L'Europe islamisée : réflexions sur un genre littéraire américain
Controverse
L’Europe islamisée : réflexions sur un genre littéraire américain
Avec Reflections on the Revolution in Europe, le journaliste du Financial Times et du Weekly Standard Christopher Caldwell signe le volume le mieux écrit et le plus efficace d’un genre littéraire, particulièrement présent aux États-Unis, selon lequel l’Europe s’islamise, ou du moins voit son identité occidentale se dénaturer en raison de l’immigration musulmane : « L’Europe peut-elle encore être l’Europe avec des gens différents dedans ? La réponse est non », annonce le résumé du livre de Caldwell1.
Ce genre littéraire, s’il ne dupe pas tout le monde, oriente profondément le débat du monde anglophone sur ces questions en y ancrant des prémisses erronées (sur la démographie, le profil social des populations issues de l’immigration, l’identité musulmane, etc.), bien au-delà des seuls auteurs conservateurs. De fait, pour quelques critiques clairvoyantes et informées, les observateurs anglophones ont généralement encensé le livre (le Washington Post, le New York Times avec non pas un, mais deux comptes rendus très louangeurs), ou l’ont mollement critiqué en concédant l’essentiel de l’argument (The New Republic, The Economist, The New York Review of Books) – quand ils n’ont pas tout simplement qualifié le livre de référence ultime, de « meilleur sur l’islam en Europe2 ». Quant au grand public, il sera facilement attiré par le tableau vivant que brosse Caldwell, une suite d’anecdotes journalistiques, accompagnées de quelques réflexions un peu plus sérieuses : « Rien n’est plus séduisant qu’une demi-vérité », rappelle Andrew Moravcsik dans son compte rendu, critique celui-là, du livre pour Foreign Affairs3.
Or, c’est bien là que commence le problème. Si le livre est une « demivérité », c’est qu’il comporte de nombreuses erreurs, distortions et surtout omissions au sujet des musulmans d’Europe, aboutissant à peindre un tableau partial et trompeur qui débouche naturellement, pour ceux qui l’acceptent, sur une validation tautologique des hypothèses culturalistes de l’auteur selon lesquelles on ne peut pas être à la fois européen et musulman.
Un tableau trompeur et tronqué
On se contentera ici de donner quelques exemples des plus importantes distortions factuelles qu’on trouve dans le livre, pour ce qui concerne la France, d’autres observateurs en ayant fait des listes plus longues pour l’Europe4. Un exemple devrait interpeler le lecteur français : la lecture « civilisationnelle » des émeutes urbaines de 2005 (p. 142 sqq.). Caldwell avance que les jeunes qui ont brûlé des voitures « sympathisaient avec le jihad », qu’ils étaient des « militants acharnés de la cause arabe en Irak, Afghanistan et Palestine », qu’ils adhéraient à une forme autodidacte de fondamentalisme appelée « salafisme cheikhiste », et qu’à tout le moins, s’ils n’étaient pas des musulmans croyants, ils se situaient dans le camp Islam (they believed in Team Islam). Cette interprétation peut surprendre, puisque toutes les études disponibles – sans exception – ont pointé une série de facteurs qui écartaient explicitement cette explication au profit d’éléments solidement documentés : violences policières comme élement déclencheur, discriminations, démographie particulière des zones touchées (disproportion de jeunes) et chômage comme facteurs structurels (voir, entre autres, les travaux de sociologues et d’experts rassemblés par le Centre d’analyse stratégique en 20065). Sur quoi s’appuie alors Caldwell pour défendre sa lecture culturelle et religieuse ? Sur le rapport très sérieux du Crisis Group, « La France face à ses musulmans : émeutes, jihadisme et dépolitisation6 » qui dit… exactement l’inverse de ce que Caldwell veut lui faire dire7. Ce rapport souligne en effet que deux tendances dominent le paysage des banlieues à forte proportion de populations issues de l’immigration. D’un côté quelques jeunes sont attirés par le salafisme en effet « cheikhiste », selon la distinction opérée par Gilles Kepel, c’est-à-dire qui se désintéresse totalement de la sphère publique et de la politique (à l’inverse du salafisme « jihadiste » à tendance terroriste, mais pas émeutière, qui attire un nombre infime de jeunes), et que d’un autre côté règnent en masse la dépolitisation et l’anomie, qui conduisent aux violences urbaines désorganisées et sans lendemain. Entre ces deux tendances, pas de mobilisation de nature identitaire ou religieuse qui expliquerait les violences. Et le rapport de conclure :
L’embrasement des banlieues d’octobre et novembre 2005 s’est fait sans acteurs religieux et a confirmé que les islamistes ne tiennent pas ces quartiers… Alors qu’ils avaient tout intérêt à calmer le jeu pour montrer leur capacité de contrôle, ce fut largement l’échec : pas d’agents provocateurs barbus derrière l’embrasement, ni de « grands frères » derrière pour l’éteindre… Quant aux grandes instances de l’Islam de France, elles ont montré leur manque de prise sur les événements et sur les populations impliquées.
Si, dans ce cas précis, la lecture de Caldwell constitue un contresens pur et simple, on trouve plus souvent, sous sa plume, des exagérations, par exemple la description du Conseil français du culte musulman comme organisation revendicatrice et « véhémente » (strident, p. 200). Quiconque a suivi la création puis la vie du Cfcm sait bien que cette instance, pour toute son importance symbolique, est profondément divisée et toujours au bord de l’implosion, quasiment incapable de se prononcer sur les questions religieuses et politiques de base. Suggérer qu’elle puisse être « véhémente » est faire preuve d’une imagination fertile. Caldwell avance aussi que la très grave et préoccupante vague d’actes antisémites qui a touché la France à partir de la fin septembre 2000 a été « presque entièrement le fait des Beurs » (p. 173), alors que les rapports de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, qui font référence, sont beaucoup plus nuancés : la responsabilité d’auteurs « arabo-musulmans » se stabilise entre 25 et 40 % des menaces et attaques après l’année 2000, avec 50 % d’actes non élucidés et entre 15 et 35 % attribués à l’extrême droite. La différence n’est pas énorme, et il existe un vrai problème, grave et persistant, de diffusion, dans certains milieux, d’une culture antisémite. Mais une exagération par-ci, une exagération par-là aboutissent à dresser un tableau qui n’est simplement pas exact, et déforment la réalité des rapports sociaux en France aujourd’hui.
On en donnera deux derniers exemples. Contrairement à ce qu’avance Caldwell page 287, la condamnation du recours au terrorisme par les responsables musulmans d’Occident a été constante, répétée et explicite – mais on n’y prête jamais attention. On pense notamment à la très solennelle et explicite déclaration de Topkapi du 2 juillet 2006, à laquelle participaient notamment le Cfcm ainsi que Tariq Ramadan et Yussuf Al-Qaradawi, deux des cibles favorites de Caldwell8. Un dernier exemple est fourni par le rejet du traité constitutionnel européen par le référendum de 2005. Caldwell avance qu’une majorité relative de votants (plurality) ont mentionné leur refus de l’entrée de la Turquie dans l’Europe comme raison de leur opposition au traité (p. 305). En réalité, seuls 6 % des sondés l’on fait, alors qu’ils pouvaient citer plusieurs causes à la fois (l’islam n’étant d’ailleurs pas nécessairement le seul motif d’opposition9).
On arrêtera ici l’énumération, car d’un certain point de vue, le problème le plus important n’est pas celui des erreurs, mais celui des omissions. Le livre de Caldwell, en effet, n’offre pas un tableau de l’islam et de l’immigration en Europe, mais un argumentaire sur la menace que représentent l’islam et l’immigration pour l’Europe, défis que l’auteur gonfle en rassemblant tous les éléments les plus négatifs et les plus inquiétants, qu’ils soient bien réels (meurtre de Theo Van Gogh, attentats de Londres et Madrid, crimes d’honneur, etc.) ou gonflés voire imaginaires (voir ci-dessus), et en omettant tous les éléments positifs qui aboutiraient à relativiser le tableau. C’est un peu comme un ouvrage sur la question noire aux États-Unis qui n’évoquerait que les ghettos, la pauvreté, le crime et les taux d’incarcération très élevés, la rancoîur anti-blanche, sans mentionner les progrès qui ont été réalisés au cours des dernières décennies sur tous les plans, ni d’ailleurs l’ampleur historique de la tâche et le lourd legs de l’histoire. Un tel livre serait « exact » dans la mesure où il pointerait des problèmes « réels », mais il ne serait qu’à moitié exact pour décrire la situation dans son ensemble, et serait donc tout à fait trompeur.
S’il est certain que les problèmes abondent, l’auteur passe entièrement sous silence les progrès de long terme et les zones de réussite dans l’intégration des populations immigrées, ou encore la graduelle acceptation de l’islam dans le paysage européen – certes encore difficile, et plus avancée dans certains pays (France) que dans d’autres (Danemark). Pour la France, qu’on songe à l’ascension, difficile mais réelle, d’enfants d’immigrés dont les parents sont partis du plus bas de l’échelle sociale. Ou encore aux initiatives multiples de lutte contre les discriminations (Halde, programmes de « discrimination positive » dans l’enseignement supérieur, Charte de l’égalité, etc.) qui ont pris corps ces dix dernières années. Il arrive que Caldwell lui-même, comme par inadvertance, soulève le voile de cette autre réalité : ainsi, page 129, il évoque le professional credentialing et la réussite de nombreux jeunes français arabes issus de l’immigration dans les professions médicales et juridiques. Page 175, il mentionne au détour d’une phrase la « classe moyenne musulmane », dont le lecteur n’avait jamais entendu parler jusque-là – il pouvait à bon droit penser, à lire Caldwell, que tous les musulmans étaient des déshérités et des fanatiques. Mais ce sont les seuls passages où est suggérée la possibilité que certaines des dynamiques liées à l’immigration et l’islam en Europe soient positives.
Un dernier exemple : il était, dans les années 1980 et 1990, quasiment impossible pour des musulmans français de construire une mosquée en France, du fait de l’opposition et de l’inquiétude des conseils municipaux, et de leurs propres divisions (entre groupes d’origine marocaine et d’origine algérienne notamment). Du coup, les fidèles priaient dans des conditions indignes, dans des caves ou des pièces communes au pied des immeubles, avec le risque que dénonçait Nicolas Sarkozy à l’époque : « Une identité humiliée devient une identité radicalisée. » Dans les années 2000, la situation s’est améliorée sur le terrain en dépit des polémiques nationales, du fait d’une meilleure compréhension des acteurs locaux entre eux – et de nombreux projets, petits ou grands, ont vu le jour, conduisant à une normalisation bénéfique de l’islam en France10.
Cela ne veut certainement pas dire que tout va bien. Il reste d’un côté des réactions violentes contre cette présence et cette normalisation (que le débat sur l’identité nationale pourrait soit aider à s’exprimer au grand jour – une prise en compte politique qui serait bénéfique à long terme – ou bien alors encourager et radicaliser, ce qui serait désastreux) et, du côté des musulmans, des phénomènes de repli voire de contestation du modèle républicain (que le débat sur l’identité nationale risque fort d’accentuer). Mais cela signifie que les lignes évoluent, qu’un ajustement réciproque s’opère, qui garde pour socle les valeurs républicaines. Après tout, personne n’a dit que l’enfantement d’un islam européen se ferait dans l’harmonie et la concorde.
Or, tout à leurs prédictions alarmistes, les auteurs comme Caldwell ne mettent jamais leurs propos en perspective historique, ce qui les conduit à décrire les défis actuels de l’intégration comme « uniques » et insurmontables. Pourtant, l’histoire des pays européens est faite de défis « uniques » à la construction et à l’unité des États qui n’étaient pas moins faciles à surmonter – les régionalismes et séparatismes, l’intégration des « classes laborieuses, classes dangereuses » dans le jeu démocratique au xixe siècle, la lutte des classes (pensons au Front populaire), les luttes idéologiques (fascisme, communisme, etc.), les totalitarismes (Italie, Allemagne, guerre d’Espagne…), etc. Les problèmes bien réels d’intégration économique, sociale et culturelle des populations immigrées récentes et de leurs descendants sont sans nul doute plus ardus que ceux posés par les vagues d’immigration précédentes, mais ils appartiennent au paysage européen depuis une trentaine d’années et ont connu des évolutions multiples – certaines négatives, beaucoup d’autres positives. À en croire les auteurs comme Caldwell, la situation présente est soudain devenue intenable, et le ciel est prêt à nous tomber sur la tête.
