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Photo : Frederic Köberl
Photo : Frederic Köberl
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Pour une véritable citoyenneté européenne

Aujourd’hui dans l’Union Européenne, est citoyen européen quiconque est citoyen d’un pays membre de l’Union. Pourtant l’Union aurait tout à gagner à construire une citoyenneté à part entière, plus large que la citoyenneté des pays membres, faite de droits et de devoirs « européens ».

Dans son allocution à la Sorbonne le 26 septembre 2017 comme dans son discours devant le Parlement européen le 17 avril 2018, Emmanuel Macron a appelé au renouveau de la politique européenne et à défendre la souveraineté de l’Europe. Au travers des exemples cités dans ses déclarations, relatifs à la défense, à la sécurité, au contrôle des migrations, à l’économie numérique ou au changement climatique, on comprend ce que le chef de l’État entend par souveraineté : une maîtrise, une autonomie et un rayonnement permettant à l’Europe et à ses peuples de faire face aux grandes migrations, à l’insécurité planétaire, aux transformations économiques, sociales et environnementales. Cette souveraineté – politique, économique, commerciale, climatique, énergétique, sanitaire et alimentaire, numérique, sociale – donnerait plus de contrôle sur une situation qui dépasse les frontières physiques, culturelles et politiques des États membres ; elle impliquerait un déplacement de ce contrôle vers les frontières extérieures de l’Union.

La souveraineté à retrouver ou à fonder ne serait pas « la dilution de nos propres souverainetés » mais « une souveraineté plus forte que la nôtre, complémentaire et pas de substitution ». Il s’agit donc de construire une souveraineté de l’Union européenne, en tant qu’entité distincte des États membres. Mais pour qu’une telle souveraineté existe, trois conditions sont nécessaires.

La première est l’existence de « frontières sûres et reconnues ». Entendons par là non pas des limites physiques bien établies et admises par la communauté internationale, mais des frontières politiques, économiques et sociales solides permettant de délimiter une Europe unie dans une communauté d’idéaux démocratiques, une économie de marché intégrée, une réalité de solidarité et de progrès social.

La seconde condition est la constitution d’organes pouvant à la fois incarner et traduire la souveraineté, ce qui implique dans un ensemble démocratique deux conditions principales : un exécutif fort et un parlement doté de véritables pouvoirs de législation et de contrôle. Si de grands progrès ont été faits dans ce domaine en Europe, ils sont à l’évidence encore insuffisants.

Une troisième condition est encore plus difficile à remplir. En effet, le concept de souveraineté renvoie en miroir, dans une démocratie, au «  souverain  » ultime, c’est-à-dire au peuple souverain. Et pour que le peuple européen soit souverain, encore ­faudrait-­il qu’il existe, c’est-à-dire que la citoyenneté européenne soit définie en propre et positivement, ce qui n’est pas encore le cas.

Des citoyennetés imbriquées

Aujourd’hui la citoyenneté européenne (la « citoyenneté de l’Union européenne » selon la Charte des droits fondamentaux, consacrée par le Traité de Nice de 2001 et rendue juridiquement contraignante par le Traité de Lisbonne de 2007) n’a pas d’existence spécifique hors des États membres : est citoyen européen tout citoyen d’un État membre dont il a la nationalité. C’est donc, en quelque sorte, une citoyenneté «  plafond  », qui s’ajoute automatiquement à la citoyenneté nationale en offrant quelques rares droits spécifiques.

Pour créer véritablement une citoyenneté européenne, il faut la poser non pas comme une citoyenneté «  plafond  », mais comme une citoyenneté «  plancher  », c’est-à-dire comme un corpus de droits et de devoirs politiques qui s’appliquent à une catégorie d’habitants d’Europe, catégorie bien définie comprenant certes les nationaux des États membres mais pas nécessairement limitée à ces nationaux.

Les nationaux des États membres seraient, en effet, toujours citoyens européens de droit, mais d’autres catégories pourraient avoir accès à la citoyenneté européenne à raison de leurs liens spécifiques et étroits, objectifs et subjectifs, avec l’Europe.

En premier lieu, le droit du sol et le droit du sang pourraient s’appliquer à la citoyenneté européenne. Par exemple, tous les enfants nés en Europe, même dans les États membres où le droit du sol ne s’applique pas, seraient citoyens européens de naissance et jusqu’à leur majorité au moins, une faculté de «  répudiation  » leur étant acquise alors. De même, tous les enfants nés à l’étranger d’un citoyen européen, et seulement ceux-là, pourraient devenir citoyens européens, ce qui encadrerait les règles du regroupement familial.

