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Notes de lecture

Dans le même numéro

La grâce et le progrès. d’Élisabeth de Fontenay

Réflexions sur la Révolution française et la Vendée

mars 2021

Le projet de loi de lutte contre le séparatisme, après les retentissements qu’a connus en France l’affaire George Floyd, a ravivé le débat sur l’universalisme républicain, divisant plus que jamais les universalistes, d’une part, et les défenseurs de postures identitaires, d’autre part. Élisabeth de Fontenay se dit tourmentée depuis toujours par cette question, redoutant que dans un entendement trop abstrait, trop absolu de ce principe fondateur de la République hérité des Lumières, on arrive à en liquider l’héritage. Avec le risque qu’à trop privilégier les divisions identitaires ou religieuses au détriment de l’appartenance nationale, on en vienne à voir s’effacer la nation. Cette femme de gauche, qui n’a jamais cessé d’être attachée aux valeurs républicaines et à un universalisme « latéral » ou « réitératif », dont la famille paternelle est issue de ce grand Ouest dans lequel elle a passé son enfance, se dit inquiète des temps présents. Elle reste hantée par l’amnésie dont les républicains sont frappés s’agissant des crimes commis par la toute jeune République en 1794, contre « les brigands » de l’Ouest, perçus comme une menace par cette société d’esprit totalitaire, rêvant d’un peuple un, à laquelle la Révolution française avait donné naissance. Entre 1793 et 1794, près de 200 000 hommes, femmes et enfants, soit plus du quart de la population insurgée, furent exécutés. Du propre aveu du général républicain Louis-Marie Turreau, qui avait pris le commandement des colonnes infernales qui menèrent l’assaut, la Vendée fut « la plus horrible des guerres civiles qui ait existé ».

Henri Bourdeau de Fontenay, fervent républicain, à la mémoire duquel est dédié ce dernier livre de sa fille, la philosophe, spécialiste de Diderot et de la cause animale, fut un grand résistant et commissaire de la République pour la Normandie de janvier 1944 à octobre 1945. Son livre de chevet était Quatrevingt-Treize de Victor Hugo, dont il ne se lassait pas de la lecture, comme de celle, par ailleurs, de l’Histoire de la Révolution française de Michelet. C’est à travers ces deux ouvrages qu’Élisabeth de Fontenay revisite les guerres de Vendée, dans cet essai stimulant qui nous parle du sens de l’histoire, de l’universel, de la nation et de la tolérance. Tout en écartant fermement la thèse inacceptable à ses yeux d’un « génocide » vendéen, elle déplore l’instrumentalisation de ces événements et leur récupération par l’extrême droite dans une revendication avant tout victimaire, alors même que, selon elle, « certaines abominations de la colonisation, les exactions de la milice n’auraient peut-être pas eu lieu  » si l’histoire républicaine s’était confrontée aux crimes commis contre les siens.

