
Une jeunesse sacrifiée ? sous la dir. de Tom Chevalier et Patricia Loncle
Apportant des nuances à la thèse commode d’une « génération sacrifiée », cet ouvrage collectif permet de s’interroger sur la situation sociale de la jeunesse française.
Le constat sociologique de « générations fracturées par les inégalités sociales » interdit de considérer la jeunesse comme un bloc. La reproduction des inégalités distingue pourtant la France comme un capitalisme d’héritiers. Le « devenir adulte » et l’accès à l’autonomie y dépendent largement de la solidarité familiale. Ainsi, Camille Peugny note que « la familialisation de l’accès à l’autonomie des jeunes, outre qu’elle entretient la reproduction des inégalités, donne [aux jeunes] le sentiment de ne pas avoir la possibilité de faire réellement leurs preuves… » Ce manque d’opportunités pour s’affirmer, qui donne l’impression d’une vie empêchée, s’est accentué avec la crise sanitaire.
Pour Nicolas Charles, le « prix à payer de la massification scolaire » est le déclassement scolaire et la dévalorisation généralisée du diplôme. Ainsi, le niveau de dépenses par étudiant en France (inférieur à la moyenne de l’OCDE), croisé avec l’augmentation des formations privées, débouche sur une impasse : « l’expansion scolaire ne se traduit pas systématiquement par un accès plus égalitaire aux diplômes » et « ne règle rien aux inégalités intragénérationnelles ». Néanmoins, le propos omet la dimension d’émancipation culturelle et intellectuelle des études supérieures.
Selon Léa Lima et Benjamin Vial, le taux de personnes de moins de 30 ans se disant confrontées à des difficultés dans leurs démarches administratives est plus de deux fois supérieur à celui de leurs aînés (35 % contre 17 %). Ce non-recours est en partie lié à « la crainte du développement d’un ethos de l’assistanat chez des esprits immatures » et une « norme de responsabilisation » différente de celle des adultes. Mais « les jeunes valorisent l’apprentissage de l’autonomie individuelle à travers les expériences vécues en situation de non-recours », en particulier quand ces dernières sont collectives. Une « colère juvénile » est ainsi réhabilitée en révolte légitime, comme en témoignent le portrait d’un jeune Gilet jaune qui refuse de perdre la maîtrise de son destin et celui d’une étudiante qui fait de la politique en changeant son style de vie. Tom Chevalier et Paticia Loncle insistent également sur « des formes moins institutionnelles de participation politique », plus coopératives, et sur la « capacité d’interpellation » des jeunes.
Dans une riche postface sur « une génération Covid », les auteurs prennent acte de la fragilisation de la santé mentale des jeunes et concluent que « désormais, c’est moins le progrès générationnel qui semble être la norme que le déclassement générationnel ».