Les mises en scène de la réussite. Entreprendre, entraîner, animer
Entreprendre, entraîner, animer
Plus que dans un programme ou dans une stratégie, la cohérence du sarkozysme réside dans une manière de mettre en scène la réussite. Sa propre réussite d’abord, celle de l’enfant de Neuilly, une ville tremplin, puis celle des personnages qui incarnent aujourd’hui la réussite : l’entrepreneur mais aussi l’entraîneur sportif et l’animateur médiatique. Sarkozy joue plusieurs personnages, mais la réussite qu’il incarne s’accompagne d’un rejet de l’échec, de quiconque est inapte à la réussite.
Aborder le sarkozysme, c’est s’interroger sur la « rupture » qu’il met en scène. Faut-il voir dans l’élection du nouveau président une page qui se tourne, une modification profonde des us et coutumes de la Ve République ? Ou bien, au contraire, Nicolas Sarkozy nous fait-il entrer dans une ère d’adaptation à des processus plus anciens que lui et dont il est l’accompagnateur plutôt que l’initiateur ? Les raisons de pencher en faveur de la seconde hypothèse ne manquent pas, même si elle s’oppose à la légende élyséenne du président démiurge et avec la thèse symétrique de la diabolisation qui voit en un seul homme la cause de tous les maux de la démocratie contemporaine. Il est peut-être temps de chercher à comprendre le sarkozysme en dépit du Sarkozy médiatique, mais aussi en se libérant du carcan des approches politistes (sondages, institutions, Constitution).
Le « sarkozysme » n’est pas un corps de doctrines, et il est impossible de reconstituer un ensemble idéologique cohérent à partir des seuls discours ou décisions du président. L’ironie plusieurs fois proclamée à l’égard des intellectuels n’est pas seule en cause : le sarkozysme tel qu’il se montre est la synthèse de plusieurs tendances contradictoires de la société française. Le libéralisme économique n’en est pas absent, si l’on entend par là un rapport décomplexé à l’argent mais, parallèlement, l’interventionnisme est présenté comme une vertu, tandis que les premières mesures fiscales (suppression de l’impôt sur les successions, bouclier fiscal) nous placent clairement dans une économie de la rente. Sur un plan plus politique, le président se présente comme rassembleur, mais il n’hésite pas à jouer une catégorie (les Français qui travaillent dur) contre une autre, créant constamment du clivage avant de prétendre incarner la synthèse. Partisan, enfin, du risque de la mondialisation, il est aussi républicain à ses heures1.
On dira qu’il s’agit d’abord de « pragmatisme », une vertu que même ses ennemis les plus résolus reconnaissent au sarkozysme. Le président n’a-t-il pas promu l’ouverture à gauche au lendemain d’une campagne placée sous le signe de la droite « décomplexée » et de la liquidation de l’héritage de 68 ? La tactique improvisée dans l’urgence fait office de stratégie au long cours dans une pratique où il importe de donner l’impression d’être toujours à la manœuvre. Mais, surtout, le pragmatisme de Sarkozy réduit l’action politique à son caractère instrumental et à un art de gouverner entièrement tourné vers la recherche de la performance. Il est trop tôt pour savoir si Sarkozy fait ce qu’il dit, mais il est indéniable qu’il dit ce qu’il fait, n’omettant jamais de mettre en scène sa geste et d’en commenter publiquement les avantages. Plus qu’une idéologie, il s’agit donc d’une rhétorique, si la rhétorique est cet art qui identifie le réel et l’efficace et aborde toute chose en termes de moyens ajustés à des fins plus ou moins arbitraires.
Nous ferons l’hypothèse que la cohérence du sarkozysme réside dans une certaine manière de conceptualiser et de mettre en scène la réussite. Celle-ci ne doit pas être comprise politiquement, c’est-à-dire à la manière d’un enjeu collectif. Dans le sarkozysme, on est toujours tout seul au moment critique et c’est à l’individu, livré à lui-même, qu’il incombe de s’en sortir. On aurait pu s’attendre à ce que la biographie du nouveau président soit davantage mise à profit pour illustrer cette figure de l’individu entrepreneur : quoi de plus suggestif que le « migrant » venu de Hongrie et auquel rien n’a été épargné ? Mais le migrant est trop associé à l’errance, or dans le sarkozysme le point d’arrivée importe plus que la trajectoire. C’est pourquoi on préfère le jogger au voyageur : l’itinéraire est prévisible et linéaire, on est assuré de toucher au but. De plus, la course réduit le paysage à un simple décor qui ne risque pas de distraire l’individu de son unique objectif : parvenir à bon port le plus vite possible.
Cette élévation de la réussite au rang d’impératif catégorique repose sur un présupposé social : l’individu se trouve réduit à ses hauts faits. L’échec n’en est pas pour autant absent, mais il ne vaut que d’avoir été exorcisé. Devant les joueurs du quinze de France affligés par leur défaite initiale contre l’Argentine, le président a fait état de ses déboires passés. Mais c’est pour mieux faire paraître les mérites de la rédemption : « Voyez où je suis aujourd’hui. » La faiblesse ne vaut plus que comme un mauvais souvenir pour celui qui aura su la conjurer par la seule force de sa confiance en lui-même. Dans un discours où l’optimisme de la volonté n’est jamais tempéré par le pessimisme de la raison, on conçoit que, à l’instar d’une victoire sportive, le point de croissance vienne se chercher « avec les dents ».
Nicolas Sarkozy n’est certainement pas l’inventeur de cette éthique volontariste du possible : sa manière de valoriser la réussite a rencontré la manière dont on réussit aujourd’hui dans la société française et de cette rencontre est certainement née la victoire du mois de mai. Tout au plus le sarkozysme sanctionne-t-il politiquement un ethos qui, jusque-là, était circonscrit à certaines sphères de la société. C’est pourquoi on tâchera de rendre compte de quelques aspects du sarkozysme en articulant la sociologie dont il émane à l’imaginaire qu’il promeut. Il n’est pas nécessaire de tout accorder à la thèse des « idées dominantes de la classe dominante » pour constater que le sarkozysme émane d’une certaine bourgeoisie et d’un lieu, Neuilly, qui se caractérisent par quelques convictions arrêtées sur ce qu’est une « vie réussie ». Des figures symboliques (celles de l’entrepreneur, du producteur et de l’entraîneur) servent de modèles à cet imaginaire de la réussite : il faut en reconstituer la logique sans oublier que Sarkozy est aussi un homme de pouvoir, de trahisons et de mensonges qui a ses côtés machiavéliques2. Enfin, parce que le sarkozysme est bien plus que l’idiosyncrasie d’un homme, il conviendra de se demander ce que ces mises en scène de la réussite expriment du rapport entre l’individu et la société.
« Où » prendre son élan? Neuilly, un territoire de branchement
Personne ne peut m’en vouloir d’être attaché à cette ville. Je lui dois beaucoup. J’avais 28 ans lorsque j’ai été élu maire. Aujourd’hui, je dois faire des choix, les assumer. Je m’engagerai derrière des jeunes que j’ai formés, poussés, accompagnés3.
Comment s’intégrer ? Plus encore, comment s’intégrer pour réussir ? La question ne vaut pas seulement pour la deuxième génération d’une famille d’immigrés venue d’Europe centrale4. Au-delà de la psychologie et du volontarisme des individus, la réussite est conditionnée sociologiquement par le « point de départ », les origines généalogiques et le choix initial de l’inscription territoriale. Neuilly n’est pas Maubeuge5 ! Nicolas Sarkozy le sait bien, lui qui, même s’il adore rappeler ses échecs et traversées du désert, a eu la chance de prendre son élan dans un territoire qui se prête, mieux que tout autre, à un parcours « réussi ».
