
Vague verte et débâcle d’En Marche
Les résultats du scrutin municipal sont-ils annonciateurs de tendances lourdes pour le cycle présidentiel qui est désormais sur le point de s’ouvrir ?
Le dernier scrutin municipal a été marqué, outre une abstention massive, par deux résultats politiques saillants : l’affirmation des écologistes dans les grandes métropoles et la déroute de La République en marche (LREM). Avant le séisme politique de 2017, les élections intermédiaires étaient analysées comme un test national permettant de mesurer les rapports de force politique entre deux élections présidentielles. Elles se manifestaient en général par le recul du pouvoir en place (l’élection municipale de 2014 entrait parfaitement dans ce schéma politique et interprétatif). Ce modèle est-il applicable aux élections de 2020 ? Les résultats du scrutin sont-ils annonciateurs de tendances lourdes pour le cycle présidentiel qui est désormais sur le point de s’ouvrir ? Rien n’est moins sûr. Engagés dans la lutte pour le leadership à gauche, les écologistes ont cherché à nationaliser les enseignements du scrutin au risque de les déformer. Ce qui est néanmoins frappant dans les dernières élections municipales, c’est la désarticulation entre les arènes politiques locales et nationales. Emmanuel Macron et Marine Le Pen restent favoris pour le second tour de l’élection présidentielle de 2022 (dans les premiers sondages, à prendre avec beaucoup de précautions), alors même que leurs mouvements n’ont qu’une implantation locale fragile, voire évanescente. Les victoires nationales ne semblent plus se construire localement, même si les dynamiques unitaires construites par le bas lors du scrutin municipal dessinent des perspectives de rassemblement intéressantes pour la gauche.
Que peuvent faire les écologistes ?
Les écologistes ont franchi un cap électoral significatif. Pour la première fois de leur histoire, ils sont en situation de responsabilité politique dans quelques grandes villes. Rappelons que huit maires écologistes ont été élus dans les quarante villes de plus de 100 000 habitants (Annecy, Besançon, Bordeaux, Grenoble, Lyon, Marseille, Strasbourg, Tours). C’est un phénomène inédit. Europe Écologie-Les Verts (EELV) est devenue la troisième force dans la strate des grandes villes de France, derrière Les Républicains (LR) et le Parti socialiste (PS), qui en détiennent respectivement quatorze et treize. Notons aussi que, dans la quasi-totalité des cas, les listes à direction EELV se sont imposées dans un contexte d’absence des sortants1. Pour autant, EELV semble avoir bénéficié d’une forme de dégagisme municipal et d’aspiration au renouvellement politique que les candidats de LREM n’ont pas su cette fois capter. Les nouveaux maires EELV sont souvent jeunes, non professionnels de la politique, même s’ils sont rarement novices.
Dans la perspective de l’échéance présidentielle, ces villes vertes pourraient constituer des laboratoires de la transition écologique (elles peuvent aussi démontrer les obstacles auxquels elle se heurte et la difficile acceptabilité sociale de l’écologisation des politiques publiques). Les édiles écologistes pourront aussi y démontrer leur capacité de gestion et leur crédibilité pour l’exercice de responsabilités nationales. Mais ce succès affecte surtout les rapports de force internes à la gauche. EELV a affirmé une première fois son leadership lors des élections européennes en mai 2019 (avec 13, 5 % des voix). Cette dynamique électorale est confirmée un an plus tard, d’autant plus que le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, évoque désormais la nécessité d’un « bloc » socialo-écologiste et envisage qu’il n’y ait pas de candidat socialiste à la prochaine élection présidentielle. L’une des leçons du scrutin est que des candidats écologistes peuvent mener efficacement des listes de rassemblement derrière leur bannière. L’alliance entre le PS et les écologistes a démontré localement son attractivité et son efficacité électorale (elle constitue une menace pour La France insoumise qui, mal implantée localement, a cherché à « enjamber » les élections municipales).
L’alliance entre le PS et les écologistes a démontré localement son attractivité et son efficacité électorale.
Cette victoire municipale est aussi un trompe-l’œil. Beaucoup d’analystes ont oublié en juin dernier qu’il y a eu un premier tour… et n’ont analysé que le second. Or, en mars, 30 000 maires ont été élus dès le premier tour (un record). Ces élections municipales sont marquées par une très forte stabilité du pouvoir local (en dépit des nombreuses alternances observées dans les métropoles au second tour). La droite a engrangé, dès mars, d’innombrables victoires. Au premier tour, sur les villes de plus de 9 000 habitants, plus de 56 % ont été gagnées par Les Républicains et leurs alliés. Par un effet de loupe politique et médiatique, l’attention s’est portée sur les grandes villes. Mais les métropoles ne sont pas la France (les fractures territoriales sont multiples). Il faut se garder pourtant de toute exégèse trop urbano-centrée. La poussée verte est incontestable, mais elle est encastrée dans une géographie et une sociologie singulières (assez proches de l’électorat LREM). Ce sont les électeurs urbains et diplômés qui ont voté majoritairement pour les candidats EELV. À gauche, le risque est grand de reconfigurer les rapports de force en fonction des enseignements de victoires très urbaines, dans un contexte de forte abstention et de désertion électorale des catégories populaires. Dans des villes à la sociologie aussi bourgeoise que Bordeaux ou Annecy, les candidats EELV n’ont pu être élus que grâce à l’appoint d’électeurs de LREM. Comment se comporteront-ils électoralement lors de la prochaine élection présidentielle ?