L’autre omission de taille, chez tous ces auteurs, concerne l’ampleur des discriminations et du racisme. Dans le livre de Caldwell, ces fléaux ne sont presque jamais rappelés. Ce sont bien plutôt les musulmans ou les immigrants qui adoptent des attitudes communautaristes et de repli, ce sont eux qui refusent l’intégration. Pour l’auteur, le fait que certains Européens insistent sur ces questions est une marque de faiblesse reflétant leur sentiment de culpabilité, leur mauvaise conscience tiers-mondiste déplacée, et dont les immigrés et leurs enfants abusent à leur profit. Le problème, c’est que cette omission fausse le tableau de l’intégration : sans les phénomènes de ghettoïsation et de discrimination (à l’emploi, mais aussi au logement, à l’entrée des boîtes de nuit, etc.), les attitudes communautaires, en particulier chez les « seconde génération » – des individus français nés en France – ne sont explicables que par la culture et la religion. On l’a vu plus haut : les violences urbaines de 2005 (comme celles qui surviennent encore régulièrement à plus petite échelle) sont liées à une multiplicité de facteurs. Mais si l’on évacue, comme le fait Caldwell, les discriminations et ce qui leur est en partie lié (chômage massif, éloignement des centres urbains et concentration de populations pauvres issues de l’immigration, rapports difficiles avec la police), il devient beaucoup plus facile de les expliquer par l’islam et des facteurs identitaires.
Deux postulats erronés
Mais venons-en à la thèse principale de Caldwell. Contrairement à d’autres auteurs dans la même veine qui prédisent l’islamisation inéluctable de l’Europe et l’avènement de l’« Eurabie » en une génération (voir infra), Caldwell est un peu nuancé. Il fait l’hypothèse que la rencontre entre une Europe fatiguée, postmoderne et en proie au doute d’un côté, et une culture musulmane fière et dominatrice, portée par une immigration et une démographie galopantes de l’autre, va aboutir à la subversion de l’identité occidentale de l’Europe. Cette thèse repose sur deux postulats pour le moins contestables.
Le premier concerne le nombre de musulmans en Europe, comparable, à en croire Caldwell, au nombre d’Irlandais arrivés à Boston dans la seconde moitié du xixe siècle, et qui ont fini par transformer l’identité de la ville. L’auteur cite les estimations les plus hautes, par exemple celles du National Intelligence Council (Nic) qui estime que le nombre de musulmans en Europe de l’Ouest pourrait aller jusqu’à 18 millions, et jusqu’à 25-30 millions en 202511. Or, même ces chiffres sans doute exagérés restent modestes : ils signifient qu’on trouve autour de 5 % de musulmans en Europe de l’Ouest ou dans l’Union européenne (le chiffre pour « la grande Europe », y compris la Russie et les Balkans, est le même : 40 millions sur 800, soit 5 %). Bien sûr, dans certains pays comme la France, et surtout dans certaines zones urbaines, le pourcentage et les projections pour l’avenir sont bien plus élevés, et cela pose, localement, de vrais problèmes, notamment quand la diversité ethnique et religieuse disparaît. Mais cela ne veut pas dire que l’Europe soit en péril. Et il faut garder à l’esprit quatre éléments pour mettre ces chiffres en perspective.
D’abord, pour la plupart des pays, ces chiffres correspondent aux musulmans sociologiques, ceux qui ont au moins un ancêtre né dans un pays à majorité musulmane. Il ne s’agit pas de croyants, ni de pratiquants, ni même de personnes qui se considèrent musulmanes. Or, lorsque ce sont ces « musulmans » revendiqués qui sont estimés, les chiffres sont beaucoup plus bas. Ainsi, une étude récente du Pew Center fondée sur les résultats de l’Étude des relations familiales et intergénérationnelles (Erfi) de l’Ined aboutit à un total de 3, 5 à 4 millions de personnes qui, en France, se décrivent comme étant musulmanes « d’origine ou d’appartenance » religieuse12, soit moins que les 5 à 6 millions de musulmans sociologiques estimés13. Nul doute qu’une minorité de 10%, ou même 5% de la population peut avoir un impact réel sur un pays donné, mais de là à subvertir son identité et à le « dominer », il y a un pas.
Le deuxième élément concerne l’immigration en provenance des pays à majorité musulmane, qui s’est réduite, jusqu’à atteindre environ 500 000 personnes par an pour toute l’Union européenne (500 millions d’habitants14), chiffre auquel il faut ajouter les clandestins (estimés, pays musulmans ou non, à plus d’un demi-million). Si l’immigration « musulmane » ne représente donc chaque année que 0, 2 % de la population européenne au maximum, ce n’est pas non plus, troisième élément, par la fécondité différenciée que les musulmans vont croître à l’avenir. Contrairement à ce que dit Caldwell, un consensus existe parmi les démographes sur la chute rapide des taux de fécondité parmi les immigrants et leurs enfants15. Enfin, quatrième élément, les pays européens, qui ont établi des records de basse fécondité dans les années 1980 et 1990, voient tous leur taux remonter (hormis l’Allemagne) – et cette hausse n’est due qu’en partie à l’apport des populations immigrées16.
Un dernier aspect de cette question des chiffres illustre de façon amusante l’état d’esprit de Caldwell : il estime qu’il existe un phénomène de white flight (« départ des Blancs ») européen, fuyant un continent où ils ne se sentent plus chez eux et accentuant l’effet de la prétendue vague démographique musulmane, en particulier pour l’Allemagne. Il est vrai que de nombreux Allemands quittent leur pays chaque année (109 500 en 2001, 144 800 en 2005), mais avancer que c’est « peut-être à cause de l’immigration » (p. 60) relève de la pure spéculation, d’autant plus hasardeuse que Caldwell ne dit pas un mot des retours, qui conduisent à relativiser le phénomène (par exemple, 111 291 retours contre 165 180 départs pour 2007, soit environ 50 000 départs nets, soit 0, 06 % de la population allemande), et à formuler plutôt l’hypothèse de mouvements liés à la mondialisation qu’à la fuite d’une Allemagne tombée aux mains des musulmans17.
Au-delà des erreurs de chiffres, il faut souligner que l’argumentaire de la progressive « domination » musulmane et le raisonnement démographique par blocs juxtaposés ne tiennent que si l’on considère effectivement les musulmans comme des non-Européens, au lieu de les considérer comme une catégorie de population européenne définie par sa religion ou par son statut (immigrants, ayant la nationalité ou non, ou non-immigrants). Autrement dit, on ne peut entrer dans le raisonnement sur les chiffres (la « guerre des ventres » entre Européens de souche et musulmans) que si l’on accepte les prémisses des auteurs culturalistes comme Caldwell : un musulman ne sera jamais un Européen. Le modèle sous-jacent, toujours implicite, est en réalité ethnique : tout comme un Arabe ou un Noir ne sera jamais blanc, il faudra toujours compter à part les musulmans, même après un mariage mixte, même après plusieurs générations vivant en France.
Et c’est là le second postulat très contestable de la thèse de Caldwell – le culturalisme. Le cliché à l’œuvre, c’est qu’on n’échappe pas à sa « culture d’origine », définie essentiellement par la religion, identité qui commande une loyauté d’ordre politique, ici à ce que Caldwell appelle « le camp de l’islam » (Team Islam). Contrairement à l’évidence18, les culturalistes estiment qu’on ne peut pas marier plusieurs identités : on est soit français, soit musulman. De ce point de vue, l’une des phrases les plus troublantes du livre se trouve page 270 :
Des Européens qui étaient apparus comme pleinement assimilés – comme Mohammed Bouyeri et Mohammed Sidique Khan – ont soudain fait défection pour revenir à leur identité ancestrale.
Cette phrase semble impliquer (par inadvertance, espère-t-on) que l’assassin de Theo Van Gogh et le principal terroriste des attentats de Londres sont soudain revenus à leur identité d’origine, l’islam, et ont soudain décidé d’assassiner des Occidentaux. Tous les travaux des chercheurs sur l’identité imaginée, sur l’islam globalisé (Olivier Roy) et ses dérapages, sur les complexités de la radicalisation semblent avoir été écrits en vain pour Caldwell, qui voit une culture musulmane unifiée et uniformément hostile à l’Occident :
Il y a 1, 2 milliard de musulmans, tous unis par l’internet dans une Oumma globale.
Ce faisant, Caldwell s’interdit conceptuellement de penser l’intégration pacifique de l’islam en Europe : une pratique de cette religion apaisée et conforme aux normes prévalentes est, en quelque sorte, un non-sens.
Cette vision est bien sûr liée à celle du choc des civilisations, que l’auteur pousse à sa limite, par exemple page 177 :
Le retour de l’islam n’est pas simplement la résurgence d’une doctrine mais la résurgence d’un peuple. Les armées musulmanes (y compris les terroristes) sont de plus en plus confiantes et dominatrices.
Caldwell estime que par-delà l’épiphénomène que fut la guerre froide,
dans laquelle les conflits politiques tendaient à tourner autour des idéologies économiques et matérialistes de l’âge industriel,
l’affrontement entre Islam et Occident est bel et bien la réalité transcendante, « l’ordre permanent des choses » (p. 115). Cette vision n’est pas spécifiquement « américaine », elle est largement partagée de par le monde – d’ailleurs tous les culturalistes se renforcent et se légitiment mutuellement en se citant les uns les autres, c’est pourquoi les citations d’islamistes sont nombreuses dans le livre – mais elle coïncide néanmoins avec une grille américaine de vision de la société, où les différences ethniques et religieuses sont plus prégnantes qu’en Europe. De façon intéressante, on remarque que Caldwell insiste sur la comparaison des musulmans européens avec les Africains-Américains plutôt qu’avec les Hispaniques. Pourtant, les Hispaniques aux États-Unis sont bien plus nombreux que les musulmans en Europe, et leur dynamisme démographique est supérieur (taux de fécondité de 3 enfants par femme, un bébé américain sur quatre en 200719). Mais les Hispaniques, d’après Caldwell, ne menacent pas les États-Unis, car ils ne sont pas « différents », en raison de leur religion. C’est pourquoi les « dominations » de villes par les Noirs (Washington DC par exemple) ou les Hispaniques (en Californie notamment) ne portent pas à conséquence, contrairement aux « dominations » de villes européennes par des majorités musulmanes.
La littérature « Eurabie »
Reflections on the Revolution in Europe est en fait le mieux écrit d’une série d’ouvrages alarmistes avançant peu ou prou la même thèse : sous l’effet de l’immigration, l’Europe change de nature, d’identité politique ; elle est comme finlandisée voire colonisée par le monde musulman. On trouvera en encadré les principaux titres de ce genre, et l’on remarquera la profusion d’auteurs américains. Ce genre littéraire apparaît largement comme la continuation d’une littérature sur la décadence de l’Europe que des auteurs conservateurs et néoconservateurs comme Walter Laqueur ont produit depuis les années 1970, et qui est en partie le reflet des débats américains internes (en l’occurrence, contre le multiculturalisme et les libéraux, auquel l’Europe est assimilée). Jusqu’aux années 1990 et 2000, cette littérature portait sur les questions de politique étrangère (condamnation de la détente avec l’Urss et du manque de fermeté des Européens avec les dictatures), sur l’Union européenne (cette hydre bureaucratique antidémocratique), sur l’étatisation et les systèmes sociaux sclérosants, etc. Un nouveau chapitre s’y ajoute à présent : la subversion ou la colonisation à rebours par les musulmans. Au fond, ces derniers ont pris la place des euro-communistes, tandis que les pays musulmans ont pris la place de l’Urss : nouvel affrontement global, nouveaux ennemis, mais même vieille Europe faible, alliée fragile de l’Amérique.
De fait, on trouve dans l’ouvrage de Caldwell de nombreux clichés qui étaient déjà présents dans cette littérature europhobe : l’Europe est en déclin (p. 347), elle ne croit plus en elle-même, déteste ce qu’elle est (une « xénophobie envers elle-même », p. 105) ; elle est lâche, finlandisée, cette fois de l’intérieur, par ses populations musulmanes ; elle est obsédée par son statut, subordonnée par rapport aux États-Unis et rongée par l’antiaméricanisme (p. 334, 336, 337) ; elle est non seulement vieillissante (démographiquement) mais aussi de plus en plus sénescente (p. 63) ; elle manque de ressort vital ; elle manque d’appétit sexuel (« Les Européens commencèrent à se percevoir comme méprisables et mesquins, grotesques et asexués », p. 103) ; elle est féminine (un vieux cliché, depuis la Seconde Guerre mondiale, rappelé à l’occasion de la métaphore « Mars et Vénus » de Robert Kagan, ou de D. de Villepin qui « a ses vapeurs », disait Colin Powell) ; elle est de moins en moins féconde alors que les musulmans sont fertiles et la pénètrent de toutes parts (une métaphore implicite présente dans plusieurs passages). Le peuple européen est dominé et trahi par des leaders gauchistes naïfs, élitistes et condescendants qui ont laissé s’installer les immigrants contre leur gré ; le peuple, quand il vote pour des politiciens xénophobes, a bien raison (p. 98, 101, 139)
Littérature « Eurabia »
Quelques auteurs nord-américains
Bruce Bawer, While Europe Slept: How Radical Islam is Destroying the West from Within (2006) et Surrender: Appeasing Islam, Sacrificing Freedom (2009).