Biographes et chroniqueurs politiques rappellent inlassablement que la famille Sarkozy, après un périple dans les quartiers de l’ouest parisien, s’est installée à Neuilly en 1973 et que le futur président y a commencé sa carrière politique et s’y est définitivement installé. À Neuilly, Sarkozy a conquis la mairie à 28 ans aux dépens de Charles Pasqua, il est également allé au charbon à l’occasion de l’épreuve de Human Bomb6 dont il a conduit, comme un insider américain, les négociations. Neuilly étant une commune des Hauts-de-Seine, il est ensuite devenu le président du conseil général de ce département avant d’accéder à des postes gouvernementaux7. Sarkozy, enfant de Neuilly ! Ou plutôt Sarkozy, formaté par Neuilly8 !
Qu’en est-il exactement de cette ville ? La famille Sarkozy a bien choisi : Neuilly est un territoire singulier qui réunit les éléments favorables à une promotion dans la vie politique, dans le monde des affaires ou le milieu du show-biz. Surtout elle est la scène d’une société qui privilégie un rapport « décomplexé » à l’argent et favorise la mise en synergie de milieux contrastés qui échangent leurs atouts. Neuilly, c’est donc le symbole d’un nouveau type d’excellence qui contourne sans vergogne les modes de promotions traditionnels (république, catholicisme, haute fonction publique, élites européennes…) au profit d’une réussite « visible », celle des affaires ou du show-biz, un mélange qui favorise naturellement une « pipolisation » de l’action politique.
Ghetto de riches ou lieu branché?
Neuilly – 1 506 habitants en 1801, 60 000 habitants en 2007 – est une ville à double face : elle rassemble les privilégiés et se présente en même temps comme un espace « ouvert » qui favorise les stratégies individuelles. « Ghetto de riches » en apparence, Neuilly est connu pour son peu de respect de la solidarité nationale, pour son refus d’appliquer la loi Sru (Solidarité et renouvellement urbains) destinée à construire des logements sociaux et à favoriser la mixité sociale. Et cela, alors même que la ville attend que l’État prenne en charge la dalle destinée à recouvrir la voie centrale (l’avenue Charles de Gaulle) qui relie la porte Maillot au pont de Neuilly (trois fois le prix du pont de Millau). Mais, en dépit des apparences, Neuilly ne se réduit pas aux domaines et aux hôtels particuliers des grandes familles : le domaine de la famille des Orléans au nord de la commune et les hôtels particuliers du xixe siècle situés en bordure du bois de Boulogne au sud qui, les uns et les autres, ont fait l’objet d’opérations de lotissement assorties de règles drastiques d’urbanisme9. Il y a au moins trois Neuilly, ce qui montre que l’on a moins affaire à une classe (la bourgeoisie en général) qu’à un conglomérat de groupes sociaux qui forment un « ensemble » :
Il y a le Neuilly du centre, où habitent les vieux neuilléens, des familles traditionnelles à la fortune ancienne ; le Neuilly du boulevard Maurice-Barrès, en lisière du bois, où sont domiciliées les très grandes fortunes, les « milliardaires » ; et enfin le Neuilly des nouveaux riches, à Bagatelle, ce pédoncule qui, au sud-ouest, s’enfonce entre le bois de Boulogne et la Seine10.
À l’image de ces territoires la sociologie de Neuilly est hétérogène : Neuilly est un « site » qui, loin de se réduire caricaturalement à un « ghetto de riches », rassemble « des » bourgeoisies françaises et autant de droites, au sens de René Rémond, fédérées par le nouveau président et par un solide goût de la réussite. Car cette ville est une ville tremplin ouverte au monde et accueillante à toutes les ambitions. C’est une ville branchée, non seulement au sens de la mode mais au sens où elle a la capacité de relier des pôles divers de la réussite. Avec un seul interdit sur ce territoire, une unique figure de la transgression que nous ne cesserons plus de rencontrer : celle du perdant.
Loin d’être une enclave, Neuilly est un site à la fois « protégé » et « ouvert ». Cette ville est dynamisée par plusieurs aimants : l’aimant du pouvoir politique (l’Élysée) qui se trouve au nord dans le centre de Paris, dans l’axe du pouvoir que représente l’avenue Charles de Gaulle (la route nationale 3) ; l’aimant économique du sud de Paris ; et celui des pôles de loisir que symbolisent les espaces sportifs et clubs disséminés au bois de Boulogne ou dans les parcs et forêts de la première couronne. Souvent considérée comme le 21e arrondissement de Paris, Neuilly n’est ni un quartier de Paris, ni une banlieue au sens strict, c’est un sas entre le centre (politique) et l’ouest et le sud. Alors que le lien avec le pouvoir politique oblige Neuilly à se tourner vers l’arrière puisque le sommet du pouvoir politique est à l’intérieur de Paris (il faut remonter les grandes avenues et descendre les Champs-Élysées), cette ville regarde surtout vers les extérieurs de Paris, vers l’ouest et le sud (il faut franchir le pont de Neuilly pour regarder vers les forêts de Marly, de Saint-Germain…). Les limites de Neuilly, bien circonscrites, en manifestent l’ambivalence : elle regarde par nécessité vers Paris où se trouve le pouvoir politique après la vitrine commerciale des Champs-Élysées, mais elle est attirée par les extérieurs de la capitale et ne rêve que de sortir de Paris. Comme Neuilly n’est pas fascinée par Paris capitale, son lien avec le pouvoir passe par le département des Hauts-de-Seine et son redoutable conseil général. Excentrée, périphérique, la ville de Neuilly conserve un lien avec les espaces de pouvoir alors qu’elle organise ses activités hors de Paris. Même s’il vise Bertrand Delanoë qui part à la reconquête de la capitale dans le cadre des municipales de 2008, Sarkozy n’intervient pas par hasard dans le débat qui porte sur le Grand Paris et le rôle de la région Île-de-France11. Neuilly est bien un espace de branchement favorable à la réussite politique ou entrepreneuriale, mais aussi un lieu de rencontre et de mise en synergie des milieux grâce aux clubs et aux espaces ludiques.
L’axe historique du pouvoir et Neuilly
Pour saisir le rapport de Neuilly au pouvoir politique, il faut regarder sur une carte l’axe central qui tronçonne la commune. La longue avenue Charles de Gaulle (la route nationale 3) qui relie le pont de Neuilly (celui-ci traverse la Seine pour aborder la Défense) et la porte Maillot est considérée comme un « axe historique ». Un axe qui relie en ligne droite depuis le Louvre « les monuments parmi les plus glorieux et les quartiers les plus huppés ». Se succèdent sur cet axe nord/sud : le Louvre, la place de la Concorde, les Champs-Élysées, l’arc de triomphe de l’Étoile, l’avenue de la Grande-Armée, la porte Maillot, l’avenue Charles de Gaulle qui traverse Neuilly, l’esplanade de la Défense, les tours, et la grande Arche12. Mais si l’on regarde vers l’ouest, on se heurte à Nanterre (son université un peu laissée pour compte, ses cités), à Courbevoie puis à Levallois-Perret vers l’est. Autant de zones en métamorphose aujourd’hui, mais dont l’axe historique se détourne pour conduire vers la forêt de Saint-Germain, Marly-le-Roi ou bien vers Versailles et ses jardins plus au sud.