Les chances d’Emmanuel Macron sont-elles compromises ?
LREM a été largement désavouée alors même qu’une forme de macronisme municipal s’est imposée un peu partout. Elle n’a pas réussi à être audible sur le créneau de l’apolitisme gestionnaire (le « en même temps » de gauche et de droite) déjà préempté par les maires sortants. Ces derniers ont adopté une stratégie de dépolitisation en occultant les signes de leur appartenance partisane. Les marcheurs n’avaient pas d’espace politique. L’étiquette LREM était aussi un stigmate pour les candidats…
Après les élections européennes, les ambitions du parti présidentiel étaient fortes : garder Lyon et Strasbourg et conquérir Paris, Marseille ou Bordeaux. Aucun de ces objectifs n’a été tenu. Le terme de débâcle électorale n’est pas excessif. Yvon Berland à Marseille ne recueille que 1, 53 % des suffrages. Agnès Buzyn n’est même pas parvenue à être élu conseillère de Paris, alors que la liste LREM avait mobilisé un tiers des électeurs de la capitale aux européennes. Seuls les ministres en place ont conservé leur mairie (Le Havre, Tourcoing, Vernon). Le mouvement revendique au terme du scrutin 500 maires adhérents du mouvement et 10 000 conseillers municipaux (ce qui est peu pour un parti au pouvoir, alors qu’on recense 500 000 élus municipaux).
LREM a donc manqué l’étape de l’implantation locale, mais, ne l’oublions pas, ce mouvement, jeune et construit avant tout comme une entreprise présidentielle, n’était pas structuré pour affronter l’épreuve de l’ancrage territorial2. LREM a été créée pour porter les ambitions nationales d’un homme et a pris pour contre-modèle, dès son origine, les partis traditionnels, composés de notables (le PS constitue de ce point de vue un repoussoir). Le parti est très peu structuré localement et ne donne que peu de moyens à ses groupes locaux (il tente d’ailleurs d’amender actuellement ce fonctionnement par la mise en place d’un conseil territorial). La centralisation des investitures lors de ce scrutin, confiées à une commission nationale, a posé beaucoup de problèmes en favorisant la multiplication des dissidences (Paris, Lyon, Marseille…).
LREM a manqué l’étape de l’implantation locale.
Ce n’est pas sur le terrain local que le président de la République cherche à obtenir sa réélection, même si les élections intermédiaires constituent dans cette marche une épreuve à franchir (d’où ses velléités de reporter le scrutin des élections régionales). Le mouvement du président de la République essuie une défaite cuisante mais, faute de sortants, le scrutin n’a pas vraiment activé un rejet du gouvernement en place. L’élection a été largement dénationalisée, ce qui a conféré une prime très forte aux maires en place. Emmanuel Macron avait d’ailleurs récusé tout enseignement national par avance en citant François Mitterrand : « Je prendrai les maires que les Français me donneront3. »
Il ne faut donc pas tirer trop d’enseignements nationaux de ce scrutin local, très particulier et marqué par une démobilisation électorale massive (l’élection présidentielle devient le seul scrutin où l’abstention est contenue). Le scrutin municipal confirme néanmoins le déplacement du centre de gravité à droite du mouvement présidentiel. LREM a investi 592 têtes de liste dans les villes de plus de 9 000 habitants, mais seules 289 de ces investitures ont échu à des marcheurs et plus d’une centaine de maires issus de la droite ont reçu le soutien du mouvement. Au second tour, quand les listes LREM ont fusionné, ce fut à 90 % avec la droite (Bordeaux, Lyon, Clermont-Ferrand, Tours…). Dans ces villes, LREM a participé à des « fronts anti-climat » qui risquent de l’éloigner d’électeurs modérés attachés aux préoccupations environnementales. Cette droitisation du discours et de l’électorat d’En marche peut constituer un handicap pour la prochaine élection présidentielle. Tout se passe comme si Emmanuel Macron faisait le pari qu’élu en 2017 essentiellement avec les électeurs de gauche, il serait réélu cinq ans plus tard avec ceux de droite… Le macronisme est plus que jamais fort des faiblesses de la gauche. Cette dernière saura-t-elle se rassembler, et derrière quel candidat ?
- 1.Voir Florent Gougou et Simon Persico, « Élections municipales : “Dans la quasi-totalité des cas, les listes à direction EELV se sont imposées en l’absence des maires sortants” », Le Monde, 3 juillet 2020.
- 2.Voir Bernard Dolez, Julien Fretel et Rémi Lefebvre (sous la dir. de), L’Entreprise Macron, Fontaine, Presses universitaires de Grenoble, 2019.
- 3.Voir Marion Mourgue et al., « Derrière les municipales, des enjeux politiques », Le Figaro, 26 février 2020.