CRISE CULTURELLE DE L’EUROPE, LE MAL ET LE PARDON – La crise économique de l’Europe n’est bien entendu en rien dissociable de sa crise spirituelle, il y a longtemps que des grands phénoménologues comme Husserl et Pato?ka l’ont affirmé. C’est dans cette optique que Recherches de science religieuse (avril-juin 2104, http://www.revue-rsr.com/) publie une partie des actes d’un colloque qui a porté sur la « différence dans la crise culturelle de l’Europe ». On se reportera particulièrement à l’introduction de Christoph Theobald et au texte de Jean Greisch sur « l’apprentissage du discernement des différences ». Par ailleurs, la revue Archives de philosophie (juillet-septembre 2014, http://www.archivesdephilo.com/) publie un dossier sur le mal et le pardon qui comporte des articles sur Hegel, Rosenzweig, Jankélévitch et Derrida. Voir aussi l’article de Guy Petitdemange : « Levinas, l’esprit, la lettre. Notes en marge de “Simone Weil contre la Bible” (1952). »

Avis

Le 9 octobre 2014 auront lieu à Lille les « Ateliers de la citadelle », sur le thème « L’Europe “sans défense” ? Crise et perspectives de la politique européenne de défense », auxquels participera Nicole Gnesotto, qui a coordonné notre numéro d’août-septembre, « Le nouveau désordre mondial ». Inscription obligatoire à l’adresse : ateliersdelacitadelle@live.fr

L’amitié Charles Péguy, en partenariat avec l’Atelier du livre d’art de l’Imprimerie nationale, réédite, par souscription, une série de quinze Cahiers de la quinzaine, selon les techniques de typographie de l’époque. Pour plus d’informations, écrire à editionducentenaire@charlespeguy.fr

Du 26 au 28 novembre 2014 aura lieu un colloque sur « Jean Baudrillard. L’expérience de la singularité », organisé par Nicolas Poirier dans le cadre du centre de recherches Sophiapol dirigé par Stéphane Haber et Stéphane Dufoix, à l’université Paris Ouest-Nanterre-La Défense. Parmi les intervenants : Bruce Bégout, Françoise Gaillard, Henri-Pierre Jeudy, Aurélie Ledoux, Anne de Rugy. Programme complet : http://www.entropia-la-revue.org/spip.php?breve147

Dans les mois à venir, nous consacrerons un dossier à la question du chômage : plutôt que d’adopter une perspective sociologique, nous avons choisi de demander à des écrivains de proposer des textes de fiction autour des différentes étapes, des différentes épreuves par lesquelles les chômeurs doivent passer dans l’espoir – malheureusement souvent déçu – d’être (ré)intégrés au « monde du travail ». Nous aborderons ensuite la question des rythmes de vie : école, travail, comment mieux adapter les rythmes à une époque qui semble vouloir aller toujours plus vite ?

  • 1.

    Titre d’un livre de Jean Bastaire, paru en 1973.

  • 2.

    Le dernier chapitre du livre de Jean-Pierre Rioux, la Mort du lieutenant Péguy, Paris, Taillandier, 2014, dont nous avons rendu compte en février 2014, est également consacré au destin politique posthume de l’œuvre de Péguy, à partir du premier hommage de Barrès dès le 17 septembre 1914.

  • 3.

    Signalons sur ce point la biographie que Michel Leymarie consacre aux frères Tharaud qui, après avoir été proches de Péguy, ont été secrétaires de Barrès et ont rallié la droite antisémite. Ils ont écrit en 1926 Notre cher Péguy, livre de souvenirs très influent à l’époque, où ils renient leur dreyfusisme de jeunesse. Michel Leymarie, la Preuve par deux. Jérôme et Jean Tharaud, Paris, Cnrs Éditions, 2014.

  • 4.

    Signalons d’ailleurs une nouvelle édition du premier livre du fondateur d’Esprit, qui portait précisément sur Péguy : Emmanuel Mounier, la Pensée de Charles Péguy, nouvelle édition établie par Nadia Yala Kisukidi et Yves Roullière, Paris, Le Félin, 2014.