Neuilly est branchée directement sur l’Élysée, mais cette ville qui n’est pas un quartier parisien rappelle que le pouvoir s’est longtemps trouvé hors de Paris et que la politique haussmannienne a consisté pour la République bonapartiste à refaire Versailles, le palais du pouvoir royal, dans Paris13. Si Neuilly aime le pouvoir, le site de la ville rappelle que le pouvoir n’est pas la propriété du centre de la capitale. Il faut regarder vers Paris pour prendre le pouvoir national, mais il faut aussi se méfier du centralisme parisien et se défendre contre les pesanteurs de l’étatisme et des élites et grands corps rassemblés dans les quartiers du Louvre et du Palais-Royal. Neuilly, et avec cette ville le département des Hauts-de-Seine, a pour rôle de rapatrier le pouvoir vers l’extérieur et d’en déposséder les élites traditionnelles. Si Neuilly ne regarde pas vers le nord mais vers le sud et l’ouest (Versailles et le coucher de soleil royal), elle noue cependant un lien privilégié avec l’axe historique du Pouvoir, la ligne droite qui va du Louvre à la grande Arche. Sarkozy n’avait plus qu’à remonter vers l’Arc de Triomphe et la Concorde tout en regardant la France vers l’ouest.
Le triangle d’or de la réussite économique
Si l’axe historique invite à regarder vers les monuments qui symbolisent et abritent le pouvoir national, Neuilly s’inscrit sur le plan économique dans l’ensemble, parisien et non parisien, qui l’environne.
La locomotive économique de la région Île-de-France, c’est ce qu’on appelle le triangle d’or, avec le 8e et le 16e arrondissement, l’Étoile, Neuilly et la Défense14.
Mais ce triangle d’or s’élargit vers le sud et l’ouest en première couronne. La ligne de tramway (T2) qui relie la Défense à Issy-les-Moulineaux et à son pôle économique témoigne de la direction géographique prise par le développement économique de la zone à l’échelle départementale et régionale, alors que l’île Seguin (symbole de la classe ouvrière et des usines Renault) est en passe de devenir un pôle culturel haut de gamme en dépit du départ de François Pinault pour le palais Grassi de Venise avec l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon. Par ailleurs, le changement de statut de La Défense est l’occasion pour Neuilly et les autres communes de redéfinir ses liens avec ce pôle économique15.
Si Neuilly est une ville dense, elle bénéficie aussi de la proximité des grands espaces verts du sud-ouest parisien qui rassemblent à proximité des bois, des jardins (jardin d’acclimatation collé contre un musée des Arts et Traditions populaires exilé dans ces terres, d’où son échec), des parcs, des terrains de jeu mais aussi des complexes sportifs (le Racing racheté par Lagardère), des clubs huppés (Tir aux pigeons, L’étrier, le Polo), des stades, des hippodromes (tribune hippique réservée à Longchamp au Jockey Club), des tennis (Roland-Garros) qui branchent la population sur le sport et assurent des activités ludiques à proximité. Mais la ville dense réclame d’autres espaces verts en exigeant d’abord que l’axe central de l’avenue Charles de Gaulle soit recouvert (la commune ne paiera pas la dalle, mais envisage de prendre en charge les jardins).
Des accès « iconoclastes » à la réussite
Sous la houlette d’un grand-père médecin, la famille Sarkozy s’est donc rapprochée de Neuilly, cette ville qui, à la fois point d’arrivée et point de départ, constitue une assurance pour la réussite des volontaires et des méritants. Comme d’autres, le jeune Nicolas Sarkozy devait s’intégrer, sans trop de difficultés quoi qu’il en dise, dans un lieu où les conditions de la réussite ne sont pas nécessairement liées aux itinéraires élitistes de la bourgeoisie républicaine, gaullienne ou catholique. Longtemps engoncée comme les quartiers parisiens qui la jouxtent, en tout cas jusqu’à la fin du gaullisme, dans des mœurs étriquées, la ville de Neuilly est devenue le symbole d’un type d’accès « libéré » à la réussite. Voilà un monde où celle-ci n’est pas assujettie à des exigences trop lourdes et ne passe pas nécessairement par les études épuisantes imposées à l’élite de la nation par le système des concours. Si l’on peut imaginer tous les cas de figure (la bourgeoisie d’entreprise, les milieux financiers, les futurs adeptes des nouvelles technologies), Neuilly offre un tremplin favorable à la réussite car elle ne passe pas « obligatoirement » par la promotion traditionnelle des élites. On peut passer des années heureuses dans l’ouest parisien, profiter des espaces verts et réussir en misant sur des prépas au bac et des prépas aux écoles de commerce qui sont des invitations à concentrer momentanément ses efforts.
Vivre à Neuilly, c’est adhérer à un monde où l’argent n’est pas honteux et se montre sans trop s’exhiber (on s’exhibe à distance, aux Champs-Élysées par exemple). On ne se trouve pas dans un quartier sulpicien mais dans un lieu où la liberté des moeurs est tolérée depuis des décennies (les boîtes de nuit qui couvrent le périphérique ont plus d’importance que les rallyes traditionnels). La réussite s’y appuie sur des réseaux de connaissance et sur des amitiés d’école et d’association auxquelles les biographes de Nicolas Sarkozy accordent une importance légitime. « La bande de Neuilly », cette expression désigne aussi bien l’ami politique Brice Hortefeux que Christian Clavier, l’ami comédien passé par le Splendid et connu au lycée.
Plutôt que de caricaturer les habitants de Neuilly, il faut comprendre que cette ville est un espace où les conditions de la réussite sont réunies sans qu’il soit nécessaire de respecter les étapes méritocratiques de l’école républicaine ou de bénéficier de la reproduction généalogique chère aux grandes familles issues de l’aristocratie ou de la bourgeoisie traditionnelle. Ce rapport à l’argent se distingue aussi bien de la culpabilité d’autrefois que du style bobo qui s’est imposé dans le centre-ville parisien. Ce n’est donc pas la rupture soixante-huitarde et la libération des mœurs qui font la différence ! À Neuilly, la droite est décoincée, décomplexée, mais elle n’y mime pas la gauche caviar qui, en retour, la méprise : un adolescent de l’est parisien parle des « chales » à propos des adolescents de Neuilly, tandis que les photographes adorent montrer la veste bleu marine à boutons du jeune adulte Sarkozy. « L’enfant formaté par Neuilly » qu’est Sarkozy a eu la chance de se rendre dans une ville qui est un tremplin pour la réussite dès lors que l’on a réussi à s’y implanter.
En définitive, Neuilly est une ville où il faut entrer mais qui permet ensuite de prendre son envol sans en sortir. Cette ville apparemment repliée sur elle-même, que l’on traverse sans la voir par la RN13, favorise des parcours très mobiles qui s’accordent à l’esprit du temps et au capitalisme financier. Il est donc vain d’ironiser sur le parcours scolaire et les études de Nicolas Sarkozy (notes au bac, études supérieures) : sa réussite ne tient pas à ses études mais à une capacité à se fondre et à prendre son élan dans un espace de la réussite qui s’y prête. Et cela sans épouser les moules normatifs de la réussite à la française. Ce qui éclaire les changements de modèle d’excellence et explique la méfiance de Nicolas Sarkozy envers les grands corps de l’État ou envers les clercs en tous genres et les soi-disant experts, comme il le répète régulièrement tout en multipliant les commissions alibis et bouche-trous.