En deuxième lieu, certaines situations locales inextricables, comme celle des russophones de Lettonie, qui ne sont aujourd’hui ni Russes ni Lettons, ou des ressortissants britanniques résidant dans les pays de l’Union après le Brexit, pourraient évoluer grâce à la citoyenneté européenne. Aujourd’hui, de nombreux Britanniques demandent la nationalité dans différents États membres : pour continuer à résider au sein de l’Union européenne, bien plus que par désir d’appartenir à la communauté nationale de ces États. L’acquisition de la citoyenneté européenne serait la meilleure réponse, tant pour eux-mêmes que pour les États membres.

En troisième lieu, le statut des réfugiés et des migrants pourrait comprendre une évolution vers la citoyenneté européenne, considérée comme sas d’intégration, en attendant, le cas échéant, l’acquisition plus lointaine et plus complexe de la nationalité d’un État membre, synonyme d’assimilation.

On pourrait ainsi imaginer que la future «  Agence de l’Union européenne pour l’asile  » puisse octroyer la citoyenneté européenne à ceux qui relèvent de sa protection et sous la seule réserve du veto des États membres. On peut en outre imaginer que la Commission européenne puisse également accorder la citoyenneté européenne à des migrants économiques demandant à résider sur le territoire d’un des États membres, cet octroi s’effectuant sur la base d’un quota défini chaque année, éventuellement sectorisé par catégories professionnelles. Le slogan quelque peu vide de contenu d’une « Europe qui protège » trouverait ici une manifestation concrète.

Qu’est-ce
qu’un Européen ?

Les droits européens octroyés à ces Européens non nationaux d’un État membre seraient identiques aux droits européens des nationaux des États membres : libre circulation en Europe, libre établissement dans les mêmes limites que pour les nationaux, possession d’un passeport estampillé Union européenne, bénéfice de la protection consulaire des États membres à l’extérieur de l’Union, droit de vote aux élections municipales et européennes, accès aux politiques européennes telles que la Pac ou le programme Erasmus, d’une manière générale jouissance de tous les droits réservés aux « citoyens de l’Union » par la Charte des droits fondamentaux.

Les droits ne vont pas cependant sans devoirs. Aujourd’hui, les devoirs spécifiques liés à la citoyenneté de l’Union européenne sont inexistants, puisqu’elle est acquise d’office du seul fait de la détention de la nationalité d’un des États membres, et bien souvent les citoyens nationaux ignorent tout ou presque de cette citoyenneté additionnelle. Mais pour les nouveaux entrants adultes non nationaux, des tests d’admission devraient être prévus : au moins la connaissance élémentaire à l’écrit et à l’oral d’une langue de l’Union, l’engagement de fidélité aux idéaux démocratiques européens, l’abandon de la nationalité d’origine lorsqu’il est possible ou, sinon, l’engagement de ne pas se comporter en national de l’autre pays, notamment par l’usage d’un passe­­port ou l’exercice d’une fonction publique dans l’autre pays.

Le devoir
de contribution fiscale et le devoir de défendre la «  patrie  » européenne deviendraient
des contreparties
des droits européens.

Par ailleurs, si demain un impôt européen spécifique et surtout une armée européenne devaient voir le jour, le devoir de contribution fiscale et le devoir de défendre la «  patrie  » européenne deviendraient des contreparties évidentes de l’octroi des droits européens.

Le peuple européen ainsi redéfini, composé des citoyens européens «  par nature  » et des citoyens européens «  par détermination de la loi  » (les différenciations juridiques entre eux se justifiant exclusivement par les différences objectives des situations), serait bien le véritable souverain. Les élections européennes permettraient l’expression de la volonté non pas seulement des nationaux des États membres, mais de l’ensemble de ce peuple européen uni par et dans ­«  l’euro­péanité  ». La représentativité du Parlement européen – donc la démocratie européenne – serait renforcée, et la souveraineté de l’Union européenne pourrait s’exercer sur une base solide.

La consécration d’une citoyenneté européenne ainsi conçue conduirait, à son tour, à engager une réflexion sur le fonctionnement de la démocratie européenne et à accélérer son avènement.

S’agit-il d’une utopie ? Dans l’immédiat peut-être, mais l’histoire même de l’Europe n’enseigne-t-elle pas qu’une part de rêve peut entrer dans le réel ? Les prochaines élections européennes pourraient, en tout état de cause, permettre de lancer le débat.

Philippe Cayla

Philippe Cayla a créé et préside l’association Européens Sans Frontières.

Noël Chahid-Nouraï

Avocat associé et directeur du département de droit public du bureau parisien du cabinet Orrick, Noël Chahid-Nouraï  est également président du Comité d’orientation stratégique de la European School of Law.

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