Walter Laqueur, The Last Days of Europe: Epitaph for an Old Continent (2007).
Bernard Lewis, Europe and Islam (2007).
Bruce Thornton, Decline and Fall: Europe’s Slow Motion Suicide (2007).
Mark Steyn, America Alone: The End of the World As We Know It (2006).
Claire Berlinski, Menace in Europe: Why the Continent’s Crisis Is America’s, Too (2006).
Tony Blankley, The West’s Last Chance: Will We Win the Clash of Civilizations? (2005).
Pat Buchanan, The Death of the West: How Dying Populations and Immigrant Invasions Imperil Our Country and Civilization (2002).
Quelques auteurs européens
Melanie Philips, Londonistan (2007).
Ayaan Hirsi Ali, Infidel (2007).
Bat Ye’or (Gisèle Littman), Eurabia : l’axe euro-arabe (2006).
Oriana Fallaci, la Rage et l’orgueil (2002)..
Comment expliquer cette vision, ce genre littéraire ? Pourquoi est-ce aux États-Unis qu’à côté d’une littérature académique d’excellente qualité sur l’islam en Europe (Jytte Klausen, John Bowen, Jonathan Laurence, Jocelyne Cesari, etc.), on trouve tant d’ouvrages sur l’islamisation inéluctable du Vieux Continent ? On peut avancer trois hypothèses. D’abord, la clé de compréhension géopolitique la plus aisément accessible est celle du choc des civilisations, ou plus précisément celle du choc de l’islam avec les autres civilisations. Ce paradigme rassurant permet d’expliquer aussi bien le terrorisme que les guerres d’Irak et d’Afghanistan que les émeutes urbaines en France ou les troubles au sud de la Thaïlande. Dans cette vision simplificatrice, l’Europe est perçue (comme au temps de la guerre froide) à la fois comme la mémoire et l’avant-poste de l’Occident, un pion essentiel de l’échiquier qui est en train d’être perdu et qui, une fois de plus, n’est pas à la hauteur de l’enjeu (c’est là que reviennent les clichés habituels énumérés plus haut, ceux de la guerre froide). À l’Amérique de pallier à ses déficiences, en commençant par les dénoncer – ce que seuls des Américains peuvent faire, les Européens étant déjà « sous influence ». Deuxième hypothèse : cette littérature reflète sans doute des préoccupations intérieures. On a presque l’impression que ces auteurs américains laissent libre cours à leur désir de retrouver une pureté de population originelle, non corrompue par l’immigration, dès qu’il s’agit de l’Europe, car les interdits sont moins puissants que lorsqu’il s’agit des États-Unis. Dernière hypothèse, tout à l’inverse : peut-être existe-t-il une vision « musée » de l’Europe qui ne devrait pas se mélanger au monde musulman, une vision presque touristique qui accepte le melting-pot pour l’Amérique mais le refuse pour le Vieux Continent. La description horrifiée, dans le livre de Caldwell, d’une promenade au nord de la piazza della Repubblica à Turin, depuis un paysage urbain qui n’a pas bougé depuis Rome, où subsistent encore les murs pour repousser les barbares (sic) jusqu’à « l’un des pires bas-quartiers maghrébins d’Europe » (p. 34) donne cette impression de nostalgie.
En tout cas, débattre en Europe des thèses de Christopher Caldwell et des autres auteurs de ce genre littéraire va être difficile, car dans leur vision, le déni de réalité de la part des élites européennes fait partie du problème. Dès lors, pointer que le tableau est incomplet, que la situation est loin d’être aussi simple et sombre que dans le livre, et que la thèse de l’islamisation de l’Europe repose sur des bases erronées et culturalistes, invite des accusations de naïveté, de « voir les choses en rose » – et revient, de façon perverse, à valider la thèse de l’auteur. Comme si l’on ne pouvait pas être pleinement conscient des défis bien réels que posent l’immigration et l’islam sans verser dans le catastrophisme et l’hyperbole.
Or, il est important de réagir à ce livre, car s’il présente une image fausse des musulmans européens et des sociétés européennes, en particulier de la situation française, il n’en a pas moins le pouvoir d’infléchir de façon significative les perceptions américaines – et européennes – dans un sens néfaste. Il diffuse un message et des présupposés qui sont la négation même du travail lent et difficile qui s’accomplit en Europe, particulièrement en France : l’intégration de citoyens français musulmans, possédant la liberté de culte et les moyens de l’exercer tout en embrassant pleinement les lois et les principes de la République. C’est cette vision que, sur le plan des principes, Caldwell dépeint comme impossible.
En cela, il se retrouve finalement dans le même camp que les islamistes, ses ennemis, aux yeux de qui l’on ne peut être à la fois musulman et européen.
Justin Vaïsse*
Librairie
Louis Maurin, DÉCHIFFRER LA SOCIÉTÉ FRANÇAISE, Paris, La Découverte, 2009, 367 p., 18, 50 €
Bon nombre d’ouvrages de sciences sociales se passent allègrement de données statistiques ou ne présentent que celles, soigneusement triées, qui vont dans le sens souhaité, à moins que l’auteur, peu versé dans le maniement des chiffres, n’en fasse un usage fantaisiste, pratique qu’a joliment épinglée Nathalie Heinich20.
Le livre de Louis Maurin procède à rebours des usages habituels. Il n’utilise pas les statistiques pour illustrer une analyse préétablie mais il élabore un diagnostic de la société française à partir des données chiffrées produites par l’Insee et quelques autres institutions. En donnant la priorité aux statistiques et en obéissant à des règles rigoureuses dans leur usage, l’auteur se soumet à des contraintes dont il ne faut pas minimiser la force. Il accepte en effet, en procédant ainsi, de ne rien dire qui ne soit corroboré par des chiffres dont il n’est pas le producteur.
N’étant pas l’ordonnateur des données qu’il mobilise, il doit s’en accommoder. Or, la production de statistiques n’obéit pas à un plan d’ensemble mais à une multitude de visées spécifiques, aucune enquête n’inscrivant son apport propre dans un tableau d’ensemble coordonné. En conséquence, la résultante en est un amoncellement d’éléments discontinus, de fragments difficilement assemblables car hétérogènes, procédant d’intentions et de biais en partie incompatibles. Cependant, il faut bien faire avec ce qui existe si l’on veut dresser un portrait chiffré de la société française. C’est ce que parvient à faire Louis Maurin qui met en ordre les pièces livrées par la statistique publique et quelques organismes privés et qui arrive, ce n’est pas un mince exploit, à leur donner du sens.
Ceux qui attendraient une vision catastrophiste de la société française comme ceux qui, à l’inverse, souhaiteraient contempler l’image radieuse d’une France toujours plus prospère et pacifiée, seront déçus. Le tableau composé par Louis Maurin est d’ombre et de lumière, soulignant les progrès et les réussites d’une société qui a beaucoup changé tout autant que ses retards et ses échecs. Sa grande connaissance des sources statistiques, de leurs atouts comme de leurs faiblesses, alliée à la virtuosité d’un praticien chevronné lui permet de dresser un portrait fouillé de la France réelle en quinze prises de vue qui nous montrent, entre autres, son dynamisme démographique, les transformations de la famille, l’évolution des conditions de travail, les progrès de la santé et de l’éducation ainsi que, dans la plupart de ces domaines, la persistance des inégalités.
Cette somme impressionnante de chiffres, Louis Maurin a le talent de la rendre attractive tout en nous mettant en garde contre deux illusions fréquentes autant que dangereuses : l’autosuffisance et l’objectivité absolues. Par elles-mêmes, les statistiques, quelle que soit leur qualité, ont peu à dire. Il faut savoir les ordonner, les associer, voire les confronter à d’autres données et faire ressortir les évolutions historiques, les écarts entre pays et les différences entre catégories sociales. Il faut aussi, comme il le fait, débusquer les défaillances et les manques. Ainsi, notre connaissance de la répartition du patrimoine et des revenus qu’il génère laisse beaucoup à désirer comparée à ce que l’on sait des autres catégories de revenus. Tout en faisant un bon usage des statistiques publiques, Louis Maurin ne s’interdit pas d’en faire une critique constructive qui fait écho à des débats d’actualité, sans toutefois verser dans la démagogie, concernant l’indice des prix, le taux de chômage et les indicateurs de pauvreté. C’est à un effort supplémentaire qu’il appelle dans ces domaines, à la fois en matière de production mais également de traitement des données brutes, de présentation et de mise à la disposition du public de tableaux d’exploitation clairs et d’une lecture aisée.
Il faut souligner la grande clarté de la mise en page de ce livre, conçue pour faciliter sa lecture dans une visée pratique. La présence d’un index, d’un glossaire définissant les notions clefs utilisées dans le texte, au début de chaque chapitre, la clarté et la simplicité des graphiques et des tableaux illustrant les principales tendances ou l’état des lieux et les encadrés insérés dans le texte approfondissant quelques points d’un intérêt particulier ainsi que la bibliographie générale à trois niveaux (ouvrages, périodiques et lettres d’information avec leur adresse électronique), tout cela concourt à guider le lecteur et lui sert de boussole dans un paysage par nature complexe. Il faut ajouter que les données chiffrées mobilisées dans ce livre sont accessibles et téléchargeables (www.dechiffr erlasociete.com).
Toutes ces qualités font de ce livre une lecture indispensable pour tous ceux qui souhaitent mieux connaître les grandes évolutions de la société française et son état actuel. Il peut être lu de deux façons, soit en continuité et dans sa totalité, comme une analyse rigoureuse des grandes tendances de notre société, soit par fragments comme un ouvrage de référence donnant les bases indispensables pour aborder un sujet et proposant des pistes d’investigation supplémentaire.
Pierre Boisard
Dominique Schnapper, Chantal Bordes-Benayoun, Freddy Raphaël, LA CONDITION JUIVE EN FRANCE. La tentation de l’entre-soi, Paris, PUF, coll. « Le lien social », 2009, 142 p., 20 €
« La tentation de l’entre-soi » : ce sous-titre résume de façon trop ramassée, mais avec justesse, aujourd’hui, la « condition juive en France », et peut-être même au-delà de la France. L’ouvrage est constitué avant tout des commentaires d’une importante enquête statistique (menée en 2004-2005) et d’une longue reprise interprétative de ses résultats. Mais son apport particulier tient à une mise en perspective ou à une comparaison systématique des Français juifs d’hier (les « israélites ») avec ceux d’aujourd’hui, augmentés, comme on sait, de l’apport des « sépharades » d’Afrique du Nord depuis les années 1950 et 1960. Rappelons que les « israélites » furent ces juifs émancipés, accueillis comme citoyens par la IIIe République et, pour cette raison, souvent « citoyens modèles » et ardents patriotes, reconnaissants aux Lumières et à la République qui les avaient émancipés et leur avaient donné l’égalité et la liberté. La réalité ne suivait pas toujours les principes mais ils n’y voyaient pas une raison de rejeter en elle-même la République qui leur avait tant apporté. Au contraire, ils priaient pour la République et rendaient grâce pour elle. Le judaïsme du « peuple de l’Alliance » pouvait se pratiquer dans la vie privée. Des tensions, surmontables, pouvaient se produire avec la « nation », surtout en cas de conflits entre nations européennes qui mettaient à mal la solidarité du « peuple juif ». Une autre possibilité était l’identification pure et simple à la nation d’accueil, ou l’assimilation à elle – mais plus d’une fois le judaïsme oublié leur était parfois renvoyé de l’extérieur comme une identité assignée.