Le président et ses personnages : l’entrepreneur, le coach et l’animateur
Mais le sarkozysme n’est pas seulement le triomphe d’un certain conglomérat social, il est aussi le résultat d’une rencontre entre la nouvelle bourgeoisie et l’imaginaire populaire. Comment expliquer autrement qu’une soirée électorale qui se déroule dans l’espace confiné qui va de la Concorde au Fouquet’s ait pu prendre les allures de fête nationale ? Pour que cette rencontre improbable ait lieu, il fallait qu’existe un média suffisamment puissant pour donner le sentiment d’un continuum entre l’homme d’affaires, le politicien et le saltimbanque. C’est pourquoi la télévision joue un rôle aussi déterminant dans l’univers sarkozyste : à Neuilly, le banquier n’est jamais très éloigné du show-biz. De ce point de vue, le problème du sarkozysme est celui de tout politique : comment faire de l’un avec de l’hétérogène ? Comment ne pas mépriser le caractère fédérateur des dernières chaînes de télévision généralistes à l’heure de l’éclatement des canaux ? Mais ce problème se pose à lui avec plus d’acuité dès lors qu’il s’agit de réconcilier la « France qui souffre » avec la tranche la plus haute des bénéficiaires de la modernité. Il n’y a qu’une seule manière de résoudre ce paradoxe : convaincre que le modèle de réussite s’applique égalitairement à tous et, pour cela, mettre en scène des personnages, l’entrepreneur, l’entraîneur et l’animateur, qui sont la preuve que « tout devient possible ».
L’entrepreneur
Des personnages promus par le sarkozysme, l’« entrepreneur » est mieux connu. La figure de l’individu « entrepreneur de lui-même », comptable aussi bien de ses plaisirs que de ses peines et responsable des moindres parcelles de son existence, est devenue un classique de la sociologie du néolibéralisme16. La valorisation de l’entrepreneur signale le passage d’un idéal éthique de conformité à une norme plus ou moins transcendante à un idéal immanent de l’efficacité sociale. L’entrepreneur ne perçoit plus la norme comme quelque chose d’extérieur à quoi il doit se soumettre, mais il l’intériorise au point de croire en être la source autonome17. Le modèle le plus efficace de cette intériorisation est le calcul des coûts et des profits : pour savoir ce qui doit être fait, il suffit de comparer le bénéfice de la réussite au risque encouru. « Réussir », ce n’est donc pas simplement arriver au but, mais avoir correctement apprécié le risque en l’intégrant à un calcul de prévoyance.
Être sarkozyste, c’est incontestablement penser que la seule manière de prévenir les risques est de les individualiser. La société sarkozyste ne connaît pas de « parachute doré », ni pour les patrons, ni pour les récidivistes auxquels des peines planchers sont fixées pour permettre à chacun une évaluation objective des risques. Mais elle ne connaît pas non plus la faute si par là il faut entendre un choix contestable de la volonté ou une perversion de l’intention morale. Plus que la volonté, c’est l’entendement qui est en cause puisque la faute n’est rien de plus que l’erreur, c’est-à-dire la mauvaise évaluation des opportunités. L’entrepreneur n’est pas mal intentionné : on lui évitera donc les affres du pénal en cas de faillite abusive ou de prise illégale d’intérêts. Il est tout au plus un mauvais gestionnaire, ce qui ne relève plus que de la juridiction civile. Cela ne signifie pas qu’il est moins responsable que l’individu qui transgresse une norme, il l’est même beaucoup plus si l’on considère qu’il forge lui-même cette norme et qu’il n’est pas seulement tenu de s’y plier, mais encore de la construire avec efficacité.
Avec cette promotion du projet individuel, le sarkozysme réalise indéniablement « les noces du risque et de la politique18 ». Selon ses propres paroles, le nouveau président n’a pas été élu « pour faire la sieste », ce qui semble justifier aussi bien son activisme que son audace. Entrepreneur permanent de lui-même et des autres, Nicolas Sarkozy donne même une version esthétique à cet idéal : à des collégiens réunis pour la rentrée des classes, il a conseillé de rencontrer des dirigeants d’entreprise pour se faire une idée de ce que sont la « vérité » et la « beauté ». C’est que la promotion du réel ne suffit pas à convaincre, il y faut encore ce pathos du projet qui a trouvé avec René Char ses lettres de noblesse poétiques : « Impose ta chance, serre ton bonheur et va vers ton risque. À te regarder, ils s’habitueront » (Rougeur des matinaux).
À le regarder (et comment ne pas le voir ?), nous nous sommes probablement déjà habitués. L’imaginaire à l’œuvre ici est celui du marketing, et c’est pourquoi il n’a plus rien pour étonner. La réalité se comprend sur le modèle du marché, avec ses « parts », ses « investissements » et surtout ses « valeurs » qui font tenir ensemble un dispositif miné par la divergence des intérêts particuliers.
L’entraîneur
C’est tout le problème : si le risque isole, il faut bien se donner les moyens de recréer du commun, en dépit de l’atomisation des destins individuels. Cette nécessité de concilier les contraires explique la promotion d’un autre personnage du sarkozysme : l’entraîneur. Celui-ci est la figure paradoxale de ce collectif en régime individualiste. Bernard Laporte, l’entraîneur de l’équipe de France de rugby, appelé à des responsabilités gouvernementales, en est devenu la figure éponyme, à la limite de la caricature.
Le coach est là pour créer du lien et nous rappeler, par exemple, que « les bleus » valent un peu plus que la somme des joueurs starifiés qui les constituent. Là où l’entrepreneur joue perso, l’entraîneur rappelle à la conscience d’un but commun. Quelque chose existe bien qui, au-delà des stratégies individuelles, figure la France comme une « équipe » tournée vers un idéal collectif. Dans un dispositif individualiste, cet idéal doit être personnifié et c’est à cela que sert l’entraîneur : désigner un objectif tout en participant à sa réalisation. Il s’agit toujours de gagner, mais en donnant l’impression que l’on gagne mieux (et plus) si l’on est ensemble. Comme le collectif ne doit pas non plus l’emporter sur le calcul des risques, qui n’est rationnel que d’être individuel, c’est encore un individu qui coache l’ensemble, introduit de la concurrence lorsque cela est nécessaire et parle au nom de tous lorsque le groupe est menacé d’éclatement.
La liberté du risque n’est donc nullement exclusive du contrôle. Dans l’univers sarkozyste, constitué d’atomes et de collectifs agrégés (autant de bulles, de packs), aucun groupe n’échappe à la règle de la performance. C’est pourquoi le coaching y est élevé au rang d’art de gouverner : chacun y court son risque, mais sous le regard du chef d’équipe. L’émulation y est très prisée, ce qui ne rend pas la tâche facile aux membres du gouvernement (moins encore à leur chef nominal) invités à entreprendre, mais sans jamais se tromper, au risque d’être recadrés par l’entraîneur.
L’animateur
Le troisième personnage, probablement le plus caractéristique, est celui de l’animateur. On le sait, Sarkozy est un « enfant de la télé », pour reprendre le titre d’une émission animée par son ami Arthur. Cela s’entend d’abord comme une absence de rapport au territoire : le nouveau président fait partie des élites nomades, il n’a pas de résidence secondaire. Ce qui représente une originalité historique, puisque les derniers présidents de la Ve République ont toujours privilégié des liens avec le terroir (dans la tradition gaullienne de la Boisserie) avec la propriété familiale (les châteaux de la famille Giscard d’Estaing ou de madame Chirac) ou avec la résidence secondaire (Latché pour Mitterrand). Or la télévision ignore les lieux puisqu’elle donne l’illusion d’« être partout et nulle part », elle symbolise un monde qui entre dans l’ère des flux (de l’instable et de l’incertain) et non pas des sols (du stable et du cyclique). Sentiment d’ubiquité : le président est filmé le même jour à la tribune des Nations unies et en train de courir dans les allées de Central Park.
