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Notes de lecture

Dans le même numéro

La trahison des pères de Céline Hoyeau

septembre 2021

Des hommes et des femmes qu’on pensait être de Dieu se sont révélés des manipulateurs, voire des abuseurs. Tel est le fil rouge du livre de Céline Hoyeau, chargée au quotidien La Croix de suivre le dossier sensible des abus sexuels dans l’Église. L’autrice n’a pas été elle-même victime de tels agissements, mais elle fait part de l’expérience de sidération qui l’a affectée, comme nombre de catholiques de la « génération Jean-Paul II ». Le tort de cette dernière ? Avoir eu tendance à porter au pinacle des personnalités perçues comme les « prophètes de la nouvelle évangélisation ». Membre assumé de l’Église, Céline Hoyeau cherche à comprendre non seulement les dérives de quelques-uns, mais la faillite de tout un système, qui a laissé des loups voraces déguisés en brebis s’infiltrer dans la bergerie.

À travers l’histoire des communautés nouvelles et de leurs figures de proue, elle rend compte d’un aveuglement collectif. Nées pour la plupart à la suite du concile Vatican II, elles ne sont pas le fruit auquel s’attendaient alors des évêques formés dans la mouvance de l’Action catholique, qui portait sur une société à christianiser un regard plutôt bienveillant. Les communautés nouvelles, elles, voguent plutôt à contre-courant d’un monde qu’elles contestent plus ou moins ouvertement. Elles prétendent revenir à l’expérience des premières communautés chrétiennes et représenter, dans une Église fortement affaiblie par une crise multiforme, une espérance de renouveau. De fait, leur style plaît, le retour au sacré et à l’intériorité qu’elles prônent séduit, la dimension fraternelle qu’elles mettent en avant dans une société de plus en plus fracturée emporte l’adhésion de beaucoup et suscite de nombreuses vocations de prêtres.

Il est difficile de comprendre les dérives de ces communautés et de leurs fondateurs si on n’a pas en tête le fait suivant : dans un monde sociologiquement de moins en moins chrétien, les leaders de ces groupes apparaissent « à un certain nombre de catholiques, déstabilisés par les lendemains du Concile, comme les sauveurs d’une Église en crise ». Si certains évêques avaient d’abord nourri une forme de méfiance, une distance critique à l’endroit de ces communautés, d’autres, explique Céline Hoyeau, leur ont témoigné d’emblée un enthousiasme assez naïf. Les uns et les autres les ont laissé faire. D’autant qu’à Rome, les fondateurs de ces communautés, qualifiées de « nouveau printemps de l’Église » par le pape Jean-Paul II, ont la plupart du temps échappé à la vigilance des instances dont elles dépendaient.

Et s’ils sont bien introduits dans les plus hautes sphères ecclésiales, c’est que les qualités des responsables de ces groupes chrétiens sont manifestes : remarquables orateurs, organisateurs hors pair, visionnaires même… Charismatiques et brillants, au point d’être séduits par l’image qu’ils renvoient d’eux-mêmes, s’ingéniant d’ailleurs à la faire polir par leurs disciples. « Nous avons cru que la lumière qui émanait de ces hommes était le gage de leur sainteté, alors qu’elle était l’instrument d’un aveuglement parfois programmé plus ou moins consciemment », analyse avec justesse Céline Hoyeau. Ces « maîtres de l’emprise » profitent du système d’obéissance absolue qu’ils ont eux-mêmes érigé pour asservir leurs proies en anesthésiant leur conscience. S’amorce alors le mécanisme de l’abus spirituel, c’est-à-dire une mainmise sur l’intériorité des membres de la communauté, ouvrant bien souvent la porte à des abus sexuels auxquels ils ne peuvent opposer aucune résistance.

La Trahison des pères a le mérite de nommer ce qui a longtemps été tu, de faire un diagnostic sans concession sur une part sombre de l’histoire récente de l’Église. Ce que pointe Céline Hoyeau, c’est que la responsabilité de cette crise est partagée. Au-delà des fautes des « pères » eux-mêmes, qui a bien pu laisser prospérer cette gangrène dans le corps ecclésial ? La hiérarchie par son manque de vigilance, les fidèles qui ont contribué à forger la prétendue sainteté de certains fondateurs, sans oublier certains médias chrétiens, aveuglés eux aussi par le succès de ces espaces d’utopies… devenues en réalité des fabriques d’aliénation. Les statues sont tombées de leur piédestal et c’est heureux. L’Église doit maintenant repenser sa mission : en honorant la parole de toutes ces victimes d’abus qu’elle a laissées sans défense, en renonçant à attendre son salut d’hommes ou de femmes providentiels et en faisant preuve de davantage d’esprit critique et de discernement.

Bayard, 2021
280 p. 19,90 €

Antoine Bellier

Journaliste et animateur des matinées de RCF national, Antoine Bellier est également éditeur chez Salvator.

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