La Shoah, avec des ondes de choc différées, anéantit chez beaucoup de survivants et leurs descendants cette confiance en la République. La référence à l’État d’Israël devint surtout sensible pour tous les juifs, de manière nuancée et progressive cependant, à partir de 1967 et de la guerre des Six Jours. Chez tous, la défense de l’existence d’Israël prend de l’importance à partir de ce moment-là. L’histoire des années 1970 à nos jours se comprend ensuite comme une ré-identification accentuée des Français juifs (en l’occurrence de ceux qui se déclarent tels) avec la tradition religieuse juive et avec l’État d’Israël. L’enquête se proposait d’interroger les représentations, aujourd’hui, de ce double lien. Les conditions de l’enquête et les raisons du questionnaire sont formulées avec précision. Il importe en particulier de noter que les instances de représentation du judaïsme français, dont le rôle est essentiel à des titres divers, n’ont pas été oubliées.
Il en résulte un tableau très nuancé des attitudes et des convictions mais, globalement, le résultat, indiqué dans la formule du sous-titre, n’est guère surprenant par rapport aux perceptions disséminées et plus lointaines du non-spécialiste. Comme d’autres groupes dans la société, les juifs peuvent en effet se sentir visés par l’expression : « Le retour des tribus », c’est-à-dire par la tentation identitaire, aussi désignée comme « communautariste ». L’antisémitisme toujours rémanent, fûtce sous des formes nouvelles et inédites, nourrit cette pente en augmentant le sentiment d’insécurité et d’inquiétude, qui lui-même n’oublie pas, à bon droit, le passé des juifs européens. Le « repli sur soi » du sous-titre n’exprime à vrai dire qu’une facette de l’évolution récente. L’autre est celle de l’interventionnisme politique et publique dans les affaires de la République, à la fois dans la référence à Israël et dans le cadre d’une forme d’affirmation juive. Le Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif) s’est illustré dans ce rôle depuis une bonne décennie ; ses prises de positions critiques, lors du célèbre dîner de début d’année, face aux plus hautes autorités de la République, ont provoqué tensions internes et crispations externes. Il faut dire qu’à la base, les juifs de France ont multiplié les contacts avec Israël, contacts pas seulement touristiques mais aussi d’installation et de va-et-vient professionnels. Les auteurs décrivent avec pertinence (et, semble-t-il, un soupçon d’énervement malgré la distance sociologique) les dérives religieuses de cette récente « condition juive » : présence et immixtion des orthodoxes et du groupe des Loubavitchs en toutes sortes d’instances socio-politico-religieuses où les laïques étaient prédominants ; exclusion sans ménagements des juifs libéraux ; de même, la rigueur s’est accrue pour éloigner des responsabilités même des femmes orthodoxes de grande valeur ; rigueur aussi envers les couples mixtes (alors même que le regain religieux ne freine pas leur nombre, ni les mariages qui en résultent) et contre les conversions ; par ailleurs, des pratiques ésotériques et « miraculeuses » sont monnaie courante à des niveaux élevés de la « communauté » (nous devons sans doute nous faire une raison : le judaïsme, ce n’est pas seulement E. Levinas ni G. Scholem !).
Dans ce contexte, l’élection du grand rabbin en 2008 s’est révélée d’un enjeu politico-religieux exceptionnel : dans un climat tendu, Gilles Bernheim, intellectuel de haute volée et bénéficiant d’une grande estime à l’intérieur et à l’extérieur du judaïsme français, a été en fin de compte élu malgré tout assez facilement ; mais la campagne musclée de son challenger l’a sans doute obligé à faire des promesses qui allaient au-delà de ses convictions. Dans ce tableau peu encourageant, sinon périlleux, il faut cependant souligner, à la suite des auteurs, qu’une majorité de juifs français, religieux ou non, est irritée par les organisations juives officielles et leurs évolutions intransigeantes ; cela ne l’empêche pas d’évoluer vers un nouvel « israélitisme », qui tient compte de l’existence d’Israël, du contexte international mais aussi des évolutions politiques de la France et tout simplement des conditions imposées par la société moderne. Le modèle du « juif républicain » a sans doute vécu. Mais comme le soulignent les auteurs, Gilles Bernheim, le nouveau Grand rabbin élu, d’une fidélité orthodoxe et intelligente à la Tradition et en même temps moderne dans son discours, a été perçu aussi comme l’héritier du « franco-judaïsme », de ces « israélites républicains » qui n’étaient pas seulement une élite juive cultivée et qui ont trouvé jusque dans les années 1930 une seconde voire une première patrie dans la France de la IIIe République. Dans d’autres pays d’Europe de l’Ouest, des juifs de l’Est et du Nord européen ont aussi trouvé une patrie, mais nulle part il n’y a eu, semble-t-il, autant d’identification et de symbiose enthousiaste.
Jean-Louis Schlegel
Anne-Claire Rebreyend, INTIMITÉS AMOUREUSES. FRANCE 1920-1975, Toulouse, Presses universitaires du Mirail, 2009, 340 p., 31 €
Alors que les frontières entre le public et le privé se brouillent et que l’intimité des personnes, et pas seulement celle des célébrités, est étalée dans les journaux ou mise en scène dans les émissions de téléréalité, il est heureux qu’une historienne se saisisse de ce qui apparaît comme le plus privé chez les individus, l’intimité amoureuse, et en propose une histoire.
Certes, l’amour et les sens ne sont pas des territoires nouveaux pour l’historien : en 1987, Philippe Ariès et Georges Duby dirigeaient plusieurs volumes d’une Histoire de la vie privée. La nouveauté du travail d’Anne-Claire Rebreyend est de présenter la façon dont se noue l’intime, c’est-à-dire le « secret » des relations amoureuses et sexuelles et leur « vécu », en se plaçant au cœur des couples et des amours, là finalement où l’historien s’arrêtait – bien que Michelle Perrot ait récemment franchi l’espace de la chambre21 – grâce à une source qu’elle a eu l’heureuse idée d’exploiter : les récits autobiographiques conservés par l’Association pour l’autobiographie fondée par Philippe Lejeune en 1992. Des hommes et des femmes font le récit de leur vie, s’engagent à dire la vérité, demandent au lecteur de les croire et en retour de les aimer. C’est ce « pacte autobiographique » entre celui qui écrit et celui qui lit qui rend possible l’investigation historique. Ces récits sont complétés par des journaux intimes, des correspondances, le courrier du cœur de Marie Claire, les lettres adressées à Ménie Grégoire, la spécialiste des amours à la radio, à Simone de Beauvoir ou encore au planning familial.
Avec ces archives, Anne-Claire Rebreyend propose une histoire des intimités amoureuses entre d’une part les années 1920, marquées par l’injonction de repeupler la France après l’hécatombe de 1914-1918, ce que n’arriveront pas à faire les lois de 1920 interdisant la publicité et la vente des moyens de contraception et de 1923 punissant en correctionnelle les avortements, et d’autre part les années 1970, celles de « la libération sexuelle » après 1968 et de la loi légalisant l’interruption volontaire de grossesse. L’auteur observe trois périodes distinctes dans l’évolution des intimités amoureuses.
La première, dans les années de l’entre-deux-guerres, est celle de « l’intime feutré ». « L’amour et la sexualité [y] appartiennent à deux mondes différents. » Les hommes et les femmes parlent peu et écrivent peu sur la sexualité conjugale. Elle est donc « feutrée. » Tous à peu près partagent l’idée que c’est l’amour qui justifie et autorise la sexualité. Les couples restent en général solides, que la sexualité les satisfasse ou pas. Les jeunes filles la vivent dans la hantise de perdre leur honneur. Quant à celle des jeunes hommes, dont la société s’accorde à souligner les « besoins » plus importants que ceux des femmes, elle est découverte auprès de prostituées ou au contact de femmes mariées. Les interdits sont nombreux, mais Anne-Claire Rebreyend ne voit pas cette époque seulement comme une période de répression sexuelle mais aussi comme une « période de transition » qui, par ses questions à peine esquissées sur l’avortement, l’homosexualité, la sexualité juvénile et féminine, prépare la période qui s’ouvre avec la guerre et dure jusqu’aux années 1960 et pendant laquelle l’intimité des relations amoureuses et sexuelles est franchement « questionnée ». C’est la seconde partie du livre.
À lire Anne-Claire Rebreyend, ces années de croissance économique et de mobilité sociale qui furent l’âge d’or du salariat (Robert Castel) semblent aussi avoir été celui de la conjugalité. Les discours anciens sur le devoir perdent du terrain au profit d’un « idéal » qui couple amour et sexualité dans la conjugalité. « Il ne s’agit plus simplement de s’aimer pour former un couple heureux, mais de se prouver la force de cet amour en se donnant un plaisir sexuel réciproque » (p. 231). La communication amoureuse devient donc essentielle dans des couples où les rôles, masculin et féminin, demeurent toujours nettement distincts. La connaissance des pratiques amoureuses se répand ; on aspire davantage au plaisir et les désirs sont plus exprimés, bien sûr plus dans les classes aisées et moyennes que dans les classes populaires, qui demeurent dans l’intime « feutré ». La Seconde Guerre mondiale a certainement accéléré les mutations, comme le montre l’histoire de Denise, épouse d’un prisonnier, qui n’entend pas renoncer à sa sensualité, et de Serge, un homme déçu par ses expériences passées à qui elle fait découvrir les délices de la chair. L’entente au lit les conduit vers le mariage bien après la guerre. Les transformations de la société dans les années 1960, l’essor de la contraception, la dissociation progressive de la procréation et de la sexualité, les nouvelles exigences conjugales en matière amoureuse et sexuelle (Esprit consacra un numéro à la sexualité en 1960. Paul Ricœur y évoquait la sexualité comme « organe de reconnaissance mutuelle, de personnalisation, bref comme expression ») remettent « en question » la conjugalité.
C’est pourquoi pendant les années 1960 et 1970 de « la révolution sexuelle » faisant de l’aspiration au plaisir une injonction et revendiquant le « droit au plaisir », on passe d’un régime de subjectivité à un régime d’objectivité de la sexualité. Il faut désormais se conformer à un ensemble de règles garantissant non seulement aux hommes, mais surtout aux femmes, l’orgasme. Chacun ayant « droit au plaisir » – c’est aussi cela la démocratisation de ces années – ces règles doivent faire l’objet de la plus grande publicité, et l’intime s’en trouve ainsi « exhibé ». C’est la troisième partie de l’ouvrage. Les récits de vie deviennent plus explicites sur les pratiques. La médicalisation concerne aussi bien la contraception et l’avortement que les dysfonctionnements sexuels. Mais les courriers du cœur ne sont pas encore les courriers du cul, et l’érotisme ne s’efface pas devant la pornographie. Vers 1975, quand Anne-Claire Rebreyend termine son étude, elle estime que la sexualité est devenue « une science, une technique et le produit d’une consommation de masse ». La question ne se pose pas encore de savoir si à force que les intimités amoureuses soient exhibées, détournées, consommées, on ne finit pas par en être privé22.
Mais de « Parlez-moi d’amour » au « Déshabillez-moi », des années 1920 aux années 1970, ce qui domine dans l’évolution de la sphère des intimités amoureuses, ce sont la dissociation progressive de la procréation et de la sexualité, la revendication et la conquête de l’égalité avec les hommes par les femmes et enfin la complexification des intimités amoureuses (conjugales, hors mariages, libres ou homosexuelles). La question des minorités sexuelles ne sera réellement posée qu’après 1975.
Jean-Pierre Peyroulou Louis-André Richard (sous la dir. de), LA NATION SANS LA RELIGION ? Le défi des ancrages au Québec, Laval, Les Presses de l’université Laval (Pul), 2009, 205 p.