Dire que Sarkozy est un enfant de la télévision ne signifie donc pas seulement qu’il a des amis dans le show-biz (de Bigard à Barbelivien en passant par Arthur, sans parler des Doc Gyneco et Faudel), et qu’il est adepte des vacances dans les clubs ou résidences privées plutôt que dans les propriétés présidentielles. Si Sarkozy est un politique « enfant de la télé », c’est parce qu’il pratique la politique en fonction de dispositifs propres à la télévision et aux mécanismes interactifs qu’elle rend possibles. L’enfant de la télé ne croit plus au miracle citoyen de la grande chaîne fédératrice et citoyenne, il sait que les flux d’images coulent indéfiniment, que les programmateurs n’ont plus le dessus sur les consommateurs qui créent eux-mêmes leur programme, et que les politiques peuvent et doivent y apporter leur marque, leur logo. Il ne suffit certainement pas de critiquer la politique spectacle et son lot d’émotion, il faut encore comprendre que Sarkozy se sert de la télévision comme d’un instrument qui maîtrise le temps et la durée par la saturation des images. En cela, il ne fait pas de la politique à la télévision, il fait de la politique comme un homme de télévision qui, pour conjurer l’angoisse d’être absent, multiplie les apparitions.
Sarkozy ne se contente pas d’entrer dans le spectacle ou de s’incruster dans le décor, en réalité il impose son tempo, ce qui n’est pas sans poser des questions sur la manière dont les médias, fascinés qu’ils sont en positif ou en négatif, suivent son rythme et sont pris en otage19. Quoi qu’il en soit, la télévision n’est pas un simple instrument de communication, elle constitue un modèle de la mise en pratique de l’action. Le studio de télévision, devenu une annexe permanente du pouvoir, peut être improvisé dans tous les lieux, dans les plus solennels comme l’Élysée mais aussi partout ailleurs. Un entretien télévisé avec le président se déroule toujours sur le même modèle : il s’agit de jouer tous les personnages à la fois, de se comporter à la fois comme interviewé et comme intervieweur en réduisant le journaliste au statut de témoin. Sur un plateau de télévision, Nicolas Sarkozy fait tout : il annonce, il commente, il anticipe l’objection. En un mot, il « anime » le débat comme le ferait un présentateur de talkshow. De ce fait, il est astreint à la même contrainte que l’animateur de télévision : il lui faut non seulement réagir à l’actualité, mais donner l’impression qu’elle s’organise autour de lui. En ce sens, il est à la fois son propre scénariste, son metteur en scène et le principal acteur de la séquence politique qui dure le temps du mandat pour lequel il a été élu. C’est tout l’art du storytelling pratiqué aux États-Unis depuis Bill Clinton qui se traduit par la priorité accordée au récit plutôt qu’aux idées – à des histoires où se mêlent de plus en plus fréquemment le privé et le public. Lorsque le logo ne suffit plus, il faut raconter des histoires, s’inscrire dans une durée politique que l’on maîtrise. Cette mise en récit relève-t-elle encore de la politique alors qu’elle n’a de cesse de se soustraire à l’indétermination démocratique qui est sa hantise20 ?
Contrairement à ce que l’on pourrait croire, il n’est pas si simple, pour l’animateur, de parler de ce dont « tout le monde parle21 ». Cela suppose une capture permanente de l’événement ou plutôt du fait divers tant il est vrai que le sens de ce qui se produit est surdéterminé par les retombées médiatiques que l’on peut en attendre. Il n’est pas nécessaire d’insister sur l’usage politique des affaires pénales, orchestré par le nouveau pouvoir22. Dans le meilleur des cas, le politique-animateur ne se contente pas de commenter le fait divers (ou de légiférer à partir de lui), il y participe, comme dans les prises d’otages de la maternelle de Neuilly. La boucle télévisuelle est bouclée lorsque le drame devient un « docu-fiction » (Human Bomb sur France 2) où l’on s’étonne à peine de voir un acteur jouer le rôle du futur président en pleine négociation (« passez-moi le petit noir »). Aussi loin qu’on s’en souvienne, Nicolas Sarkozy a toujours été à l’écran.
La mutation des modèles d’excellence
Entreprendre, entraîner, animer : ces trois impératifs du sarkozysme dessinent les contours d’une conception singulière de la réussite. L’égalitarisme en est le postulat : dans l’univers médiatique, tout le monde est susceptible de connaître son quart d’heure de célébrité. Mais, dispositions génétiques mises à part, cette égalité est donnée à l’origine et ne figure pas au rang d’horizon politique. S’il arrive à l’État d’intervenir (comme à l’occasion de certaines délocalisations), cette intervention n’est jamais théorisée, encore moins inscrite dans une procédure. Elle est laissée à l’arbitraire de l’exécutif qui juge de son opportunité en fonction de son impact médiatique. En ce sens, le sarkozysme ne fait que reprendre la thèse centrale du néolibéralisme : la société assure elle-même sa propre synthèse. De ce fait, l’ordre de « ce qui est » rejoint presque naturellement l’ordre de « ce qui doit être » : le vainqueur gagne parce qu’il a eu raison. À l’animateur ou à l’entrepreneur, on ne demande pas ses titres, mais seulement des résultats (Sarkozy entretient des rapports conflictuels avec les patrons issus de l’Ena auxquels il reproche leur « frilosité », mais il rêve de faire revenir dans le public des hauts fonctionnaires passés par le privé, à l’image d’Éric Woerth, l’homme de Bercy, qui est passé par le cabinet d’Arthur Andersen23). En voulant les « meilleurs » en toute chose, et sans égard aux appartenances idéologiques, le politique se contente de promouvoir ceux que la société a déjà distingués. L’ouverture s’adresse aux gagnants et à ceux qui sont remarquables d’avoir déjà été remarqués.
Il est pourtant un domaine où le sarkozysme s’autorise une entorse de taille au dogme de l’autorégulation : la politique sécuritaire. Dès lors qu’il s’agit de la sécurité des biens et des personnes, la méfiance traditionnelle du libéralisme à l’égard du gouvernement disparaît. À ce moment critique, l’animateur se rappelle que, même en démocratie, il faut un chef qui substitue l’autorité à la proximité. Le « libéralisme autoritaire », si caractéristique de l’époque actuelle, atteint des sommets avec le nouveau pouvoir où il ne cache plus sa contradiction : ainsi, le délinquant sexuel est-il jugé suffisamment responsable pour effectuer sa peine de prison jusqu’à son dernier jour, et suffisamment aliéné pour terminer sa vie à l’asile. L’opinion publique désabusée attend la réhabilitation du politique sur le terrain sécuritaire et c’est là que le pouvoir, qui a par ailleurs renoncé à transformer la société, retrouve tous les attributs du démiurge24.
Ce mélange d’autorégulation économique et de souverainisme sécuritaire manifeste peut-être la prétention centrale du sarkozysme : réconcilier le marché avec le peuple, et cela sans passer par la médiation d’élites technocratiques disqualifiées. C’est le côté fédérateur du président : la sécurité constitue le dernier idéal capable de transcender une société éclatée en réseaux. À la rationalité présumée du marché répond donc l’irrationalité entretenue du peuple, d’où ce sentiment permanent de crise, si peu conciliable avec la société libérale. La politique sécuritaire est ici particulièrement révélatrice puisque, dans ce domaine, le postulat selon lequel la réussite est toujours possible s’augmente de la conviction que l’échec n’est jamais complètement immérité. Le « multirécidiviste » y fait figure de perdant irrécupérable.
