
Survivre à la survie
Remarques sur la post-mémoire
« J’ai des souvenirs qui ne m’appartiennent pas. Je porte les nostalgies d’autrui. » C’est ainsi que je décrivais, il y a longtemps déjà, mon rapport à l’histoire chilienne depuis le coup d’État qui a eu lieu en 1973 et que moi-même, étant née bien plus tard, je n’ai pas connu. Fille d’exilés politiques qui ont survécu à la torture sous la dictature de Pinochet, j’ai reçu en héritage des images et des affects si vifs et transmis de si près qu’encore aujourd’hui il m’est difficile d’en parler sans conclure hâtivement qu’ils appartiennent au domaine de l’« indicible » et de l’« irreprésentable ».
Le terme de « post-mémoire », introduit en France par Pierre Bayard et Soko Phay1, à la suite de Marianne Hirsch aux États-Unis, est venu désigner un phénomène qui m’était presque constitutif, mais dont j’ignorais qu’il pouvait devenir un objet d’étude ni même être nommé. Et le nommer, c’est déjà le circonscrire, en dépit de son caractère diffus et de sa tendance expansive. En effet, cette « mémoire par procuration » caractéristique des descendants de survivants est aussi, ou avant tout, une « infra-mémoire » qui met en question, d’une part, les méca