Si l’auteure ne cache pas l’admiration qu’elle voue à Michelet, ce gardien de « la chronologie longue de la France et [de] la forme désormais républicaine de son État », qui disait aimer la mort et n’avoir « de société que celle du passé et pour amis les peuples ensevelis », elle ne lui pardonne pas de s’être fait « l’instituteur de l’amnésie républicaine » et de n’avoir pas eu un mot de pitié, en dépit de son réquisitoire contre la Terreur de 1793, pour les civils vendéens, massacrés un an plus tard pour ne s’être pas soumis au nouveau pouvoir révolutionnaire. Michelet, estime-t-elle, « s’est refusé à faire revivre ce peuple réfractaire au progrès  » qui ne comprenait rien à ce nouvel universalisme prôné par les révolutionnaires, alors que depuis des décennies, l’Église lui enseignait l’amour de tous les hommes et promettait de les sauver tous. Quatrevingt-Treize, œuvre testamentaire de Victor Hugo, est, pour la philosophe, un grand roman politique parce qu’il donne à voir, sans parti pris, toute la complexité de la communauté nationale de cette époque à travers ses personnages, tous singuliers dans leur ambiguïté. Le marquis de Lantenac, émigré, de retour sur ses terres pour y combattre les révolutionnaires, découvre que sa tête est mise à prix sur une affiche signée par le chef de bataillon des républicains, qui n’est autre que son petit-neveu Gauvain. Celui-ci, dans sa clémence, lui rendra la liberté et lui sauvera la vie, mais le paiera de la sienne. Car si Gauvain doit son émancipation de la noblesse qui l’a vu naître à Cimourdain, ancien prêtre renégat devenu délégué du Comité de salut public, qui l’a élevé et aimé comme un fils, « il n’y a pas de résolution possible de ce conflit de deux droits, de cette contradiction entre […] le maintien de l’honneur ancestral et le dévouement à cette nation dont la force peut se révéler fragile d’être si récemment construite ». Pour Gauvain, « l’honneur de la naissance et le service de la patrie vont s’épouser sur la guillotine  ». Alors qu’ils vont l’un et l’autre mourir, Cimourdain (qui se donnera la mort, incapable de survivre à ce fils tant aimé) et Gauvain parlent de l’avenir, placé sous le signe du progrès et de la défense de la patrie en danger pour le premier, et sous celui de l’honneur, de la grâce et du pardon pour le second. Michelet et Hugo avaient en commun, explique la philosophe, cet esprit des Lumières, marqué par la « confiance dans l’avenir, le peuple et le progrès, dans la république et la démocratie », qui s’est perdu dans les désastres et la barbarie du xxe siècle, faisant de nous des « orphelins de la grâce et du progrès ».

Les récits de Michelet et de Hugo, parce qu’ils sont habités par le passé, contribuent, selon l’autrice, à la construction de notre histoire nationale. Ils « appartiennent de plein droit à tous ceux qui ne se contentent pas de résider ou de se réfugier » en France, mais acceptent d’habiter ce pays, c’est-à-dire « le connaître, le respecter, l’enrichir de leur altérité et donc s’efforcer de le rendre habitable au plus grand nombre ». Élisabeth de Fontenay se dit pourtant inquiète de la déliaison qui gagne une France transformée en archipel et s’interroge sur le « sens [que] peut désormais prendre le souci de la nation, de la langue et de la littérature françaises ». Il nous faut, selon elle, renoncer à rechercher l’absolu en continuant de relier l’avenir au passé.

Stock, 2020
144 p. 18 €

Bénédicte Chesnelong

Juge assesseur à la Cour nationale du droit d’asile et précédemment avocate au barreau de Paris, elle a également travaillé pour la Commission environnement du Parlement européen et effectué plusieurs missions d’enquête pour la Fédération internationale des droits de l’homme, le Conseil de l’Europe et les Nation unies, notamment dans les Balkans, en Turquie et au Moyen-Orient.…

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Science sans confiance

On oppose souvent science et croyance, comme si ces deux régimes de discours n’avaient rien de commun. Pourtant, l’expérience nous apprend que c’est généralement quand l’un des deux fait défaut que l’autre subit une crise. Dans le contexte pandémique actuel, l’incapacité des experts et des gouvernants à rendre compte dans l’espace public des conditions selon lesquelles s’élaborent les vérités scientifiques, aussi bien qu’à reconnaître la part de ce que nous ne savions pas, a fini par rendre suspecte toute parole d’autorité et par faciliter la circulation et l’adhésion aux théories les plus fumeuses. Comment s’articulent aujourd’hui les registres de la science et de la croyance ? C’est à cette question que s’attache le présent dossier, coordonné par le philosophe Camille Riquier, avec les contributions de Jean-Claude Eslin, Michaël Fœssel, Bernard Perret, Jean-Louis Schlegel, Isabelle Stengers. À lire aussi dans ce numéro : l’avenir de l’Irak, les monopoles numériques, les enseignants et la laïcité, et l’écocritique.