Le sarkozysme est donc indissociablement une promotion de la réussite et une idée de la défaite. La première épouse une mutation profonde des modèles d’excellence jusqu’ici à l’œuvre dans la société française. Là encore, la chose n’est pas nouvelle : la symbolique de l’entrepreneur explique l’attractivité des écoles de commerce, au détriment des écoles d’ingénieurs et pour ne rien dire des filières littéraires25. Rappelons-nous Neuilly : c’est dans les terres de l’ouest et du sud parisien (en première ou deuxième couronne) que les écoles de commerce en tous genres ont essaimé. Les possibilités d’accéder à des postes de responsabilité en entreprise sans passer par des parcours élitistes se multiplient. Si Ginette, la préparation jésuite en tête des classements, se trouve à Versailles, la création de l’université de Paris Dauphine en bordure du bois de Boulogne inaugure, à la fin des années 1960, un enseignement universitaire ouvert aux futurs cadres d’entreprises et aux professions bancaires.
Les salaires sont pour beaucoup dans cette évolution, l’image sociale de ce qu’est l’élite aussi. Si la réussite devient un attribut de l’individu solitaire, le prestige des grandes écoles traditionnelles s’en trouve affecté. Certes, il s’en faut que la haute fonction publique soit absente des cabinets ministériels, ou même de l’Élysée. Au contraire, la pratique du « rétropantouflage » (le retour au public d’énarques partis dans le privé) est encouragée26 : elle permet d’introduire la culture du résultat dans l’administration, tout en privilégiant les itinéraires sur les statuts. Ajoutons à cela la conscience de « participer à une aventure hors du commun27 », et voilà réunis le goût d’entreprendre et l’esprit d’équipe.
Le sarkozysme est donc une méritocratie, mais une méritocratie pour ainsi dire déformalisée, libérée des carcans symboliques de la réussite d’État. D’où un rapport instable à l’institution, plus souvent conçue comme un obstacle à l’épanouissement personnel que comme un moyen de socialisation égalitaire. Il est vrai que le diagnostic sur la consanguinité des élites est aujourd’hui largement répandu et qu’il n’y a rien à redire aux efforts pour rendre plus souples les procédures d’accueil de la diversité sociale à l’intérieur des grandes écoles. Concernant la démocratisation du prestige, il n’est pas hasardeux que Sciences Po ait servi de laboratoire, cet institut a dès l’origine entretenu un rapport polémique avec les écoles de la haute fonction publique (Ena, Polytechnique), trop souvent tentées par la réaction nobiliaire.
Le succès de Sciences Po s’explique par bien des facteurs et il n’est pas spécialement associé à la droite. Marc Lambron a fait une description acide de la formation des dirigeants socialistes actuels rue Saint-Guillaume dans les années 1970. Passé par l’Institut d’études politiques, le futur cadre du PS est décrit comme
remarquablement indemne de références historiques, peu porté sur les illusions lyriques, il ne se souvient ni des marins de Cronstadt ni du congrès de Tours, mais aspire aux hautes fonctions, s’épanouit un temps dans l’ombre d’un grand politique (c’est le côté respectueux), avant de songer à le devenir lui-même (c’est le côté impérieux28).
Sont visés dans le modèle Sciences Po l’insistance sur le contemporain, l’oubli de l’Histoire, à travers lui, le refoulement des idéologies, ainsi que la claire conscience d’appartenir à la sphère restreinte des décideurs de demain.
Mais nous n’en sommes plus à l’époque où le destin des meilleurs à Sciences Po était nécessairement d’intégrer l’Ena29. La force de cette école (au moins dans sa branche parisienne) est d’avoir diversifié les formations : de la théorie politique jusqu’au droit, en passant par le journalisme, le marketing et l’urbanisme30. L’Iep est à bien des égards devenue une « école totale » qui privilégie la diversité aussi bien à l’entrée que dans les débouchés31. C’est probablement de ce point de vue que cette école est dans « l’air du temps » : contrairement à ses pairs, l’étudiant de Sciences Po ne cède pas à la spécialisation, mais privilégie la polyvalence de l’homme cultivé. Dans sa Lettre aux éducateurs, le nouveau président a récemment fait l’éloge de la « culture générale », qui est présentée comme la garante d’une certaine mobilité sociale32. Il s’agit d’ailleurs d’une lettre aux « éducateurs » et non aux enseignants ou aux professeurs. Pour le président, le pédagogue « c’est le père, la mère, le professeur, le juge, le policier, l’éducateur social », bref « nous tous » puisque, ici aussi, la spécialisation des « métiers » est un obstacle à la réussite. L’idée sous-jacente à la promotion de la culture générale est celle de la sophistique grecque : le savoir spécialisé isole, l’opinion documentée rassemble. De ce point de vue, ce discours est incontestablement démocratique et il s’oppose, au moins formellement, à l’idée d’une compétence politique figée dans des statuts et personnifiée dans des castes.
Savoir gagner et ne surtout pas perdre
C’est pourquoi, plus que d’un « modèle » de réussite, il convient de parler d’un imaginaire de la performance : la formation de l’individu dépend autant de lui-même que des procédures symboliques de la sélection sociale. Il revient à l’étudiant, et à l’institution qui l’accueille, de faire le tri entre les compétences utiles et les savoirs désuets. La critique qui vient immédiatement à l’esprit est celle du « parvenu » qui tire d’autant plus gloire de sa réussite qu’elle n’a pas emprunté les voies traditionnelles de l’excellence. Il faut reconnaître que cette critique a beaucoup perdu de sa pertinence sociale, en raison de l’échec démocratique des voies républicaines de sélection. De l’extrême gauche à la droite, le thème de la « reproduction des élites » s’est imposé pour des raisons qui n’empruntent pas seulement à l’idéologie, mais sont attestées par la statistique. C’est plutôt l’importation de cet imaginaire social de la réussite à la sphère politique qui est sujette à caution33.
Mais ce n’est pas le type de réussite sociale promu par le sarkozysme qui est le plus discutable, plutôt la conception de l’échec qui en découle. On l’a dit, le nouveau président ne condamne pas l’échec comme possibilité humaine, il en fait même un passage obligé de la réussite future. Souvenons-nous du discours d’intronisation du candidat à la porte de Versailles :
J’ai changé parce que les épreuves de la vie m’ont changé […]. J’ai connu l’échec et j’ai dû le surmonter […]. Aujourd’hui j’ai compris que ce sont les faiblesses, les peines, les échecs qui rendent plus forts.
Celui qui a réussi peut s’offrir le luxe d’une référence à Nietzsche : on entend tous les jours que « ce qui ne tue pas rend plus fort ». Mais c’est depuis un présent glorieux que l’échec du passé est reversé à la légende. Pour celui qui échoue actuellement, les voies de la rédemption sont étroites.
À cela, il y a une raison de fond : comme le gagnant, le perdant du sarkozysme n’est peut-être jamais définitif, mais il est toujours légitime. Celui qui n’a pas les moyens d’entreprendre ou d’animer fait scandale dans un univers égalitaire où les mêmes chances sont données à l’origine, que l’on vienne de Neuilly ou d’ailleurs. Le perdant par excellence, c’est le « multirécidiviste », dont il a déjà été question, le chômeur longue durée ou l’immigré qui échoue dans ses tentatives d’intégration, par exemple parce qu’il ne maîtrise pas la langue française. Ce dernier est invité à souscrire à l’alternative suivante : « La France, tu l’aimes ou tu la quittes. » Le sarkozysme, c’est, sans mauvais jeu de mots, l’oubli du tiers exclu : entre la réussite sûre de son droit et l’échec mérité, il n’y a pas de place pour la complexité des parcours et la pesanteur des structures sociales.
