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Crédits photo : Canva
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Les partis politiques : déliquescents et structurants

Les organisations partisanes sont dans un état de faiblesse historique. Considérées, y compris par leurs élus, comme des structures destinées à envoyer un candidat à la Présidence, elles n’assument plus leur rôle de corps intermédiaires, censés donner une traduction politique aux demandes de la société civile. La politique se (dé)compose désormais autour de personnalités misant sur leur capital individuel et médiatique.

Comme après chaque cycle électoral présidentiel et législatif, la plupart des partis politiques ont, ces derniers mois, renouvelé leur direction ou leurs règles de fonctionnement. Aux termes de leurs congrès et scrutins internes, un constat s’impose : les organisations partisanes apparaissent dans un état de faiblesse historique. Elles sont dépeuplées, anémiées, traversées de divisions profondes et incapables de faire face aux enjeux démocratiques et idéologiques qu’elles doivent relever. Les partis jeunes, à prétention mouvementiste, comme La France insoumise ou Renaissance (nouvelle appellation de La République en marche) ne se portent guère mieux que les « vieux » partis qu’ils voulaient supplanter. « Rien de neuf sous le soleil » pourraient prétendre les politistes : la crise du militantisme est ancienne et les partis ont toujours été en proie aux divisions. La tendance n’est pas nouvelle, mais la légitimité de la forme partisane est bien mise en question.

Vers des partis sans partisans ?

On est d’abord frappé par le niveau des effectifs militants dont l’étiage est historique. Un peu plus de 20 000 militants à peine ont participé au dernier vote au Parti socialiste (PS) – c’est 150 000 de moins qu’il y a dix ans. On dénombre 42 000 cotisants au début du processus du congrès communiste début 2023. Au dernier congrès d’Europe Écologie-Les Verts, la participation s’est élevée à 44, 24 % (5 625 votants pour un corps électoral de 12 648 adhérents). L’écologie est bien une grande idée mais… un tout petit parti. La base militante des insoumis, qui s’élargit quand Jean-Luc Mélenchon est candidat, s’étiole entre deux élections présidentielles (avec environ 20 000 militants actifs hors période électorale nationale, selon le chercheur Manuel Cervera-Marzal). La tendance est aussi nettement à la baisse à droite. Renaissance annonce 30 000 prises de carte depuis ses nouveaux statuts de septembre, ce qui est très faible pour un parti au pouvoir. Au deuxième tour de l’élection à la présidence des Républicains (LR) en décembre dernier, seuls 62 586 adhérents ont pris part au vote (sur 91 105 inscrits) et le journal Libération a montré dans une enquête approfondie que les fausses cartes demeurent une pratique enracinée dans le parti. Lors de son congrès de novembre 2022, le Rassemblement national revendique 40 000 adhérents et sa progression électorale souffre d’une implantation partisane toujours très faible.

Le nombre total de militants dans les partis ne dépasse ainsi guère au total les 200 000, soit 0, 4 % des inscrits sur les listes électorales ! On semble entrer dans l’ère des partis sans partisans. La faiblesse du militantisme rend par là même les partis incapables de mettre en mouvement la société ou d’en exprimer ou relayer les demandes sociales. De moins en moins en prise avec le monde syndical, intellectuel ou associatif, en dehors de leurs réseaux d’élus, les partis ne sont plus principalement que des machines électorales (aux performances incertaines) qui investissent d’autant moins dans la réflexion idéologique que l’électoralisme impose le pragmatisme. Le parti du président de la République n’a donné aucune consistance doctrinale au « macronisme » depuis 2017. Les débats de congrès au PS ont porté quasi exclusivement sur une question stratégique (le rapport à la Nouvelle Union populaire, écologique et socialiste [NUPES]) et ont négligé une réflexion d’ordre plus idéologique (quelle social-démocratie à l’heure du réchauffement climatique ? Quel positionnement idéologique au-delà de l’affirmation ressassée comme un mantra de la nécessaire « culture de gouvernement » et de responsabilité ?). Sauf à vouloir être élu, comment être attiré par les partis qui sont devenus principalement des entre-soi de professionnels de la politique, de collaborateurs, d’aspirants à l’élection ou de vieux fidèles ? Comme l’a montré le congrès chaotique du PS à Marseille, militants et cadres sont tenus et retenus par la haine et la détestation qu’ils se vouent mutuellement (la volonté de renverser à tout prix Olivier Faure a soudé partisans de François Hollande et proches d’Anne Hidalgo).