La séparation des religions et de l’État est formalisée dans la « Charte canadienne des droits et des libertés », insérée dans la Constitution en 1982. Malgré l’importance des libertés individuelles et de la neutralité de l’État, la diversité considérable (due à l’immigration, entre autres) et la demande de reconnaissance des différences peuvent faire que des lois et des règlements contraignent les convictions ou les pratiques de tel groupe particulier ou tel individu croyant. L’« accommodement raisonnable » consiste alors à corriger, dans les cas particuliers, les effets discriminatoires indirects, souvent imprévus, de la loi. Au Québec, les hommes politiques québécois, l’opinion publique, les médias avaient plus ou moins intériorisé cette manière de voir. Cependant, durant la dernière décennie, la pratique de l’« accommodement raisonnable » a été vivement dénoncée en plusieurs affaires où la visibilité des religions dans l’espace public était en cause. Comme le dit avec justesse la sociologue Micheline Milot, « la diversité religieuse, quand elle devient visible, semble déranger plus que tout autre type de diversité ». En tout cas, des Québécois aussi ont fini par y voir une dangereuse menace de dilution pour l’identité de leur province, et un élément d’influence sournois de la culture anglophone. Les choses sont devenues assez tendues pour que le gouvernement québécois nomme en 2006 la commission Bouchard-Taylor (commission sur les pratiques d’accommodement liées aux différences culturelles = Ccpardc), qui a rendu, après un an de travail, de consultations et de rencontres dans le pays23, un rapport de plus de 800 pages intitulé Fonder l’avenir. Le temps de la conciliation (2008). Les deux rapporteurs, Gérard Bouchard, sociologue connu, et surtout Charles Taylor, philosophe de renom international, ont apporté leur hauteur de vue à ce travail officiel. Globalement, leur rapport prône la continuité avec la pratique de l’« accommodement raisonnable », en insistant pour qu’il soit mieux connu et admis par tous, y compris par son enseignement à l’école. Il soutient une « laïcité ouverte » à la diversité culturelle ainsi qu’une société qui admet et pratique l’« interculturel » (mot préféré à « multiculturel »). L’ensemble peut être perçu comme de tonalité assez « culturaliste », ce que n’ont pas manqué de souligner certains adversaires. En termes parfois modérés, parfois vifs, ce livre collectif plaide pour une laïcité plus ferme, peut-être un peu « française »… Sans rejeter l’accueil de nouveaux immigrés, il affirme qu’une tolérance multiculturelle et une pratique de l’accommodement raisonnable excessives mettent en danger la « nation québécoise » et sa singularité au Canada – y compris sa langue française et… sa tradition religieuse. Le plus intéressant dans cet ouvrage est en fin de compte non pas le mea culpa par rapport à la « Révolution tranquille » (la sortie du Québec, en une ou deux décennies, de la vieille culture catholique qui imprégnait et dominait tout), mais la réévaluation tranquille du rôle et de l’apport du catholicisme au Québec : il ne méritait pas d’être appelé le temps de la « Grande Noirceur », car il a aussi fait du bien, et même légué du meilleur, dans la Belle Province. Avec le recul, il apparaît entre les lignes qu’on a jeté le bébé avec l’eau du bain. Pour le reste, la similarité des débats outre-Atlantique avec les nôtres, dans le cadre d’une histoire et d’une actualité très différentes, est frappante.
Jean-Louis Schlegel
Florian Michel, Bernard Sesboüé, DE Mgr LEFEBVRE À Mgr WILLIAMSON. Anatomie d’un schisme, Paris, Lethielleux/Ddb, 2009, 135, 10 €. Henri Tincq, CATHOLICISME. Le retour des intégristes, Paris, Cnrs Éd., 2009, 4 €. Gérard Leclerc ROME ET LES LEFEBVRISTES. Le dossier, Paris, Salvator, 2009, 95 p., 9, 90 €. Paul Coulon (sous la dir. de), HISTOIRE ET MISSIONS CHRÉTIENNES N° 10. Action française, décolonisation, Mgr Lefebvre. Les spiritains et quelques crises du xxe siècle Paris, Karthala, juin 2009, 246 p., 18 €
Les événements médiatisés suscitent, à l’allure effrénée d’aujourd’hui, des livres. La coïncidence des déclarations négationnistes de l’évêque Williamson et de la levée d’excommunication des évêques intégristes de la Fraternité Saint Pie X ayant provoqué le scandale que l’on sait en janvier 2009, trois petits livres sur Mgr Lefebvre et son Église schismatique sont parus sans tarder. Chacun apporte au public son lot d’informations, en fonction des compétences – bonnes – de leurs auteurs et de leurs choix personnels. Le plus intéressant réside en fin de compte dans les divergences d’interprétation. Dans le premier, l’historien Florian Michel relie fortement l’intégrisme catholique à l’Action française de Charles Maurras. La démonstration, sur l’« histoire longue », d’un « romanisme anti-romain » est convaincante. Elle a l’avantage de bien situer les aspects politico-religieux contradictoires de l’entreprise lefebvriste, mais elle n’explique pas vraiment son succès à l’étranger et en fin de compte la réussite relative d’« Ecône », le séminaire intégriste créé en Suisse dans les années 1970. B. Sesboüé, théologien bien connu, ne cache pas sa perplexité – c’est un euphémisme – devant les efforts de réconciliation de Benoît XVI (et en particulier le rétablissement comme « rite ordinaire » de la messe en latin). Henri Tincq rappelle lui aussi les aspects franco-français de l’intégrisme catholique, mais il tente de comprendre pourquoi, à l’encontre de tous les pronostics, les intégristes sont toujours là. Son diagnostic est sévère sur les concessions de Rome à la contestation lefebvrienne, commencée immédiatement après le concile de Vatican II et « durcie » par Lefebvre dès les années 1970, pour aboutir au schisme de 1988. Le rappel de certaines déclarations de part et d’autre est à cet égard accablant. Gérard Leclerc, philosophe et journaliste, défenseur souvent talentueux (dans une presse quelque peu traditionnelle) des paroles et des actes des papes, ne croit pas à une influence importante de Maurras et du maurrassisme ; il insiste plutôt sur les sources antirévolutionnaires et antimodernistes de Lefebvre, sur sa formation thomiste « décadente » auprès du cardinal Billot (maurrassien notoire) et sur sa conception erronée de la « grande Tradition » catholique. À propos des événements qui menèrent au schisme, il suit l’interprétation « officielle » donnée par Rome (en particulier, sur le rôle des excès et de la chienlit postconciliaires, qui ont exaspéré Lefebvre et justifié son action) et soutient ardemment les tentatives de réconciliation anciennes et récentes. Un peu étranges sont l’estime et la considération qu’auraient manifestées à Lefebvre des responsables catholiques (dont le cardinal Lustiger) encore bien après sa rébellion, et même l’idée d’une « responsabilité partagée » de Rome et d’Ecône. La balance semble ainsi devenir presque égale – mais c’est précisément ce qui enlève de sa crédibilité à l’ouvrage : Mgr Lefebvre était ce qu’il est devenu après le concile déjà pendant et même avant le concile, et ses oppositions aux réformes de Vatican II – quoi qu’on en pense par ailleurs – sont de fond, et non pas conjoncturelles ; le négationnisme de Mgr Williamson n’est pas tombé du ciel ; et l’unité que soutient si fort (selon le point de vue catholique romain) G. Leclerc risque de se faire au détriment de la vérité.
Les ouvrages ci-dessus sont destinés à un public cultivé, mais assez large. La revue Histoire et missions chrétiennes est une revue de chercheurs, et elle est donc destinée aux historiens de métier et éventuellement aux acteurs des missions chrétiennes. Ce numéro spécial, où écrivent des spécialistes connus de l’expansion missionnaire et de ses liens avec la colonisation, ou du recul missionnaire et de ses liens avec la décolonisation, ou encore du lefebvrisme (Claude Prudhomme, Paul Airiau, Jacques Prévotat, Luc Perrin…) était en chantier bien avant les événements de janvier 2009, mais il tombe à pic. Il est à tous égards passionnant et livre une vision à la fois beaucoup plus complète et plus critique que les ouvrages précédents sur la « genèse » de l’intégrisme lefebvriste. Il analyse en particulier deux moments importants : la crise de 1927 (i.e. la période qui suit immédiatement la condamnation de Maurras) au Séminaire français de Rome, qui amène le départ forcé du P. Le Floch, supérieur vénéré par le séminariste Lefebvre, parce qu’il est soupçonné de mauvaise volonté dans la mise en œuvre de la condamnation ; l’élection en 1962 et la démission en 1968 de Mgr Lefebvre comme supérieur général des Spiritains, la congrégation missionnaire à laquelle il appartenait. Le tout est replacé dans l’ensemble des crises catholiques du xxe siècle (modernisme, maurrassisme, décolonisation et mutations de la mission, prodromes de Vatican II…). Il en ressort que Lefebvre, comme d’autres – Le Floch par exemple –, est aussi le jouet et la victime des virages « politiques » de l’Église catholique au xxe siècle – en fonction d’options et de stratégies nouvelles à tenir face aux sociétés modernes, tandis que Lefebvre fait du surplace sur à peu près tout (qu’il s’agisse de théologie ou de rôle de l’Église dans la société moderne) tout en s’estimant le parangon de la fidélité à une Église qui se détache de lui… Il a fini par se détacher d’elle en allant au schisme, dans une contradiction logique extrême puisqu’il rompait avec l’Église catholique, la seule Vérité objective, au nom de sa Vérité subjective à lui, ou qu’en dépit de sa détestation de Luther par exemple, il refaisait son geste de rupture.Ces travaux savants contredisent en partie les ouvrages « grand public » : il se peut que Lefebvre ait été moins bon maurrassien que certains ne le pensent, la « romanisation » demandée par Pie XI comme constitutive dans la formation des futurs prêtres servant en partie de pare-chocs contre le refus de la condamnation de Maurras. Ce que n’ont pas vu les nombreux adeptes de Maurras, c’est qu’il n’y avait pas seulement une condamnation doctrinale de Pie XI, mais un changement de politique – en l’occurrence l’acceptation de la démocratie et de la république amorcée dès Léon XIII en 1890. L’incompréhension, chez Lefebvre, de cette évolution et d’autres en cours – la décolonisation, la crise missionnaire amorcée dès les années 1950 et les nouvelles requêtes internes de sa congrégation – font ressortir ses positions traditionalistes de plus en plus exacerbées, mais aussi son erreur d’interprétation, jusqu’au bout, de la nouvelle donne dans l’Église. L’homme qui condamnait en 1962 « nos idées propres » pour défendre l’obéissance à l’Église était loin de penser qu’un jour, en 1988, il prendrait la décision de fonder une Église schismatique. En réalité, il a fini par comprendre tardivement que l’Église changeait, et il ne l’a pas supporté. Au total, on peut dire, comme Leclerc mais pas dans le même sens que lui, que les responsabilités sont partagées. En même temps, l’affaire Lefebvre est si intéressante parce que son issue à la fois inverse et confirme la tendance depuis le xixe siècle : ce n’est pas un libéral qui est condamné, mais un intransigeantiste extrême qui, de rage, se met lui-même à la porte de l’Église. Mais celle-ci, finalement, ne cesse de regretter son départ, puisqu’elle cherche à réparer cette anomalie et à trouver la clé pour faire revenir la brebis égarée dans un bercail moins changé qu’il ne le pensait.
Jean-Louis Schlegel
Raymond Bellour, LE CORPS DU CINÉMA. Hypnoses, émotions, animalités, Paris, POL, coll. « Trafic », 637 p., 30 €
Raymond Bellour a publié en 1979 un classique des études cinématographiques, l’Analyse de film, inspiré des théories structuralistes et psychanalytiques de l’époque, notamment de la sémiologie de Barthes et son application au cinéma par Christian Metz. Il était alors le premier en France à utiliser systématiquement l’arrêt sur image pour chercher à établir le texte d’un film. À l’époque déjà, R. Bellour reconnaissait les limites d’une telle opération, qui brutalise les conditions réelles de la vision d’un film en contrevenant au défilement des images, inéluctablement fuyantes. Il utilisait d’ailleurs l’expression de texte introuvable, la plasticité des images et la durée des plans ne se laissant pas réduire à un ensemble de signes.
Trente ans plus tard, alors que la sémiologie du cinéma est tombée depuis longtemps en désuétude, Raymond Bellour substitue à l’idée d’un texte filmique l’expression de corps du cinéma. Le texte d’un film, ce n’est que la pellicule, la succession des photogrammes perçus comme agencements de signes. Le corps du cinéma désigne un objet d’étude beaucoup plus vaste : ce n’est plus seulement le film qui est analysé, mais le cinéma comme phénomène historique et comme dispositif de projection. Le terme de « corps » indique la matérialité plastique de l’image cinématographique, mais aussi le corps réel du spectateur, plaque sensible où s’impriment les images qui défilent, et enfin le corpus du cinéma. Raymond Bellour respecte l’ampleur historique, géographique et esthétique de ce corpus, passant des vues Lumière au cinéma asiatique contemporain, du cinéma américain classique qu’il étudie depuis l’Analyse du film au cinéma expérimental auquel il s’était ouvert dans l’Entre-images. Pour s’intéresser au tout du cinéma, pour tenter de recomposer son corps, Raymond Bellour entrelace discours philosophique, étude historique et analyse esthétique : son livre est une histoire anglée du cinéma, une réflexion philosophique sur son dispositif, une théorie psychique et biologique de la réception, une esthétique baroque du plan comme pliure.