Margaret Thatcher avait coutume de dire que « la société, ça n’existe pas », laissant entendre qu’il n’y avait rien entre les individus qui calculent et l’État qui fonde son action sur leur comportement rationnel. Le sarkozysme est l’héritier de cette occultation des corps intermédiaires dont la télévision, qui instaure un face-à-face entre le dirigeant et le peuple, est le meilleur instrument. On n’y montre que les extrêmes, les paumés, les victimes, les cassés ou ceux qui ont réussi on ne sait pas trop pourquoi, les people. Dès lors, le thème de la justice, central dans toutes les théories classiques du libéralisme, est quasiment absent des discours du nouveau président. Il y a, bien sûr, des injustices, mais elles sont pénales plus que sociales : la « victime » est l’individu à qui l’on ne peut faire grief de ne pas avoir intégré dans son calcul le fait d’être assassiné en pleine rue. Mais l’idée que l’on puisse échouer autrement que par erreur n’appartient pas à une rhétorique où la performance est la reine des vertus et où le calcul fait office de sagesse.
Sans doute, ce modèle de réussite correspond-il assez bien à l’« aventurier » d’Ancien Régime qui expérimente sa liberté dans les marges d’une société d’ordres. Pour l’aventurier, il est valorisant de se servir des contraintes de la tradition en les subvertissant à son profit. Mais il est plus difficile d’être un rebelle individualiste dans une société où les ordres sont affaiblis et où triomphe déjà la désaffiliation. En d’autres termes, l’impératif d’autonomie est vide lorsqu’il s’adresse à des individus démunis qui sont légitimement désireux de se rattacher à des cadres sociaux plutôt que de les contourner. L’« individualisme négatif » dont parle Robert Castel perd de sa superbe lorsqu’il interpelle « des individus qui de la liberté connaissent surtout le manque d’attaches, et de l’autonomie l’absence de supports34 ».
Le danger de la désinstitutionnalisation des parcours est donc qu’il fait des perdants légitimes parce que responsables de leur échec. Répétons-le, Nicolas Sarkozy n’a rien inventé « par lui-même » de cet imaginaire de la performance dont la conséquence la plus négative affecte les individus à qui la société n’offre pas l’opportunité de maximiser leur profit. Tout était déjà réuni dans les figures de l’entrepreneur rationnel et de l’animateur désinvolte dont le sarkozysme produit une synthèse étonnante. Tout au plus le nouveau président incarne-t-il l’adaptation des pratiques politiques à cette conception extrêmement contraignante de la réussite.
*
Une conception de la réussite, même habilement mise en scène, fait-elle une politique ? Oui si l’on suggère par là que le sarkozysme nous rappelle que le pouvoir est une dimension centrale de l’action politique. Mais cette rhétorique ne doit pas être abordée exclusivement à partir de ce qu’elle valorise, il faut aussi interroger ce qu’elle occulte. Qu’ils soient favorables ou non au nouveau président, c’est une erreur de bien des analystes que d’en rester au commentaire du discours sarkozyste, de participer de cette perpétuelle saturation, sans interroger ses non-dits. Or l’impensé du sarkozysme, c’est précisément cette figure du « perdant » renvoyé à la légitimité de son échec.
Pour le dire d’une formule, le sarkozysme est dénué de sens social. Cela ne signifie pas seulement qu’il est indifférent à la « question sociale » ou aux inégalités, mais qu’il est aveugle à ce qu’est l’action humaine dans un contexte social. Il y a dans l’imaginaire de la performance que nous avons décrit une forme de cynisme à l’endroit du sens de l’action, ce que Max Weber dénonçait déjà comme « un sentiment qui n’a pas la moindre affinité avec le savoir du tragique en lequel toute action est engagée, et avant tout l’action politique35 ». Avant de conclure des chiffres de la participation électorale ou des audiences télé à une « repolitisation » de la France, il faudrait se demander quelle image de l’action politique est mise en scène ici. Or il nous semble clair que, sous couvert de rejeter la « fatalité », c’est l’idée qu’il puisse y avoir des ratés dans l’existence, des désaccords entre les intentions des individus et le résultat de leurs actions qui est refoulée dans le sarkozysme.
Une conscience, même minime, du tragique de l’action rend douteuse la réduction de l’individu à la somme de ses actes : glorieux s’il réussit, misérable s’il échoue. Appelons « prudence » cette sagesse négative qui se fonde sur le sens du tragique de l’action et constatons que le sarkozysme manque singulièrement de prudence. On l’a vu, il postule qu’il n’y a rien entre les volontés du sujet et les opportunités que lui offre la vie, c’est-à-dire qu’il n’y a rien de social qui fonctionne comme tremplin ou, au contraire, comme obstacle. Cet oubli du social, et avec lui du sens de l’institution, est un oubli de tout ce qui explique (et justifie) que l’on ne joue pas le même jeu à Neuilly et ailleurs.
- 1.
On ne trouvera pas plus de cohérence dans les discours du président, même les plus controversés. L’allocution de Dakar qui, dans des termes quasi hégéliens, reproche à l’« homme africain » de ne pas être entré dans l’Histoire, stigmatise aussi le « colonisateur » qui « a dépouillé le colonisé de sa personnalité, de sa liberté, de sa terre, du fruit de son travail », voir l’article de Jean-Pierre Chrétien dans ce numéro.
- 2.
Si Nicolas Sarkozy a trahi Charles Pasqua au moment de la prise de la mairie de Neuilly en 1983, il a également trahi Chirac durant les années 1993-1995 (qui précèdent la traversée du désert) quand il a opté pour le Premier ministre de l’époque, Édouard Balladur avec un autre Nicolas (Nicolas Bazire). À l’époque il multipliait déjà les commissions et rapports en tous genres pour inviter les chiraquiens à rejoindre les balladuriens. Voir Ghislaine Otteinheimer, les Deux Nicolas. La machine Balladur, Paris, Plon, 1994.
- 3.
Propos tenus par Nicolas Sarkozy à l’occasion de l’intronisation de David Martinon, porteparole très loquace de l’Élysée, comme futur candidat de l’Ump à la mairie de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) le dimanche 30 septembre 2007. Martinon a été imposé (entre autres par les Balkany, un couple emblématique des Hauts-de-Seine) contre Arnaud Teullé, actuel adjoint au maire de Neuilly et chargé à l’Élysée des dossiers sensibles (ce qui comprend Neuilly et les Hauts-de-Seine) en raison, paraît-il, de son manque d’envergure.
- 4.
Les biographies étant innombrables, on signalera l’une des plus récentes et les moins hagiographiques, Ghislaine Otteinheimer, le Sacre de Nicolas, Paris, Le Seuil, 2007.
- 5.
Dans l’ouvrage de Yasmina Reza qui lui est consacré, l’Aube le soir ou la nuit, Paris, Flammarion, 2007, Sarkozy laisse entendre – mais pour lui ce livre est un roman, à la différence de sa vie qui n’est pas un roman – que s’il vivait à Maubeuge il en serait devenu le roi en quelques années. Ce qui n’a guère été apprécié par les habitants de cette ville. Mais le président n’a guère de passion pour la France des provinces et des hôtels de la gare puisqu’il n’a quasiment jamais dormi en province lors de la campagne présidentielle. Retour tous les soirs en jet au bercail parisien ! Le rapport à l’espace du président est analogue à son corps : un mouvement permanent qui empêche de s’arrêter ailleurs que dans des lieux de vacances qui sont autant de lieux de transit.