La démocratie interne en débat

Vidés de leurs forces militantes, la plupart des partis se recroquevillent sur leurs luttes internes qu’ils peinent à réguler et connaissent des problèmes de démocratie interne, jusqu’à devenir des machines incontrôlables. Les trotskistes du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) ont récemment renoué avec leur scissiparité en se fracturant en deux morceaux lors de leur cinquième congrès. Le PS, devenu un parti de second rang, s’est payé le luxe de donner le spectacle des pires congrès du temps de sa flamboyance (Rennes en 1990 ou Reims en 2008). C’est un grand classique socialiste : quand les scores sont serrés, on accuse le camp d’en face d’irrégularités et on conteste les résultats (la culture de la fraude persiste). Alors que le parti n’est plus que l’ombre de sa gloire passée, il semble inexorablement et maladivement dilapider le maigre capital politique qu’il lui reste. L’échec du quinquennat Hollande, les blessures de la dernière élection présidentielle, l’accord de la NUPES ont laissé des traces profondes et exacerbé les inimitiés et les frustrations. Le PS a disparu dans 500 circonscriptions aux dernières élections législatives. Cet effacement n’est pas accepté par une partie des militants, dans ce parti d’élus qui demeure habitué dans les territoires à être dominant à gauche. Olivier Faure a certes été conforté in fine à la faveur d’un compromis de dernière minute, comme premier secrétaire, mais il aura de grandes difficultés à asseoir sa légitimité et à redonner un nouvel élan à une « vieille maison », proche de la ruine. Les rivaux du premier secrétaire parlent d’« une direction collégiale », expression que récuse Olivier Faure. La lutte pour la présidence des Républicains a été moins destructrice, mais la capacité à diriger d’Éric Ciotti, qui l’emporte au deuxième tour face à Bruno Retailleau, est fragile. Pour ménager ses rivaux et les diverses factions du parti, le président des LR a constitué une direction pléthorique (plus de soixante-cinq noms) et peine à imposer une discipline de vote à ses députés lors du débat sur la réforme des retraites.

Les nouveaux partis qui sont avant tout des « partis personnels » au service d’un dirigeant (Jean-Luc Mélenchon ou Emmanuel Macron) ont surmonté un temps les difficultés démocratiques des partis politiques traditionnels en adoptant des règles très verticales1. Mais dès lors que leur direction perd de son évidence, ce fonctionnement est contesté, comme on le voit à La France insoumise. Alors que des incertitudes planent autour d’une hypothétique quatrième candidature à l’élection présidentielle de Jean-Luc Mélenchon, la direction de LFI, récemment nommée et cooptée autour de Manuel Bompard, se replie sur son entourage le plus proche. Des cadres anciens et chevronnés du parti (Clémentine Autain, Alexis Corbière, Éric Coquerel, François Ruffin…) ont été écartés de la « coordination des espaces », constituée dans une large partie de jeunes députés redevables aux dirigeants des insoumis. Ces nouveaux « frondeurs » contestent avec fracas dans les médias – mais sans résultats – le manque de démocratie dans le mouvement. Le parti présidentiel a adopté une autre stratégie. LREM est officiellement devenue Renaissance, lors d’un congrès en septembre dernier, après l’approbation par les adhérents des nouveaux statuts et de la nouvelle direction (emmenée par Stéphane Séjourné). Le parti s’est normalisé (« démouvementisé ») puisqu’il faut désormais acquitter une cotisation payante pour être membre (comme dans les partis classiques). Les militants ont désigné des présidents départementaux en janvier et un premier conseil national sera organisé au printemps. Mais les formes de la démocratie interne restent incertaines. Le parti décidera du mode de désignation de son candidat à l’élection présidentielle de 2027 après les prochaines élections européennes : le parti survivra-t-il à son dirigeant et créateur, Emmanuel Macron ?

Déclassement des dirigeants

Repliés sur leurs luttes internes, les partis suscitent une telle défiance dans l’opinion que les présidentiables les tiennent à bonne distance pour ne pas y être associés (tout en cherchant à les contrôler). Les dirigeants de partis sont plutôt des personnalités de second plan, chargés de la tâche opérationnelle de « tenir la boutique », ce qui est le signe d’une forme de déclassement des organisations. Stéphane Séjourné, qui n’a guère d’assise et de notoriété, ne doit sa désignation qu’à sa proximité avec le président de la République. De même, Jordan Bardella n’a accédé à la présidence du Rassemblement national qu’avec l’onction de Marine Le Pen. Cette dernière s’appuie fortement sur les ressources institutionnelles que lui confère la présidence du groupe parlementaire à l’Assemblée nationale. Éric Ciotti a pris la tête de son parti avec la promesse explicite de soutenir Laurent Wauquiez à la prochaine élection présidentielle, lequel cherche à ne pas trop pas s’exposer avant 2027 et s’est replié depuis quelques années sur la région Auvergne Rhône-Alpes. Marine Tondelier, Manuel Bompard ou Olivier Faure n’ont pas d’ambition présidentielle déclarée. Leaderships partisan et présidentiel se sont ainsi découplés : le chef du parti n’est plus son candidat naturel. L’heure est aux personnalités qui s’appuient sur un capital politique individuel, essentiellement médiatique (François Ruffin, Sandrine Rousseau…), mais ces entreprises individuelles rencontrent de fortes limites.

La politique demeure une affaire de partis qui apparaissent à la fois relégués et indispensables, rabougris et centraux. La dernière élection présidentielle a montré que les ambitions de personnalités sans partis sont vouées à l’échec (Arnaud Montebourg, Xavier Bertrand…). Les luttes pour en maîtriser les ressources, notamment financières, restent fortes. Ils continuent à être le cadre collectif de la compétition politique et électorale. S’ils ne sont pas à la hauteur des immenses défis politiques présents, les partis sont essentiels tant que la démocratie reste représentative et structurée par la procédure électorale… sauf à penser que la politique ne peut plus être qu’un affrontement de personnalités.

  • 1. Rémi Lefebvre, « Que sont devenus les partis-mouvements ? La France insoumise et La République en marche depuis 2017 », Esprit, janvier-février 2022.

Rémi Lefebvre

Professeur de science politique à l’université de Lille et chercheur au Centre d’études et de recherches administratives, politiques et sociales (CERAPS), il vient de publier Les mots des partis politiques (Presses universitaires du Mirail, 2022).

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