Hypnoses, émotions, animalités : le sous-titre du livre décrit les trois étapes de sa pensée. L’hypothèse guidant la première partie présente le cinéma comme la continuation par d’autres moyens du spectacle de l’hypnose. Le deuxième chapitre déplie les implications de cette filiation sur la pensée du cinéma, en pointant les puissances de fascination du dispositif, du film et du plan, et en décrivant l’émotion du spectateur. La partie intitulée « Animalités » peut apparaître comme un décrochage thématique. Centrée sur la présence animale dans le cinéma américain et européen, elle est rattachée presque artificiellement au reste du livre par l’idée que le cinéma, comme l’hypnose (le « magnétisme animal » de Mesmer) agit sur une partie obscure et primitive du corps. Mais il s’agit plus véritablement, et c’est là que réside la cohérence du livre, d’un réagencement et d’une application des avancées théoriques du livre par de longues analyses de séquences. L’animal y apparaît alors comme le miroir fascinant de ce qui, au cinéma (dans le film et chez le spectateur), est « pur mouvement, ligne de fuite, intensité et défi de tout sens ».
Le cœur théorique du livre tient dans l’idée que le cinéma est une forme légère d’hypnose. Prenant le contre-pied des théories psychanalytiques des années 1970 qui comparaient film et rêve via la théorie lacanienne du stade de miroir, la thèse de Raymond Bellour a l’avantage de s’appuyer sur un véritable ancrage historique. L’auteur décrit comment la découverte du magnétisme animal par Mesmer, à la fin du xviie siècle, a donné naissance à de véritables spectacles spirites, lors de séances publiques d’hypnose, où la musique, les miroirs et un aimant étaient censés favoriser la circulation des fluides. Au xixe siècle, invention de la photographie et hypnose s’entrelacent autour de l’idée ésotérique d’une spectralité du monde. C’est dans ce contexte que la naissance du cinéma, contemporaine de celle de la psychanalyse, fut tout de suite récupérée par les grands hypnotiseurs qui organisaient des projections au cours de leurs séances.
Le livre n’est pas une histoire de l’hypnose au cinéma. Il distingue cependant un cinéma primitif où les films spirites et divinatoires étaient utilisés par les hypnotiseurs lors de séances publiques d’un cinéma narratif qui utilise l’hypnose comme élément narratif et figuratif. Premier chef-d’œuvre de ce cinéma, Mabuse le joueur de Fritz Lang est le film clé du livre. Raymond Bellour ne cesse d’y revenir et parvient à poser l’identité du dispositif cinématographique et du regard de Mabuse dans le double film, grâce à une analyse structurale magistrale. L’auteur montre comment la mise en scène organise autour de Mabuse, de son œil et des instruments de vision qu’il utilise (jumelles, lunettes, cristal) une géométrisation de l’espace qui repose sur trois figures, le cercle, le faisceau triangulaire et le rectangle, qui mettent en abîme le dispositif cinématographique en désignant respectivement l’objectif de la caméra, le faisceau de la projection et l’écran.
Raymond Bellour enrichit sa description de l’hypnose des apports scientifiques du neurologue américain Lawrence Kubie pour distinguer le processus d’induction de l’état qui s’ensuit. L’hypnose s’exerce selon un dispositif qui s’applique bien au cinéma : immobilisation du corps du patient, fixation de l’œil sur un point fixe, monotonie rythmique, isolation perceptive. Certains films du cinéma moderne ou du cinéma expérimental peuvent dès lors être vus comme des inductions hypnotiques en acte. C’est le cas par exemple de L’année dernière à Marienbad, avec sa voix off monocorde lisant les phrases circulaires de Robbe-Grillet ou de certains films expérimentaux qui reposent sur la régularité rythmique de la répétition des mêmes motifs ou de l’alternance d’ombre et de lumière.
Les apports théoriques de François Roustang permettent à l’auteur de comprendre comment le cinéma est passé d’une représentation de l’hypnose comme centre magique d’images-actions (vecteur de l’omnipotence maléfique de Mabuse, par exemple) à sa figuration décentrée, problématique, oblique dans le cinéma moderne. F. Roustang décrit l’hypnose comme un « éveil paradoxal » et perçoit quatre étapes dans l’induction hypnotique : fascination, confusion, hallucination et énergie. L’hypnose comme fascination : c’est Werner Herzog qui hypnotise les acteurs de Cœur de verre pour faire des paysans de la campagne bavaroise des corps somnambuliques fascinés par les visions et les prédictions d’un prophète. L’hypnose comme confusion, c’est, dans Le septième ciel de Benoît Jacquot, la découverte de l’orgasme par l’héroïne grâce à la manière dont un hypnotiseur lui fait projeter sur l’écran du fantasme ses désirs refoulés. Epidemic, le film sur la peste de Lars von Trier, se finit par la séquence documentaire de la fête de fin de tournage lors de laquelle un hypnotiseur plonge l’une des invitées dans la fiction du film, ce qui provoque chez elle une très violente crise hallucinatoire. L’hypnose comme énergie, enfin : c’est le prologue du Miroir où Tarkovski montre un bègue guéri par une hypnose télévisuelle.
La fascination cinématographique est le lieu d’une hypnose légère, ce qui laisse la possibilité d’être un spectateur pensif, réfléchi. Le noir de la salle de cinéma et l’immobilisation du corps du spectateur l’induisent vers un pré-sommeil. Seule la puissance de fascination du film le tient éveillé. Un beau plan de Voyage à Tokyo, où une forme ronde translucide au premier plan vient désigner le parc pour enfant d’où un nourrisson regarde la même scène que le spectateur, et le plan célèbre de Persona d’Ingmar Bergman où un enfant touche l’image de sa mère, conduisent l’auteur à s’intéresser aux concepts inventés par Daniel Stern dans le Monde interpersonnel du nourrisson (1985). R. Bellour précise qu’il n’établit qu’« une analogie de situation quant à la réalité ontologique, perceptive et environnementale – la chambre d’enfant et de cinéma, où le monde se compose et se recompose à chaque instant pour le spectateur comme pour le bébé », car il refuse toute application littérale et systématique des concepts scientifiques. Dans un dialogue maïeutique d’une incongruité réjouissante, R. Bellour critique le courant cognitiviste des études cinématographiques américaines contemporaines, à qui il reproche de considérer les films comme des variantes d’une norme narrative et stylistique fondée idéologiquement, et d’appliquer aux films des schémas cognitifs préexistants, sans se demander si les vraies œuvres cinématographiques n’inventent pas de nouveaux circuits dans le cerveau, comme le voulait Deleuze.
Dans la construction d’un sens de soi du bébé, défini comme conscience élémentaire, non réflexive, un concept retient l’attention de l’auteur : c’est ce que Stern appelle la perception amodale des affects de vitalité. Il s’agit de la capacité du nourrisson à transférer l’expérience perceptive d’une modalité sensorielle à une autre, en effectuant notamment des transferts visuo-haptiques, grâce à ces représentations abstraites qui ne sont pas des images ou des sons, mais des formes, des intensités, des figures temporelles que Stern nomme affects de vitalité. Aux émotions catégorielles de la psychologie traditionnelle (tristesse, bonheur, colère…) se substituent des termes dynamiques, kinétiques comme le fugace, l’explosif, l’évanouissement, le surgissement ou le crescendo. Au cinéma, ces émotions naîtraient de tout ce qui se meut dans l’image :
Les rapports rythmés de plan à plan selon toutes les lenteurs et les vitesses possibles, la répartition des matières et des masses dans l’espace du cadre, les variations de la lumière comme de la couleur, la physicalité des corps, des gestes, et celle, si particulière, des mouvements de caméra.
Raymond Bellour semble toucher au cœur du cinéma quand il décrit dans sa corporéité, sa matérialité, la séquence initiale de Mademoiselle Oyu de Mizoguchi, lente balade dans des bois filmée en un long travelling qui fait se courber les bambous. Le plan est décrit comme pliure entre deux intervalles :
Il y a d’un côté l’intervalle proprement dit entre les arbres et le bambou, entre les troncs de chacun d’eux : intervalle variant continuellement au fur et à mesure que le corps de l’acteur et celui de la caméra les découvrent. Il y a d’autre part, de façon plus abstraite, mais toujours matérielle, l’intervalle comme unité de plus en plus petite de l’espace-temps homogène au gré duquel ce mouvement s’effectue en passant d’un arbre-bambou à l’autre et en dévoilant l’espace changeant du sous-bois – jusqu’à l’invisible et indécomposable matière du photogramme, qui constitue l’inconscient machinique du dispositif de projection.
Dans l’Analyse de films, Raymond Bellour travaillait à partir des photogrammes pour tenter de comprendre un hypothétique texte filmique ; dans l’Entre-images, il s’intéressait aux plans figés et aux photographies qui s’introduisaient dans le cours d’un film pour en arrêter le mouvement ; désormais c’est à l’intérieur même des plans en mouvement qu’il cherche à comprendre comment le photogramme peut devenir sensible aux yeux du spectateur – et l’émouvoir. L’émotion du spectateur, si particulière, proche d’une fascination hypnotique, est la réception et l’agencement toujours particuliers, uniques à chaque plan et à chaque spectateur, des affects primaires mis en jeu dans l’image. C’est une façon toujours nouvelle de plier son corps aux intervalles entrouverts par le plan, pour se trouver une place dans les interstices laissés vacants entre les figures et devenir sensible à tout ce qui vibre dans l’image. Ce qui requiert du spectateur la vitesse d’adaptation d’un enfant éveillé et une agilité tout animale – l’énergie hallucinatoire d’un somnambule.
Olivier Cheval
Brèves
Jean-Luc Nancy, LE PLAISIR AU DESSIN, Paris, Galilée, 2009, 144 p., 23 €. Jean-Luc Nancy, DIEU. LA JUSTICE. L’AMOUR. LA BEAUTÉ. Quatre petites conférences, Paris, Bayard, 2009, 160 p., 18 €
Faire advenir par le geste ou la parole. Ne jamais perdre le sens de la tension et ne pas se laisser fasciner par l’achevé. Reprenant citations, réflexions, dessins d’Adami, d’Alechinsky, de Le Gac ou Rouan…, explorations conceptuelles et choix esthétiques qui ont présidé à une exposition présentée au musée des Beaux-Arts de Lyon (2007-2008) dont il était le commissaire, Jean-Luc Nancy s’arrête dans cet ouvrage sur le sens même du dessin. Le dessin préfigure ce qui se croit achevé mais ne le sera jamais. Le dessin est ici un « dessein » où le trait est aussi un art de penser. Ce que résume bien Henri Maldiney : « Dans le dessin, chaque trait appartient à tout l’espace et conspire avec tous les autres, dans le rythme des vides et des pleins, avant d’élucider toute proposition figurative. “La dimension formelle” est la dimension selon laquelle la forme se forme, c’est-à-dire la dimension rythmique. » Reprenant parallèlement des conférences, mais jamais des soliloques, qui s’adressent directement à des enfants, le philosophe s’inquiète de la possibilité de philosopher avec ceux-là mêmes dont on croit qu’ils ne sont pas en âge de philosopher (c’est le même projet qui sous-tend la collection « Giboulées » de Gallimard jeunesse animée par Myriam Revault d’Allonnes, les deux derniers titres portent sur la justice – Céline Spector – et la mort – Françoise Dastur). Au fil des échanges, un thème intervient de manière récurrente aussi bien dans le cas de l’amour que de la foi (deux des thèmes choisis avec la beauté et la justice), ou de la fidélité : « La fidélité, cela ne consiste pas à croire, donc à supposer que, d’après certaines connaissances qu’on a, on imagine que ce sera conforme à ce qu’on croit. La fidélité, c’est justement ne pas savoir du tout ce qu’il en est. » Qu’il s’agisse du dessin ou de la parole philosophique adressée aux enfants, Jean-Luc Nancy explore dans les deux cas ce temps de « la mise en forme » qui n’est ni l’informe ni la forme achevée mais la recherche de l’idée partagée qui ne va pas sans plaisir. C’est le leitmotiv d’une réflexion au long cours qui ne cesse de scruter la mise en sens qui passe par une mise en forme.