- 6.
Voir l’article d’Adam Gopnik dans le New Yorker, “The Human Bomb, the Sarkozy Regim Begins”, 27 août 2007.
- 7.
Il n’est pas indifférent que Sarkozy ait noué des liens avec le monde politique corse pour diverses raisons. Le maire de Neuilly auquel il succède est un Corse, Charles Pasqua est corse, et Nicolas Sarkozy épouse en premières noces une nièce d’Achille Peretti, l’ancien maire de Neuilly. D’où une connaissance précise de la Corse et de la région de Vico qui n’empêchera pas l’échec du référendum sur la Corse. Voir l’article documenté de Jacques Follorou dans Le Monde du 5 juillet 2007.
- 8.
Dans les Ghettos du gotha. Comment la bourgeoisie défend ses espaces que Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot viennent de publier au Seuil, les deux chapitres consacrés à Neuilly fourmillent d’informations (p. 73-96 et p. 216-218). En rappelant que François Furet affirmait que les Américains sont des capitalistes et non pas des bourgeois, et les Français des bourgeois et non pas des capitalistes, on insistera une fois de plus sur le fait que la France ne connaît pas ses bourgeoisies ! Tout un monde est bunkérisé, invisible, impénétrable, ignoré des sociologues… Il suffit d’emprunter la rue Raynouard depuis le métro Passy (Édouard Balladur n’habite pas loin) à la maison de la radio pour comprendre ce que cela signifie ! Il n’y a pas que des bobos à Paris !
- 9.
Selon Bernard Aimé, directeur de l’urbanisme de la ville de Neuilly, « Nicolas Sarkozy a cherché à renforcer le sentiment, qui doit habiter chaque Neuilléen, de partager un même environnement par le classement des villas et des voies privées, et celui des hôtels et immeubles remarquables, et par la création d’espaces boisés classés qui représentent 14 hectares, soit 4 % du territoire communal », dans M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot, les Ghettos du gotha, op. cit., p. 218.
- 10.
M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot, les Ghettos du gotha, op. cit., p. 74.
- 11.
Dans son discours d’inauguration de la cité de l’architecture et du patrimoine de Chaillot, il ne cite que deux architectes, le roi des « machines célibataires » décontextualisées (Jean Nouvel et son palais philharmonique de la Villette) et Tom Mayne, l’architecte qui a remporté le concours concernant la tour qui doit être construite à la Défense, pas loin de Neuilly. Pour Sarkozy, le débat tour ou pas tour n’a pas de sens !
- 12.
Voir l’article de Paul Thibaud publié au moment de l’inauguration de la grande Arche, « Cité pleine de rêve. Paris et l’Arche de la Défense », Esprit, juillet-août 1989.
- 13.
C’est la thèse présentée par l’essayiste italien Giovanni Macchia dans Paris en ruines, Paris, Flammarion.
- 14.
M. Pinçon et M. Pinçon-Charlot, les Ghettos du gotha, op. cit., p. 88.
- 15.
« L’établissement public d’aménagement de la Défense ayant fini d’aménager, il a cédé la place à un établissement public de gestion du quartier de La Défense » qui a, au regard de loi votée, un statut dérogatoire. Ce qui dispense l’établissement public d’une demande d’agrément pour les 300 000 m2 supplémentaires de bureaux prévus. Voir les Ghettos du gotha, op. cit., p. 89.
- 16.
Voir, par exemple, Christian Laval, l’Homme économique. Essai sur les racines du néolibéralisme, Paris, Gallimard, 2007, p. 325-338.
- 17.
Voir le classique d’Alain Ehrenberg, le Culte de la performance, Paris, Hachette, coll. « Pluriel », 1991.
- 18.
François Ewald et Denis Kessler, « Les noces du risque et de la politique », Le Débat, n° 109, mars-avril 2000.
- 19.
Le président joue en permanence de l’effet d’annonce, anticipe sur l’actualité et se comporte de manière à relancer constamment la machine à communiquer, ce qui interdit aux journalistes d’avoir le temps de prendre la distance nécessaire à la critique autre qu’ironique. Voir l’article de Marc-Olivier Padis dans ce numéro.
- 20.
Voir le livre de Christian Salmon, Storytelling. La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Paris, La Découverte, 2007.
- 21.
« Tout le monde en parle » était le titre du défunt talk-show de Thierry Ardisson.
- 22.
Voir l’article d’Antoine Garapon et Denis Salas dans ce numéro, p. 74-82.
- 23.
Voir « Avec les énarques, méfiance, méfiance », Le Monde, 31 août 2007.
- 24.
L’idée d’un Sarkozy « rassembleur » est pour beaucoup dans le rapprochement, via Henri Guaino (le scribe qui joue un rôle majeur depuis le discours de Nîmes en 2006), entre le nouveau président et certains républicains qui proclament haut et fort l’Unité de la Nation. Mais cette alliance, nouée à la faveur de la demande populaire de sécurité, pourrait s’avérer fragile tant il manque au sarkozysme une croyance bien établie dans les vertus de la volonté générale et une adhésion à la mystique de la loi.
- 25.
Sur le modèle des écoles de commerce, voir Antoine Jacques, « Hec, la réussite insouciante », Esprit, octobre 2006, p. 75-89.
- 26.
Voir « L’État séduit à nouveau les hauts fonctionnaires partis dans le privé », Le Monde, 4 septembre 2007.
- 27.
Ibid.
- 28.
Marc Lambron, « Anatomie d’une chimère » (la « chimère » est Ségolène Royal), Revue des deux mondes, septembre 2007, p. 55.
- 29.
Pour une défense argumentée de l’énarchie, voir Jean-François Kesler, le Pire des systèmes… à l’exception de tous les autres. De l’énarchie, de la noblesse d’État et de la reproduction sociale, Paris, Albin Michel, 2007.
- 30.
Voir Richard Descoings, Sciences Po. De la Courneuve à Shanghai, Paris, Presses de Sciences Po, 2007 ; voir aussi Pierre Veltz, Faut-il sauver les grandes écoles ? De la culture de la sélection à la culture de l’innovation, Paris, Presses de Sciences Po, 2007 ; et l’article d’Olivier Mongin consacré à ce dernier ouvrage, dans Esprit, août-septembre 2007, p. 6-16.
- 31.
Sciences Po se présente comme une institution de connexion universitaire, un hub de l’enseignement supérieur.
- 32.
« Affirmer l’importance de la culture générale dans l’éducation où elle a tant reculé au profit d’une spécialisation souvent excessive et trop précoce, c’est affirmer tout simplement que le savant, l’ingénieur, le technicien ne doit pas être inculte en littérature, en art, en philosophie et que l’écrivain, l’artiste, le philosophe ne doit pas être inculte en science, en technique, en mathématiques », Nicolas Sarkozy, Lettre aux éducateurs.
- 33.
Dans la figure du « parvenu », Max Weber voyait déjà une « vanité » qui réunit l’absence de cause et l’absence de responsabilité, ces « deux péchés mortels dans le domaine de la politique ». La vanité est définie comme « le besoin d’occuper la scène de la manière la plus visible possible » (Max Weber, le Savant et le politique, Paris, La Découverte, 2003, p. 184).
- 34.
Robert Castel, les Métamorphoses de la question sociale, Paris, Gallimard, 1995, p. 754.
- 35.
Max Weber, le Savant et le politique, op. cit., p. 185.