  • 5.

    Voir notamment G. Leroy, Péguy entre l’ordre et la révolution, Paris, Presses de la Fondation nationale des sciences politiques, 1981.

  • 6.

    Géraldi Leroy développe particulièrement l’étude de la controverse entre Péguy et Jaurès dans Les Cahiers du Cerf (« Un débat philosophico-politique ») et dans Europe (« Péguy et Jaurès, une rupture programmée »).

  • 7.

    Benoît Chantre, « La logique enchantée », dans C. Riquier (sous la dir. de), « Charles Péguy », Les Cahiers du Cerf, op. cit.

  • 8.

    « Pourquoi aucune de ces institutions n’est-elle capable, entre 1873 et 1914, de se renouveler de telle sorte qu’elles donnent à Péguy le sens du progrès qu’il attend si passionnément ? » s’interroge Bruno Latour, « Nous sommes des vaincus », dans C. Riquier (sous la dir. de), « Charles Péguy », Les Cahiers du Cerf, op. cit., p. 17. Au passage, Latour défend un Péguy sans nostalgie : « Le traiter d’“anti-moderne”, c’est avouer qu’on ne l’a pas lu, c’est le prendre pour un homme tenté par le passé, lui, l’homme par excellence du présent » (ibid.).

  • 9.

    Alexandre de Vitry, « De Deleuze à Péguy », dans C. Riquier (sous la dir. de), « Charles Péguy », Les Cahiers du Cerf, op. cit., p. 224.

  • 10.

    Voir dans Europe le parallèle entre Péguy et Rolland, « Romain Rolland et Charles Péguy, “compagnons” de profonde rébellion », par Roger Dadoun.

  • 11.

    Voir aussi Claire Daudin sur Bernanos, Damien Le Guay sur Maritain, dans C. Riquier (sous la dir. de), « Charles Péguy », Les Cahiers du Cerf, op. cit.

  • 12.

    Bruno Latour, « Pourquoi Péguy se répète-t-il ? Péguy est-il illisible ? », dans C. Riquier (sous la dir. de), « Charles Péguy », Les Cahiers du Cerf, op. cit., p. 362.

  • 13.

    Il existe maintenant en France des agences spécialisées, notamment en matière de mémoire juive.

  • 14.

    É. Levé, Amérique, Paris, Léo Scheer, 2006.

  • 15.

    É. Levé, Fictions, Paris, P.O.L, 2006.

  • 16.

    Textes d’Édouard Levé publiés par P.O.L : Œuvres, 2002 ; Journal, 2004 ; Autoportrait, 2005 ; Suicide, 2008. Recueils de photographies : Angoisse, Paris, Phileas Fogg, 2002 ; Reconstitutions, Phileas Fogg, 2003 ; Fictions (avec un texte imprimé en noir au blanc), Paris, P.O.L, 2006 ; Amérique, Paris, Léo Scheer, 2006.

  • 17.

    Sebastian Barry, le Testament caché, Paris, Joëlle Losfeld, 2009.

  • 18.

    Id., Du côté de Canaan, Paris, Joëlle Losfeld, 2012.

  • 19.

    Id., The Whereabouts of Eneas McNulty, New York, Penguin, 1999.

  • 20.

    S. Barry, Our Lady of Sligo, York, Methuen Drama, 1998.

Marc-Olivier Padis

Directeur de la rédaction d'Esprit de 2013 à 2016, après avoir été successivement secrétaire de rédaction (1993-1999) puis rédacteur en chef de la revue (2000-2013). Ses études de Lettres l'ont rapidement conduit à s'intéresser au rapport des écrivains français au journalisme politique, en particulier pendant la Révolution française. La réflexion sur l'écriture et la prise de parole publique, sur…

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Les luttes pour la reconnaissance

La pédagogie de la laïcité à l'école

Les aspirations de la jeunesse