
Happycratie d'Edgar Cabanas et Eva Illouz
Depuis les années 1990 et le développement d’une « pseudoscience » du bonheur fondée sur la psychologie positive, une nuée d’auteurs, d’experts, de coachs, de psychologues et de conférenciers ont fait leur apparition avec pour seule promesse : nous rendre heureux. Pourtant, de nombreuses critiques ont rapidement émergé contre la faiblesse de cette nouvelle psychologie et contre la possibilité même de définir le bonheur. Les spécialistes du bonheur se sont néanmoins mis en quête d’une mesure du bonheur grâce à des questionnaires, des indicateurs, des échelles de valeurs, au service des pouvoirs publics et des entreprises. Le bonheur s’immisce dans les nouvelles méthodes managériales, avec l’idée que, par son autonomisation, le salarié s’autocontrôle et intériorise la responsabilité des échecs ou des difficultés. Plus largement, « le bonheur tel qu’il est formulé aujourd’hui n’est rien d’autre que l’esclave des valeurs imposées par la révolution culturelle néolibérale ». La mythologie du bonheur fait de la poursuite de celui-ci un style de vie. Il s’agit de former de véritables « psytoyens », caractérisés par l’auto-management émotionnel, l’authenticité et l’épanouissement personnel. L’individu devient responsable de son bonheur, flexible, béat, résilient. Derrière tout cela, un marché lucratif, notamment d’applications pour smartphones, s’est développé. Le bonheur est devenu « une marchandise parfaite » pour un marché considérable. « L’intérêt de l’industrie du bonheur est de produire un nouveau type d’“happycondriaques”. » Toute pensée négative doit être chassée, alors que ces pensées sont indispensables à la construction du moi. « La tyrannie de la pensée positive nous incite à croire au meilleur des mondes possibles tout en nous décourageant de concevoir le meilleur des mondes imaginables. » Il faut se méfier de ceux qui prétendent détenir les secrets du bonheur et se prémunir contre toute obsession égocentrique de l’amélioration de soi. La poursuite du bonheur ne doit en aucun cas se faire au détriment de la pensée critique.