O. M.
Jean-Paul Willaime, LE RETOUR DU RELIGIEUX DANS LA SPHÈRE PUBLIQUE. Vers une laïcité de reconnaissance et de dialogue, Lyon, Olivétan, 2008, 110 p., 14 €
Le mot « reconnaissance » dans le titre de ce petit livre fera sursauter celui qui est attaché farouchement à la lettre de la loi de 1905. Que la République « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte » (art. 2) fait en effet partie des piliers, pour ne pas dire des « dogmes » de la laïcité française. Mais J.-P. Willaime explique avec beaucoup d’arguments pourquoi et comment la laïcité de la tradition française est atteinte par l’ultramodernité de nos sociétés postdémocratiques, et par l’ultramodernité religieuse en particulier. On peut discuter sur les mots pour le dire, mais le réel s’impose, et en particulier la « sécularisation », maintenant, de la modernité elle-même, qui fait que les conditions du travail, du politique, de l’école, de la famille ont radicalement changé et que ces changements ne sauraient épargner l’idée laïque elle-même, sauf à en faire paradoxalement le dernier sanctuaire d’un « sacré ». La force des convictions minoritaires, de l’action européenne (quel que soit le regard critique qu’on porte sur elle), de la présence de nouvelles religions, de l’irruption du fait religieux dans la sphère publique, etc. a changé la donne au point que l’idée d’une « laïcité de reconnaissance » ne paraît ni contradictoire ni absurde, plutôt nécessaire. D’ailleurs, on constate que les pays de vieille reconnaissance sont eux aussi contraints à bouger leur ligne de séparation du religieux et du politique.
J.-L. S.
Thierry Paquot, L’ESPACE PUBLIC, Paris, La Découverte, coll. « Repères », 2009, 128 p., Thierry Paquot (sous la dir. de) GHETTOS DE RICHES. Tour du monde des enclaves résidentielles sécurisées, Paris, Perrin, 2009, 200 p., 20 €
L’originalité de l’ouvrage de Thierry Paquot réside dans sa volonté de penser l’espace public « au singulier » et « au pluriel » : d’un côté l’« espace public » comme lieu du débat politique et sphère de la communication au sens de Habermas, et de l’autre les « espaces publics » comme ces endroits accessibles au public (parcs, jardins, places, lieux de vie urbains…) qui sont de plus en plus fréquentés indépendamment de leur statut juridique (un lieu privé ouvert au public comme un centre commercial sera ainsi qualifié d’« espace public »). Tout en insistant sur la variable historique et géographique (voir les pages sur le Japon), l’auteur se méfie d’une approche purement spatiale pour saisir comment les espaces publics rendent ou non possibles des pratiques démocratiques et un « agir communicationnel ». Placé sous l’égide de penseurs comme Isaac Joseph ou Georg Simmel, ce livre s’ouvre sur une lecture précise et critique du livre de référence de Habermas (l’Espace public), se prolonge par un descriptif de l’évolution des espaces de sociabilité (salons et cafés) avant de privilégier l’analyse concrète des pratiques et usages urbains. Ce qui permet de conclure par des remarques très contemporaines relatives à la mobilité et à la « privatisation de l’espace public ». Sur ce dernier thème, on peut se reporter à un ouvrage collectif (coordonné par le même Thierry Paquot) qui met en scène de manière objective des « ghettos de riches » sous la forme d’un « tour du monde des enclaves résidentielles sécurisées » aux États-Unis mais aussi en Europe, Amérique latine, États-Unis, Afrique, Asie et Océanie.
O. M.
Pierre-Noël Giraud, LA MONDIALISATION. Émergences et fragmentations, Paris, Éditions Sciences humaines, 2008, 168 p., 10 €
Depuis deux décennies, l’économiste Pierre-Noël Giraud forge, non sans modestie ni obstination au sein d’un milieu qui selon lui discute peu (voir notre dossier de novembre 2009), des concepts spécifiques et promeut une réflexion originale sur les ressorts de la mondialisation actuelle qui, selon lui, combine trois globalisations qui interfèrent : la globalisation des firmes, la globalisation de la finance et la globalisation numérique. De l’analyse de cette triple globalisation, l’auteur de l’Inégalité du monde et du Commerce des promesses conclut à une fragmentation des territoires qui participe d’un accroissement des inégalités à l’intérieur des territoires et entre eux. La mondialisation morcelle plus qu’elle n’unifie le monde, la démonstration en est faite ici à propos de ce qui apparaît alors comme une quatrième globalisation (la globalisation territoriale). Tout en proposant une théorie subtile et clairement exposée sur la nécessité d’équilibrer dans chaque territoire les emplois compétitifs (les globalisés) et des emplois protégés (ce qui passe par l’action des États qu’il est nécessaire de « constituer » là où il n’y en a pas). S’attardant particulièrement sur les territoires « délaissés » comme l’Afrique, l’auteur en appelle à une posture « réformiste », la seule possible selon lui et plus urgente que jamais. « Malgré les controverses sur les chiffres mesurant l’inégalité mondiale, il semble bien que la situation soit la suivante : certaines inégalités internationales se réduisent spectaculairement, d’autres s’accroissent, les inégalités sociales augmentent presque partout. L’inégalité globale varie assez peu. Peut-on imaginer un scénario où l’inégalité du monde serait vraiment réduite ? » C’est justement ce que propose P.-N. Giraud dans cet ouvrage rigoureux et précieux.
O. M.
Elsa Vivant, QU’EST-CE QUE LA VILLE CRÉATIVE ?, Paris, PUF, coll. « La ville en débat », 2009, 92 p., 8 €
Ce petit livre fort bien enlevé est à la fois utile et éclairant. Utile dans la mesure où il présente les principales thèses et les arguments majeurs du travail controversé de Richard Florida, le théoricien de « la ville créative » dont Los Angeles est l’archétype, et dont les critères sont aujourd’hui retenus par de nombreux responsables et gestionnaires urbains (« Richard Florida propose d’utiliser plusieurs indicateurs, chacun révélant une caractéristique de la ville créative : le talent [nombre de personnes diplômées à bac + 4], la technologie [nombre de brevets déposés] et la tolérance qui prend en compte la diversité, le poids de la communauté homosexuelle, et celui de la bohème artiste »). Éclairant, ce livre l’est au sens où il montre l’ambiguïté sociologique de cette notion, proche de celle de « gentrification » qui repose sur un décalage chronologique dans la transformation d’un quartier ou d’un lieu urbain. En effet, la ville créative est initialement le fait d’habitants artistes bohèmes et marginaux qui redonnent vie à des quartiers à l’abandon avant d’être l’objet, par le biais du foncier et de la rénovation urbaine, d’une appropriation par une classe aisée et gentrifiée qui tire les bénéfices du changement d’image de l’espace concerné. Mais les deux hypothèses ne sont pas incompatibles : « On peut voir ainsi comment l’artiste off peut jouer un rôle moteur dans la revalorisation d’un quartier ouvrant à un processus de gentrification. Celle-ci est le fait d’une population très proche de ces artistes dont elle partage les dispositions et les contraintes comme la fragilisation des revenus et la nécessité de disposer des opportunités offertes par la ville. » Pour Elsa Vivant, la gentrification créative fait moins l’objet d’une discussion que la volonté d’instrumentaliser les indicateurs de R. Florida et de forcer la création en multipliant les scènes artistiques off alors même que l’expression urbaine repose sur la « sérendipité », c’est-à-dire sur le rôle du hasard dans les découvertes artistiques. La scène off ne se décrète pas, on n’impose pas l’artistique… C’est pourtant l’erreur souvent commise par des édiles urbains en recherche d’images fortes, de logos et de symboles.
O. M.
Alain Supiot, L’ESPRIT DE PHILADELPHIE. La justice sociale face au marché total, Paris, Le Seuil, 2010, 192 p., 13 €
« Le marché total », Alain Supiot en décrit les ravages et les soubassements (le scientisme propre aux deux totalitarismes et la dogmatique de l’économie marchande). « La justice sociale », il en rappelle les ressorts historiques : l’esprit de Philadelphie est d’abord celui de la première Déclaration internationale des droits à vocation universelle qui a été proclamée en 1944 avant la Déclaration des droits de l’homme en 1948. « Il s’agit d’un texte pionnier qui tendait à faire de la justice sociale l’une des pierres angulaires de l’ordre juridique international », et à valoriser des droits qui, loin d’être abstraits, sont caractérisés par la prise en compte des faits, à commencer par l’effectivité concrète du travail (« La justice sociale est un principe d’action. Sa mise en œuvre dépend donc d’une juste représentation des faits et ne peut se réduire à l’application d’un système de règles prédéfinies »), et par des principes de base qui orchestrent les chapitres de la dernière partie. Cinq chapitres correspondant à cinq « sens » : « Il faut retrouver l’usage des cinq sens fortement émoussés par trente années de politique d’ajustement de l’homme aux besoins de la finance : le sens des limites, de la mesure, de l’action, de la responsabilité et de la solidarité. » Ce livre, indissociable du climat créé par la crise financière de septembre 2008 et la transformation postfordiste des conditions de travail (ce qui nous vaut des références fortes à la Condition ouvrière de Simone Weil), est un ouvrage rigoureux et « passionné » qui s’inquiète de l’actuelle dégradation du droit social orchestré à la fois par un respect religieux des dogmes de l’économie de marché et par la conception de la concurrence véhiculée par l’institution européenne. En cela, l’Esprit de Philadelphie s’inscrit dans le sillage des travaux universitaires d’Alain Supiot sur l’homo juridicus et de ses recherches élaborées dans le cadre européen sur l’emploi. Mais l’approche historique proposée ici n’est pas sans originalité puisque A. Supiot analyse l’évolution récente de l’Europe dans le contexte de la chute du mur de 1989 qui a selon lui favorisé une rencontre/collusion aux effets dramatiques entre les élites gestionnaires issues de l’ouest démocratique et des élites issues des pays communistes doublement méfiantes envers l’État et la démocratie. Retrouver l’esprit de Philadelphie, c’est donc « remettre au jour, sous les décombres de l’idéologie ultralibérale, cette œuvre normative de la fin de la guerre » dans un contexte qui n’est plus celui du monde industriel mais celui de la mondialisation économique portée par les nouvelles technologies.
O. M.
En écho
QUELLE PERSPECTIVE ? – L’homme a-t-il encore une perspective ? S’appuyant sur une comparaison entre la perspective architecturale telle qu’elle fut pensée et conçue à la Renaissance et le trouble, pour ne pas dire le brouillage, contemporain de la perspective, la revue Communications (Le Seuil, 2009, no 85) propose un dossier fort original. Tel est le constat : à l’échelle micro, de « gigantesques monuments de verre et d’acier » (style Zaha Hadid) ou « à l’échelle macro (mégalo) de villes entières, la vue est absorbée par une démultiplication d’obstacles transparents qui crée une impression d’espace labyrinthique à la Escher sans limites ni issue ». Telle est la question : « Ce n’est pas une métaphore que de parler de la question de la perspective. Car, historiquement, celle-ci est liée à la capacité du sujet à s’élaborer comme tel en explorant et découvrant les champs de vision qui s’offrent à lui et dans lesquels il est amené à vivre. Exploration et découverte réclament que l’on ne soit pas fixé, rivé, immobilisé en un point donné et définitif, mais au contraire que l’on pense “toujours ailleurs”. » Et telle est l’invitation de Montaigne qui traduit bien l’esprit de cebeau numéro : « Un mouvement entraînant l’autre, il est bon de changer de positions pour changer de point de vue. Sortir de soi d’abord : se réjouir et s’étonner d’être si divers, se regarder agir, sentir son corps et suivre ses pensées dans leurs états successifs. Bref, se quitter un peu. »
L’ISLAM EN ALLEMAGNE – La revue allemande Herderkorrespondenz, revue culturelle catholique dirigée par des laïcs et publiée par les éditions Herder (Freiburg-in-Breisgau), publie un numéro spécial sur les musulmans en Allemagne (plus de quatre millions), sous le titre Die unbekannte Religion (« la religion inconnue »). Beaucoup d’informations factuelles (données numériques, organisations, situation juridique dans le droit en général et le droit des religions allemand en particulier, construction des mosquées, formation des imams) côtoient des réflexions « théologiques » sur le devenir de l’islam comme doctrine et religion et sur les avancées et difficultés du dialogue islamo-chrétien. La comparaison avec la France serait passionnante. Il est toujours étonnant de voir le mélange – évident pour les Allemands – de considérations parfaitement « laïques » et d’autres proprement religieuses. Une façon d’envisager l’intégration dans une globalité devant laquelle la tradition française est plus que réticente.
LE PATRIMOINE RELIGIEUX AU QUÉBEC – Dans sa dernière livraison, la revue Urbanisme (novembre-décembre 2009, n° 369) propose un dossier sur les villes méditerranéennes ainsi qu’un long entretien avec Luc Noppen, titulaire de la chaire de recherche du Canada en patrimoine urbain. Sa réflexion porte sur l’originalité de l’architecture québécoise, sur la différence architecturale qui intervient entre Québec et Montréal (voir ce qui distingue les « longères » et la maison montréalaise). Mais retient surtout l’attention la question du patrimoine religieux. Après la « révolution tranquille » qui a vu la désertification des églises, « 80 % des Québécois se disent de culture chrétienne catholique et revendiquent la présence de ces bâtiments comme de marqueurs forts de leur environnement ». Les Québécois restent attachés aux églises, mais ils ne savent pas trop à quoi elles pourraient servir. Pour Luc Noppen ce sujet de la conversion des lieux de culte est plus avancé au Québec qu’en France : « Il me semble que le spectre de 1905 et des inventaires a laissé des traces en France. L’avenir des églises tend à être un sujet tabou entre ceux qui réfléchissent aux effectifs de la pratique religieuse et ceux, encouragés par l’histoire, qui ne sentent pas concernés par les propriétés communales ou celles de l’État. J’ai de la difficulté avec ce discours qui veut que tout aille bien, que l’État ait les choses bien en main. »
FRANCE, ENJEUX TERRITORIAUX – La revue de géographie et de géopolitique (Hérodote, 4e trimestre 2009, no 135, 21 €) propose un dossier sur les réformes territoriales en cours. Dans un texte d’ouverture, extrêmement précis et documenté, Béatrice Giblin passe en revue tous les arguments avancés pour défendre les réformes présidentielles annoncées (organisation des territoires, compétences, la taxe professionnelle) afin de les critiquer. « Dans toutes les réformes décidées par le président, c’est bien l’existence des contre-pouvoirs qui est affaiblie à mesure que l’exécutif est renforcé. » Elle en conclut à la fin de l’ère de la décentralisation inaugurée au début des années 1980 et à une recentralisation par l’État. Ce que confirme Philippe Subra qui montre le rôle du (non-)débat sur le GrandParis dans ce contexte d’une réforme institutionnelle en trompe-l’œil. « Plus que jamais, l’avenir de la métropole dépend des rapports de force que les élus, de gauche et de droite, maires de banlieue et de Paris ou responsables de la région, seront capables d’établir avec l’État. »
L’APRÈS-CRISE ? – Dans Le Débat (Gallimard, novembre-décembre 2009, n° 157) on lira plusieurs contributions destinées à éclairer le contexte de l’après-crise. Alors que Jean-Luc Gréau, l’auteur du Capitalisme malade de la finance, jette les bases d’une réforme de système bancaire, les articles de Geoff Mulgan, le directeur de la Young Fondation, tirent toutes les conséquences d’une crise qui n’a rien de passager puisqu’elle nous fait changer de monde. « Quand aura succédé au système capitaliste, écrit Paul Jorion, celui qui est destiné à prendre sa suite, la succession de l’un par l’autre n’apparaîtra pas comme ce qu’elle sera : la substitution d’un système neuf à un autre cassé. Elle sera au contraire perçue comme le triomphe de la Raison : l’évacuation sans gloire d’une classe corrompue, et terrassée par ses propres outrances. »
Avis
Les conférences « Esprit Public », organisées par Terra Nova, Esprit. Alternatives économiques et la mairie du 3e arrondissement de Paris se poursuivent les prochains mois. En janvier, François Chérèque, secrétaire général de la Cfdt, fera le point sur la « Crise sociale. Bilan et perspectives » (mardi 26 janvier, 19 h-21 h, salle Odette Pilpoul, mairie du 3e, 2, rue Eugène-Spuller, 75003 Paris, Tel : 01 53 01 75 45).
En partenariat avec Esprit, la Fnac organise deux rencontres publiques sur les « contrecoups de la crise » : « Au-delà de la crise financière » avec Michel Serres pour son livre le Temps des crises (Éd. Le Pommier) et Olivier Mongin, le 21 janvier à 17 h 30 ; « Face à la crise » avec Marc Guillaume, auteur de Vers un autre monde économique (Descartes & Cie), Alain Lipietz, auteur de Face à la crise : l’urgence écologique (Textuel) et Philippe Frémeaux (Petit dictionnaire des mots de la crise, Les petits matins) le 22 janvier à 17 h 30. Fnac des Ternes, Paris.
En association avec l’École nationale de la magistrature, Esprit, le Centre Perelman de philosophie du droit et le Centre de théorie politique de l’Université Libre de Bruxelles, l’Institut des hautes études sur la justice consacre cette année le séminaire de philosophie du droit aux « Figures de l’anti-juridisme. De la pensée française à la critique des droits de l’homme ». Ces travaux permettront d’écouter le 11 janvier 2010, Justine Lacroix : « Le droit-de-l’hommisme. Retour sur un débat français ». Le 25 janvier 2010, Pierre Guenancia : « Vérité en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà (la critique pascalienne du droit et de la politique) ». Le 8 février 2010, Philippe Raynaud : « Les Lumières françaises et la monarchie : aux origines de l’“anti-juridisme” français ». Le 15 février 2010, Laurent de Sutter : « Après la critique du droit (à propos d’Althusser) ». Le 15 mars 2010 : Perrine Simon-Nahum, « François Furet, penseur des droits de l’homme. Controverse autour d’un héritage ». Le 29 mars 2010 : Frédéric Gros, « Foucault et le droit des gouvernés ». Les conférences ont lieu de 18 h à 20 h à l’Enm, 3ter, quai aux fleurs, 75004 Paris ou sont accessibles sur l’internet (www.ihej.org). Contacts : jhubrecht@ihej.org ; mhami@ihej.org, Tel : 01 40 51 02 51, Fax : 01 44 07 13 88.
Après une série de numéros qui ont permis de suivre les contrecoups de la crise tout en dessinant les lignes de force des transformations du monde, nous observerons en février les formes et les effets de l’effervescence des questions religieuses en Europe et dans le monde. La stratégie actuelle du Vatican, difficilement lisible, apparaît en décalage, tant sur le plan politique que spirituel, avec les aspirations qui se manifestent dans les pratiques religieuses (pélerinages, moeurs, éthique…) mais aussi avec les questions irrésolues venues de la tradition.
Par la suite, nous reviendront à la politique française, dans le contexte des élections régionales de mars, pour comprendre si une évolution de fond se manifeste à travers les ajustements menés par le gouvernement actuel au nom du pragmatisme. Derrière les débats bruyants destinés à occuper le devant de la scène, des évolutions plus déterminées se dessinent dans lesquelles l’État, même s’il est remis en cause comme employeur et gestionnaire, est valorisé dans ses fonctions régaliennes et réaffirmé contre les autres pouvoirs, en particulier locaux.
- 1.
Christopher Caldwell, Reflections on the Revolution in Europe. Immigration, Islam and the West, New York, Doubleday, 2009.
- 2.
Voir Claire Berlinski, Make Way For the New Europeans, The Washington Post, 9 août 2009 ; Dwight Garner, A Turning Tide in Europe as Islam Gains Ground, The New York Times, 30 juillet 2009 ; Fouad Ajami, Strangers in the Land, The New York Times, 2 août 2009 ; Ann Applebaum, Portents, The New Republic, 10 novembre 2009 ; A Treacherous Path?, The Economist, 27 août 2009 ; Malise Ruthven, The Big Muslim Problem, The New York Review of Books, 17 décembre 2009 ; citation the best on the subject : Ross Douthat, “Europe’s Minaret Moment”, The New York Times, 6 décembre 2009.
- 3.
Compte rendu d’Andrew Moravcsik pour Foreign Affairs, septembre-octobre 2009.
- 4.
Voir le compte rendu de Matt Carr, Christopher Caldwell Dissected, Institute of Race Relations, à l’adresse http://www.irr.org.uk/2009/july/ha000011.html, notamment sur les réfugiés soudanais en Égypte, sur l’affaire de l’objet en forme de cochon à Dudley (Grande-Bretagne) en 2005, sur l’hôtesse de British Airways prétendument renvoyée pour le port d’une croix, sur les omissions historiques sur les liens entre la chrétienté et le monde musulman, sur les chiffres d’émigration depuis la Hollande, etc.
- 5.
« Violences urbaines de l’automne 2005 », ensemble de documents disponibles à l’adresse
http://www.strategie.gouv.fr/article.php3?id_article=353&var_recherche=violences+urbaines
- 6.
Une version de ce rapport est parue sous ce titre dans Esprit en octobre 2006.
- 7.
Le rapport du Crisis Group est disponible à l’adresse http://www.crisisgroup.org/home/index.cfm?l=2&id=4014
- 8.
Voir Xavier Ternisien, « L’islam européen, version anglaise », Le Monde, 11 août 2006.
- 9.
Voir Eurobaromètre, The European Constitution: Post-Referendum Survey in France, http://ec.europa.eu/public_opinion/flash/fl171_en.pdf
- 10.
Sur les évolutions positives et négatives de l’islam en France, voir notre ouvrage avec J. Laurence, Intégrer l’islam. La France et ses musulmans, enjeux et réussites, Paris, Odile Jacob, 2007. Plus généralement, voir aussi les travaux d’Olivier Roy, notamment l’Islam mondialisé, Paris, Le Seuil, 2002.
- 11.
Voir le rapport Global Trends 2025: A Transformed World, http://www.dni.gov/nic/PDF 2025/2025_Global_Trends_Final_Report.pdf
- 12.
Pews Forum on Religion and Public Life, Mapping the Global Muslim Population, octobre 2009, http://pewforum.org/newassets/images/reports/Muslimpopulation/Muslimpopulation.pdf. ; pour une source Ined, voir Arnaud Régnier-Loilier et France Prioux, « La pratique religieuse influence-t-elle les comportements familiaux ? », Populations et sociétés, juillet-août 2008, no 447.
- 13.
Pour la question du nombre de musulmans potentiels en France et en Europe, voir J. Laurence et J. Vaïsse, Intégrer l’islam…, op. cit., p. 34-40.
- 14.
Anne Herm, Recent Migration Trends: Citizens of EU-27 Member States Become Ever More Mobile While EU Remains Attractive to Non-EU Citizens, Eurostat, Statistics in Focus, http://epp.eurostat.ec.europa.eu. Pour une critique et une mise en perspective de ces chiffres, voir Michèle Tribalat, « Effets démographiques de l’immigration étrangère. Éléments de comparaison européenne », Futuribles, juillet-août 2008, no 343.
- 15.
Voir par exemple Tomáš Sobotka, The Rising Importance of Migrants for Childbearing in Europe, dans Special Collection 7: Childbearing Trends and Policies in Europe, Max Planck Institute for Demographic Research, 1er juillet 2008 ; Charles F. Westoff et Tomas Frejka, “Religiousness and Fertility among European Muslims”, Population and Development Review, vol. 33, Issue 4, p. 785-809.
- 16.
Voir Gilles Pison, The Population of the World (2009), Populations et sociétés, juillet-août 2009, no 458, http://www.ined.fr/fichier/t_publication/1475/publi_pdf2_pesa458.pdf. Sur l’apport des populations immigrées, voir supra note 14.
- 17.
Voir Record Number of Germans Moving Abroad, Deutsche Welle, 20 mai 2008, http://www.dw-world.de /dw/article/0, 2144, 3347799, 00.html
- 18.
Sur la combinaison des identités, et la graduelle assimilation culturelle des musulmans en Europe, voir notamment les sondages du Pew Research Center de 2006 (plus particulièrement http://pewglobal.org/reports/display.php?ReportID=253 et http://pewglobal.org/reports/display.php?ReportID=254), les données du Gallup Co exist Index (http://www.muslimwestfacts.com/mwf/118249/Gallup-Coexist-Index-2009.aspx), et plus récemment le working paper de Ronald Inglehart and Pippa Norris, Muslim Integration into Western Cultures: Between Origins and Destinations, Jfk School of Government, http://web.hks.harvard.edu/publications/getFile.aspx?Id=336
- 19.
Plus d’un million de naissances sur 4, 3. Voir Cdc, Births: Preliminary Data for 2007 http://www.cdc.gov/nchs/data/nvsr/nvsr57/nvsr57_12.pdf
- *.
Chercheur au Center on the US and Europe de la Brookings Institution. Auteur, avec Jonathan Laurence, d’Intégrer l’islam…, op.cit.
- 20.
Nathalie Heinich, le Bêtisier du sociologue, Paris, Klincksieck, 2009.
- 21.
Michelle Perrot, Histoire de chambres, Paris, Le Seuil, 2009.
- 22.
Les échos avec l’essai philosophique de Michaël Foîssel, la Privation de l’intime (Paris, Le Seuil, 2008) sont nombreux, voir le compte rendu dans Esprit en janvier 2009, p. 226.
- 23.
Sur le contexte et le fonctionnement de la commission, et plaidant en sa faveur, voir Jean Baubérot, Une laïcité interculturelle. Le Québec, avenir de la France ?, La Tour-d’Aigues, Éd. de l’Aube, 2008. Le rapport Bouchard-Taylor est disponible sur l’internet.